Décidément, Michel Barnier n’aime pas les petites phrases. Il l’a dit dans le passé, comme on l’a rappelé ici voici peu, il l’a redit expressément voici quelques jours, une fois nommé à l’Hôtel Matignon. À peu près toute la presse, de Libération au Huffington Post en passant par Public Sénat et Europe1, a noté son commentaire : « La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. J'ai demandé tous les éléments pour en apprécier l'exacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité. »
Le Figaro en a même fait un titre : « "Cette situation mérite mieux que des petites phrases" : Michel Barnier juge le contexte budgétaire français "très grave" ». Si la situation budgétaire du pays est grave, n’est-ce pas faire déjà beaucoup d’honneur aux petites phrases, de la part du Premier ministre et de la presse, que de considérer qu’elles pourraient être une alternative, même insuffisante, à la responsabilité budgétaire ? Bien entendu, une petite phrase ne règle rien, mais en faire un cache-misère est déjà lui accorder un certain poids.
Comme d’autres, Quentin Laurent, du Parisien, interrogé par France Inter, oppose la sobriété du Premier ministre au « côté bateleur » et au « goût prononcé pour la mise en scène » d’Emmanuel Macron : « [Ses équipes] aiment bien répéter que le Savoyard se méfie des petites phrases et des slogans ». Et même si des petites phrases en abyme sont possibles (« on se rappelle ce crochet du droit envoyé à l’Elysée le jour de sa nomination comme Premier ministre: "nous allons davantage agir que parler" »), le principe est posé. « Il ne s’invente pas un personnage. Michel Barnier, il est comme ça. »
À nouveau ce lundi, en réunissant son gouvernement pour la
première fois, Michel Barnier lui a lancé un avertissement général : « "Pas
d'esbroufe, s'il vous plait […]. Pas de petites phrases, pas de promesses
excessives, une grande discipline ». Là encore, une grande partie de
la presse a pris note de cette prohibition des petites phrases, à l’instar de BFM
TV, d’Ouest-France
ou de RMC.
Mais faire régner la discipline n’est peut-être pas si facile. Quand Bruno
Retailleau affirme :« J’ai trois priorités : rétablir l’ordre, rétablir l’ordre,
rétablir l’ordre », ne parlera-t-on pas de petite phrase ?
Et bien entendu, il n’est pas le seul ministre entrant ou sortant à tenter de prendre la lumière.
« Ce dédale de petites phrases et d’outrances sert
les desseins de Michel Barnier », assure pourtant Luc Bourrianne
dans La Nouvelle République. « C’est moins risqué que d’annoncer
des réformes fiscales impopulaires ». À nouveau, c’est accorder implicitement
une grande puissance, au moins temporaire, aux petites phrases. Et si le
gouvernement est éphémère, elles pourraient bien devenir l’essentiel de ce qui
en sera conservé.
Michel Le Séac’h