Avant de commenter Ce
qu’ils disent vraiment – les politiques pris aux mots, de Cécile Alduy,
j’ai longuement tergiversé. Cet ouvrage paru au début de l’année et appuyé sur
une grosse base de données de 1.300 textes politiques a été accueilli par des
louanges à peu près unanimes. Pouvais-je décemment me montrer plus
critique ? Car du point de vue qui m’intéresse, celui des petites phrases,
le livre s’avère décevant.
Sauf omission, la locution « petite phrase » y
figure quatre fois. Il n’ignore donc pas la catégorie mais lui accorde peu de
place. Quatre fois en 400 pages : y a-t-il vraiment si peu de petites
phrases dans ce que les politiques disent « vraiment » ?
De plus, ces quatre occurrences donnent lieu systématiquement à des
commentaires dépréciatifs :
- Pour clarifier les enjeux et les termes du débat, il convient de dégager, derrière l’écume des petites phrases reprises par les journalistes, les structures profondes et la vision du monde et de la société française des principales figures qui façonnent le débat politique. (p. 17)
- Ce livre […] entend éclairer [les campagnes électorales] en mettant au jour la logique profonde et les tendances lourdes de la paroles politique de ces dernières années, au delà des « coups de com’ » et petites phrases de campagne. (p. 20)
- En lissant polémiques éphémères et variables contextuelles, cette étude entend dépasser l’écume des petites phrases médiatiques pour faire émerger les lames de fond qui ont traversé le champ politique français. (p. 21)
- En fait, François Fillon est un identitaire calme : il a exactement les mêmes positions que Nicolas Sarkozy sur l’assimilation, sur la politique migratoire [...] mais il n’en fait ni une obsession, ni une priorité, ni un prétexte à petites phrases pour créer du « buzz » médiatique. » (p. 197)
Les petites phrases font une cinquième apparition sur la
quatrième de couverture, reprise par les sites web de plusieurs libraires dont
Amazon : « Cette enquête sémantique, stylistique et rhétorique
dévoile derrière l’écume des petites phrases la structure profonde de la vision
du monde des politiques. » La cause est donc entendue : si
elles font bien partie du discours politique, les petites phrases ne sont
qu’écume que le vent emporte. Délégitimées d’emblée, elles ne sont à aucun
moment étudiées en tant que telles. Cécile Alduy ne précise même pas ce qu’elle
entend par « petites phrases ».
Pour ma part, je me réfère volontiers à cette définition de l’Académie française : « Formule concise qui sous des dehors
anodins vise à marquer les esprits ». Marquer les esprits, n’est-ce
pas le but même du discours politique ? Et certains propos y parviennent.
Qu’ont vraiment dit François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy,
François Hollande ? Posée aujourd’hui à des électeurs moyens, une telle
question ramènerait sans doute beaucoup de « laisser du temps au temps », d’« abracadabrantesque »(1), de « travailler
plus pour gagner plus »(2), de « ça va mieux ». À
ce compte-là, il serait à peine exagéré de dire que l’écume, ce serait plutôt
tout ce qui n’est pas petite phrase !
Cécile Alduy n’est pourtant pas passée loin. Car si son
travail a pour étendard une grosse base de données, elle voit bien qu’un
comptage automatique des mots utilisés par les politiques n’est pas très
instructif et que l’intérêt de son livre réside en réalité dans ce qu’elle
appelle « une analyse discursive et littéraire fine »,
c’est-à-dire en fin de compte un commentaire de texte à l’ancienne – un peu
convenu quelquefois, mais toujours avec élégance : la cafétéria de
Stanford n’est pas le Café du Commerce. Le fait, par exemple, que le mot « liberté »
soit le 12ème le plus employé par François Fillon, le 16ème par Marine Le Pen, le 40ème par Alain Juppé, le 51ème par
François Hollande et le 199ème par Jean-Luc Mélenchon n’apprend pas
grand chose en soi – sauf peut-être en ce qui concerne le dernier, mais Cécile
Alduy, qui ne cache pas son admiration pour lui, conteste vivement qu’il
éprouve « un penchant pour l’autoritarisme ».
Ce que le « ça va mieux » de François
Hollande dit vraiment
À titre d’exemple de la rencontre ratée de justesse entre
Cécile Alduy et les petites phrases, prenons le
« ça va mieux » de François Hollande. Cette formule
d’aspect anodin a marqué les esprits. Europe
1, Les
Échos, Libération
ou L’Obs,
entre autre, l’ont explicitement qualifiée de « petite phrase ».
Bien entendu, elle vole sous le seuil de détection des logiciels. Elle ne
figure pas, et pour cause, dans la liste des substantifs les plus fréquents
chez le candidat et le président Hollande (p. 256 du livre). Cécile Alduy s’est
néanmoins penchée sur ce « ça va mieux » : « il
ne pouvait que heurter de plein fouet le ressenti de nombreux Français »,
estime-t-elle. « Au lieu de prendre le pouls de la France, le président
lui impose un ressenti qui n’est justement pas le sien au quotidien »
(p. 252). Il « ne parle plus la langue de la gauche, ni celle de ses
concitoyens » (p. 253). Autrement dit, « il n’est plus des
nôtres », il est devenu un étranger. Il n’a pas été « pris aux
mots », au contraire : ses mots n’ont pas pris.
Un autre pas de deux inachevé concerne François Fillon et sa
célèbre question rhétorique : « Qui
imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ? ».
Là encore, chez BFM
TV, Marianne,
Ouest
France ou Le
JDD, des commentateurs y ont vu explicitement une petite phrase,
parfois qualifiée d’« assassine » – c’est dire quelle
puissance on lui attribue. Cécile Alduy lui accorde de l'importance puisqu'elle la cite à trois reprises, p. 38, 56 et
192 de son livre (en trois versions et à deux dates différentes, mais là n'est pas l’important). Elle la présente chaque fois comme une attaque
contre Nicolas Sarkozy, rejoignant ainsi la quasi-totalité des commentateurs. Or Nicolas Sarkozy n’est pas nommé dans cette phrase,
ni autour d’elle. Ce que François Fillon a « vraiment » dit
n’est pas ce qu’il a dit ! Les auditeurs ne l’ont pas « pris aux
mots », ils l'ont pris aux sous-entendus. Il serait difficile de ne pas considérer cette sortie comme une petite phrase. Difficile aussi de soutenir qu'elle n'a été qu'une écume sans influence sur la campagne électorale. Il est vrai que Cécile Alduy n’a assisté qu’à la
moitié de l’histoire : son livre est paru quelques jours avant que la mise
en examen de François Fillon ne transforme la petite phrase assassine en petite
phrase suicidaire.
Des sciences du langage aux sciences politiques
Dès l’introduction de son livre, Cécile Alduy fait une
analyse du mot « burkini » qui contient des indices sur le
fonctionnement des petites phrases. « Un mot, en politique, est
toujours plus que ce qu’il dénote : il ‘signifie’ bien plus que la chose
qu’il désigne », écrit-elle. Que signifie le mot burkini ? « Maillot
de bain couvrant l’ensemble du corps et les cheveux », répond-elle.
Non, cela, c’est justement « la chose qu’il désigne ». En
réalité, concède-t-elle quelques lignes plus bas, il signifie « la
présence et la visibilité de l’islam en France ». Le néologisme
burkini, formé sur deux mots anodins, bikini et burqa, marque les esprits. Même
prononcé seul, il peut avoir du sens. Tout comme le mot « détail »,
anodin parmi les anodins, signifie peu de choses isolément mais beaucoup plus
quand on le rapproche de Jean-Marie Le Pen : il devient alors
l’abréviation d’une petite phrase. Dans la bouche d’un homme politique, un seul
« burkini » signifie probablement plus que mille « démocratie »,
mille « laïcité » ou mille « peuple », ce que les logiciels
lexicographiques ne verront pas.
En définitive, une petite phrase est rarement détectable à
l’état brut dans les mots des politiques, ne serait-ce que parce qu’elle est souvent involontaire. Elle ne marque les esprits qu’à partir du moment où elle est repérée comme telle et reprise par la presse et les médias sociaux. Répétée, elle est mémorisée. Il ne s’agit plus alors seulement de ce que les politique « disent vraiment » mais de ce qui en est compris
et retenu (qui s’écarte souvent de ce qui a réellement été dit). Et c’est bien
l’important dans un contexte de campagne électorale. Isolément, les sciences du
langage sont myopes ; elles ne deviennent clairvoyantes qu’à partir du moment
où elles donnent la main aux sciences politiques.
Ce qu’ils disent vraiment – les politiques pris aux mots, de Cécile Alduy, Paris, Seuil, 2017. ISBN 978-2-02-131016-0. 400 pages, 21 €. Disponible en version numérique.
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(1) Voir Michel Le Séac'h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 83.
(2) Idem, p. 66.
(1) Voir Michel Le Séac'h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 83.
(2) Idem, p. 66.