On disait Najat Vallaud-Belkacem « bonne en
com’ ». Elle a derrière elle une solide expérience : elle a été
porte-parole de deux candidats à l’élection présidentielle (Ségolène Royal en 2007
et François Hollande en 2012), puis porte-parole du gouvernement de Jean-Marc
Ayrault pendant deux ans. Mais même les pros de la communication politique
commettent parfois des erreurs.
« Un phénomène assez curieux est à l’œuvre »,
déclarait la ministre de l’Éducation nationale le 30 avril sur RTL :
« des
éditorialistes, des polémistes, des pseudo-intellectuels ‑ car pour moi quand
un intellectuel s’exprime sur un sujet, il a la rigueur intellectuelle d’aller
vérifier de quoi il parle ‑ s’expriment sans avoir lu le contenu de cette
réforme. »
Cette déclaration a été (1) prononcée sur un grand média,
(2) à une heure de grande écoute, (3) par une personnalité en vue, (4) à propos
d’un sujet brûlant (5) concernant un vaste public. Pourtant, elle n’était
clairement pas destinée à devenir une petite phrase. En la faisant longue et
alambiquée, son auteure a probablement cru que son espérance de vie serait
brève. Cependant, le public ne lâche pas si aisément sa proie ! Comme
souvent, il a spontanément raccourci la phrase, en la resserrant sur un message
central. Et le message central ressenti par une partie de l’auditoire résidait
clairement dans l’expression
« pseudo-intellectuels », devenue
à elle seule une petite phrase et le centre d’une polémique.
Le mammouth oublié
La deuxième erreur de Najat Vallaud-Belkacem est d’avoir
paru faire masse de tous les publics hostiles à sa réforme, en gros ou en
détail. Son énumération (éditorialistes, polémistes, pseudo-intellectuels)
évoquait comme un « etc. » couvrant l’ensemble des opposants, ses
adversaires politiques aussi bien que les enseignants réticents. Le
retentissement de la petite phrase n’en a été que plus large.
L’école a toujours été une institution à traiter avec
prudence. L’esprit de corps y règne, les enseignants prennent aisément la
mouche, ils aiment donner des leçons et pas en recevoir. Et pas plus que les
autres ils n’aiment le changement. Claude Allègre en a fait l’expérience en 1997
quand, nouveau ministre de l’Éducation nationale, il a déclaré :
« il
faut dégraisser le mammouth ». Claude Allègre a traîné ce mammouth
comme un boulet pendant le reste de sa carrière. Mais il avait 60 ans à
l’époque, et c’était un scientifique respecté. Najat Vallaud-Belkacem n’en a
pas 40 et ne jouit pas du même prestige. Pour avoir oublié la leçon de son
aîné, elle a infléchi vers le bas son parcours politique, car la petite phrase,
à l’instar de la
« bravitude » de Ségolène Royal, lui est
défavorable personnellement.
Pseudo, vraie insulte
Enfin et surtout, le choix du terme
« pseudo-intellectuels »
était une imprudence insigne. Le statut d’intellectuel est clivant en France
depuis l’affaire Dreyfus.
« L’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de
ce qui ne le regarde pas », écrivait Jean-Paul Sartre : cela fait
du monde.
« Intellectuel » est une insulte pour les uns, un
compliment pour les autres. Mais
« pseudo-intellectuel » est
forcément insultant.
Attesté depuis la fin du 19
e siècle (dans
La
Religion des contemporains, essais de critique catholique, de l’abbé
Delfour, par exemple), le terme ne s’est répandu qu’à partir des années 1950. Curieusement,
bon nombre de ceux qui l’employaient évoquaient
« les intellectuels et
les pseudo-intellectuels » (une recherche Google sur
« intellectuels * pseudo-intellectuels » permet de le constater en
une fraction de seconde), comme pour autoriser le lecteur à se ranger dans la
première catégorie. Najat Vallaud-Belkacem n’a pas ménagé cette échappatoire,
au risque d’irriter d’un coup une vaste catégorie. Le préfixe
« pseudo »
a été ressenti comme une banderille bien réelle, provoquant un tollé immédiat. Le
statut de petite phrase de la formule de la ministre en a été d’autant mieux
assuré.
« Pseudo-intellectuel » a même accédé sans
délai au statut de « snowclone », le stade suprême de la petite
phrase**. Au moins deux adversaires, et non des moindres, Alain Minc et Luc
Ferry, ont immédiatement traité Najat Vallaud-Belkacem de
« pseudo-ministre », tandis que l’écrivain Charles Consigny écrivait
dans
Le Point, par référence à un autre snowclone :
« Nous
sommes tous des pseudo-intellectuels ».
_________________________
*
V. La Petite phrase, Eyrolles (à paraître), p.
213.
**
V. La Petite phrase, Eyrolles (à paraître), p.
135.
Photo Jackolan1, Wikipedia,
CC BY-SA
3.0