16 avril 2020

« Whatever it takes » (quoi qu'il en coûte) ‑ tant que la foi demeure

« Whatever it takes », en V.F. « Quoi qu’il en coûte », pourrait bien demeurer la petite phrase emblématique de l’année 2020, si ce n’est de la décennie entière. Elle date pourtant de 2012. Et elle n’a même pas été prononcée dans des conditions spécialement remarquables.

En 2012, la crise de la dette grecque traîne en longueur depuis deux ans, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal à leur tour peinent à financer leur dette publique. Le 1er juillet, l’Union européenne adopte un Mécanisme européen de stabilité. Cet été-là, les Jeux Olympiques se déroulent à Londres. Le gouvernement britannique veut en profiter pour attirer des entreprises. Avec quelques grandes entreprises, il a créé la British Business Embassy afin d’organiser des événements promotionnels destinés aux milieux économiques internationaux. Le premier de ces événements est la Global Investment Conference. Elle se déroule à Londres le 26 juillet 2012. Parmi les intervenants, un invité de marque : Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne (BCE).

Son intervention n’est pas vraiment solennelle. Mario Draghi assure d’abord que l’euro et la zone euro sont « much, much stronger » qu’on ne le croit. Son second message est que des progrès « extraordinaires » ont été accomplis depuis six mois. Son troisième message est que l’euro est « irreversible ». Comme en prime, il ajoute qu’il veut aussi exprimer un autre message :

Within our mandate, the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. (Dans le cadre de mon mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu’il faudra pour préserver l’euro.)

Ça n’a l’air de rien ? Les marchés obligataires et d’actions progressent fortement. Et certains commentateurs de marque en concluent : Mario Draghi a sauvé l’euro. Il lui a suffi pour cela d’une petite phrase. Sous la quinzaine de mots, les banques devinent les centaines de milliards d’euros tout neufs que la BCE va déverser sur les marchés afin d’acheter la dette de certains pays, en rupture avec les règles européennes antérieures. 

Depuis lors, chaque fois qu’une crise financière menace, les yeux se tournent vers la BCE et l’on rappelle les paroles de Mario Draghi. On les a rappelées encore, bien entendu, quand, le 12 mars, Emmanuel Macron a proclamé : « tout sera mis en oeuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises, quoi qu'il en coûte ». Ce « quoi qu’il en coûte » n’était évidemment pas innocent. Le président de la République a d’ailleurs veillé à le répéter deux fois. Ainsi, son parallèle avec « Super Mario » ne risquait pas de passer inaperçu. Mais il ne l’a peut-être pas poussé assez loin. 

En réalité, la petite phrase de Mario Draghi était double. Après « the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro », il avait ajouté : « And believe me, it will be enough » (et croyez-moi, ça sera suffisant). « Saint Draghi a parlé », avaient noté plusieurs commentateurs : il n’y a que la foi qui sauve l’économie. Prions pour que saint Macron, qui a utilisé trois fois la formule « Quoi qu’il en coûte » dans son adresse aux Français du 12 mars 2020, inspire autant de piété.

Michel Le Séac’h

Photo Mario Draghi (2011) : INSM, Mario Draghi, Präsident der Euopäischen Zentralbank über die Europäische Währungsunion und die Schuldenkrise. Wohin steuert Europa?, via Flickr, CC BY-ND 2.0

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