Le décès du journaliste Jean-Pierre Elkabbach, ce 3 octobre, ramène au jour la plus fameuse petite phrase qui lui soit associée : « Taisez-vous Elkabbach ! »
Les petites phrases contiennent rarement des noms propres. L’histoire en garde quelques témoignages dans les recueils de citations : « Dieu de Clotilde, si tu me donne la victoire, je me ferai chrétien », « Pends-toi brave Crillon », « Bois ton sang Beaumanoir »… et bien sûr « Rendez à César ce qui est à César ». Mais ils sont l’exception.
Le plus souvent, une petite phrase nominative est assez vite oubliée : « Wauquiez, c'est le candidat des gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel » (Benjamin Griveaux), « Si moi je veux parler sans grossièreté, je peux le faire, mais ça paraîtra aussi naturel que si Giscard disait : ″J’en ai plein les couilles″ » (Bernard Tapie).
Même dans les petites phrases les plus célèbres, le nom propre tend à être omis s’il n’est pas indispensable à l’économie de la formule. « Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur » (Valéry Giscard d’Estaing) tend à se réduire à « Vous n’avez pas le monopole du cœur ».
Si en revanche le patronyme est cité à titre de référence historique, positive ou négative, il fait partie du message et demeure, comme dans « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » (François Fillon) ou très récemment « Il y a du Doriot dans Roussel » (Sophia Chikirou).
« Entre ici Jean Moulin » est un cas à part : il résume en quatre mots l’hommage funèbre dont il est extrait, prononcé par André Malraux et parfois considéré comme l’un des plus grands discours de son siècle. Il serait inimaginable que le nom du défunt n’y figure pas. Il est en outre associé à une diction particulière qui le renforce.
Et au fond, c’est aussi le cas de « Taisez-vous Elkabbach ! », autre impératif prononcé avec le ton impérieux bien reconnaissable de Georges Marchais, alors premier secrétaire du Parti communiste. La petite phrase est restée fameuse… et pourtant elle n’a pas été prononcée par Georges Marchais !
Invité par Jean-Pierre Elkabbach à une soirée télévisée sur la chaîne Antenne 2 le soir des élections législatives de 1978, le dirigeant communiste monopolise la parole. Interrompu par le journaliste, il menace de quitter le studio et affirme : « C’est extrêmement désagréable de discuter avec vous. » Il évoque aussi une possible censure à l’encontre du journaliste sous forme d’une coupure d’antenne décidée par les syndicats.
La menace a beau n’être qu’un sous-entendu, elle est parfaitement claire. Thierry Le Luron, imitateur et humoriste très talentueux, s’en empare et la condense sous la forme « Taisez-vous Elkabbach ! », qui remporte un grand succès. Elle est d’autant plus crédible que, l’année précédente, Georges Marchais s’est fait remarquer par une autre petite phrase nominative, elle aussi à l’impératif : « Liliane, fais les valises ! ». On ne prête qu’aux riches.
Michel Le Séac’h
Photo Mickael Denet, Jean-Pierre Elkabbach lors de la matinale d'Europe 1 en Gare de Lyon à Paris le 21 mars 2014, via Wikimedia Commons, CC BY S-A 3.0