Que retiendra-t-on de Valéry Giscard d’Estaing ? Hier encore, beaucoup de Français auraient sans doute eu du mal à citer un trait majeur de sa politique. L’avortement ? La majorité à 18 ans ? Le regroupement familial ? L’Europe ? Mais il est très probable que beaucoup auraient pu citer cette petite phrase : « Vous n’avez pas le monopole du cœur ».
C’était le 10 mai 1974. Quelques jours avant l’élection présidentielle, VGE et François Mitterrand s’affrontent en débat télévisé devant des dizaines de millions de téléspectateurs. Mitterrand s’est entraîné. Il sait que la principale faiblesse de Giscard d’Estaing est son image de froid technocrate. À plusieurs reprises, il tente d’en profiter. La politique est « une affaire de cœur et pas seulement d’intelligence » assène-t-il. « Vous n’avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur, rétorque VGE, vous ne l’avez pas. »La formule est abondamment commentée. Pour certains, elle était préparée à l’avance, comme un « À la fin de l’envoi je touche » à la sauce politique. Pourtant, elle rend un accent de sincérité que souligne la gestuelle de VGE. Chacun peut en juger : le passage est visible sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). « Cette phrase était une improvisation », confirmera plus tard Valéry Giscard d’Estaing dans Le Pouvoir et la vie (Cie 12, Paris 2004, p. 330). Elle pourrait être aussi une réminiscence. Dans Le Président, un film d’Henri Verneuil, un personnage s’écrie lors d’un débat à la Chambre : « Vous n’avez pas le monopole de l’Europe, nous y pensons aussi ! »
Mitterrand accuse le
coup. Selon des témoins, il estime lui-même avoir perdu l’élection sur cette
répartie de son adversaire[1]. Sans doute la rumine-t-il longuement. En
1988, lors d’un débat télévisé avec Jacques Chirac qui lui reproche d’avoir
relevé la TVA sur les aliments pour animaux, il lancera : « Vous n'avez pas le monopole du cœur pour les chiens et les
chats ».
Journalistes,
politologues et experts en communication ont parlé de « formule
assassine »[2], de « flèche mortelle »[3], de « phrase qui tue », etc. Au
premier degré, pourtant, la réplique de VGE ne contient qu’un banal rappel
défensif : François Mitterrand n’est pas seul à éprouver des sentiments.
Mais symboliquement, Valéry Giscard d’Estaing arrache le cœur de son
adversaire, et c’est cet acte fort, offensif, que l’opinion retient. Certains
disent que cette phrase est la plus célèbre jamais issue d’un débat télévisé[4].
Au lendemain de la
mort de Valéry Giscard d’Estaing, les tendances des recherches sur Google
révèlent clairement à quel point cette petite phrase est attachée à son auteur.
Photo Rob Croes / Anefo, Nationaal Archief (Pays-Bas), licence CC0 1.0, via Wikimedia Commons
[1] Olivier Duhamel, Histoire des présidentielles, Le Seuil, Paris 2008, p. 130.
[2]
Hervé Gattegno, rédacteur en chef du Point, interviewé par RMC le 2 mai
2012. Voir
http://www.lepoint.fr/politique/parti-pris/sarkozy-hollande-le-debat-qui-ne-sert-a-rien-02-05-2012-1457185_222.php.
Voir aussi Jean Massot, La Présidence de la
République en France: vingt ans d'élection au suffrage universel 1965-1985, Notes et études documentaires, n° 4801, Paris, La
Documentation française, 1986, p. 98, ou François-Georges Maugarlone, Histoire
personnelle de la Ve République, Paris, Fayard, 2008, ch. VI.
[3] Éric Delvaux, France Inter, 1er mai 2007 ; voir http://www.franceinter.fr/chro/larevuedepresse/55339.
[4] Béatrice Houchard, « Yvette Horner et Dracula », http://blog.lefigaro.fr/election-presidentielle-2012/2011/02/yvette-horner-et-dracula.html.
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