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11 août 2024

Élection présidentielle américaine : Joe Biden en appelle aux petites phrases des grands ancêtres

Après avoir annoncé par un communiqué qu’il renonçait à solliciter un second mandat, le président américain Joe Biden s’en est expliqué dans une adresse au peuple américain le 24 juillet. En voici le début :

Chers compatriotes, je m’adresse à vous ce soir depuis le bureau Resolute[i] du Bureau ovale. Dans ce lieu sacré, je suis entouré de portraits de présidents américains extraordinaires. Thomas Jefferson, auteur des mots immortels qui guident cette nation. George Washington, qui nous a montré que les présidents ne sont pas des rois. Abraham Lincoln, qui nous a implorés de rejeter la malveillance. Franklin Roosevelt, qui nous a incités à rejeter la peur.

Thomas Jefferson est l’auteur principal de la Déclaration d’indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776. On résume souvent ces « mots immortels » par sa première phrase, gravée sur le Jefferson Memorial :

Nous tenons pour des vérités évidentes que tous les hommes sont créés égaux, qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, que parmi ceux-ci figurent la Vie, la Liberté et la recherche du Bonheur.

Des proclamations d’Abraham Lincoln, l’histoire retient avant tout la brève adresse de Gettysburg, prononcée le 19 novembre 1863, en pleine guerre de Sécession. Mais lui-même considérait que son chef-d’œuvre était son second discours inaugural, prononcé le 4 mars 1865. Selon un usage fréquent, les historiens le désignent souvent par son passage le plus remarquable, qui sert notamment de titre à l’un des ouvrages de Jack E. Levin :

Sans malveillance envers personne


Quant à Franklin Roosevelt, 32e président des États-Unis, sa citation la plus célèbre est sans doute ce bref passage de sa première déclaration présidentielle du 4 mars 1933 :

La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même

 Reste George Washington. Beaucoup pensaient que le premier président des États-Unis se ferait couronner roi d’une ancienne colonie anglaise où le système républicain restait une nouveauté. George Washington s’est contenté de se retirer sans épiloguer. Biden est revenu sur le sujet à la fin de son allocution, en citant une formule d’un autre personnage emblématique des États-Unis, l’un des Pères fondateurs signataires de leur Constitution :

Quand on a demandé à Benjamin Franklin si les fondateurs avaient donné à l’Amérique une monarchie ou une république, la réponse de Franklin a été : « Une république, si vous pouvez la garder. A republic, if you can keep it »

Benjamin Franklin plutôt que Kamala Harris

Ainsi, dans un discours d’adieu mûrement médité, clairement destiné à forger son image pour l’éternité, quand le président Biden se place sous le patronage de cinq grands ancêtres très révérés, il se réfère à quatre d’entre eux non à travers leurs actes ou leurs décisions mais à travers leurs paroles. 

Corrélativement, il se garde d’évoquer la perspective d’une défaite dans l’élection à venir, qui pourtant motive sa resignation (le faux-ami est ici de circonstance). Comme le relève Anthony Zurcher correspondant de la BBC aux États-Unis, « Il a consacré plus de temps à Benjamin Franklin qu’à sa vice-présidente ‑ la personne quil a soutenue dimanche et qui sera la principale porteuse de flambeau pour son héritage dans les prochains mois[ii] ».

« On passe à l’Histoire par des discours », affirme Sylvain Tesson[iii]. Une petite phrase devenue citation demeure un lien entre le leader d’autrefois et le peuple qui la conserve. Les mots historiques alimentent un récit national. En dehors de toute théorie historique, c’est ainsi que l’histoire est vécue : à travers des personnages remarquables qui demeurent présents à travers leurs paroles remarquées.

Et les mots sont si puissants que, jusqu’à deux siècles plus tard, l’ethos de leurs auteurs ruisselle sur celui de Joe Biden lui-même. « Son départ restera dans les mémoires comme le plus beau moment de ses cinquante ans à Washington », affirme Stephen Collinson, de CNN, dans un hommage ambigu. « Ses adieux politiques resteront dans les mémoires comme le personnage de Macbeth chez Shakespeare, qui agit avec dignité et humilité lors de son exécution et dont on dit : "Rien dans sa vie ne lui convenait autant que de la quitter[iv]." »

Michel Le Séac’h

 

Photo : Gage Skidmore from Surprise, AZ, United States of America, CC BY-SA 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0>, via Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Joe_Biden_(49385647696).jpg



[i] Meuble historique utilisé par la plupart des présidents américains depuis que la reine Victoria en a fait cadeau aux États-Unis. Le bois dont il est fait provient du navire polaire britannique HMS Resolute.
[ii] Anthony Zurcher, « Biden sidesteps hard truths in first speech since quitting race », BBC, 25 juillet 2024, https://www.bbc.com/news/articles/crg5pq8ql1vo
[iii] Nicolas Sarkozy et Sylvain Tesson, propos recueillis par Martin Bernier et Vincent Trémolet de Villiers, Le Figaro, 18 septembre 2023.
[iv] Stephen Collinson, « Biden’s Oval Office address now hands debate over democracy to Harris », CNN, 25 juillet 2024, https://edition.cnn.com/2024/07/25/politics/biden-oval-office-address-analysis/index.html