Depuis que Donald Trump a annoncé un durcissement de la politique d’accueil aux États-Unis, les migrants affluent à la frontière du Canada. Les plus nombreux sont les Haïtiens, potentiellement un demi-million d’expulsables, dont beaucoup voudraient chercher refuge au Québec.
Longtemps très ouverts à l’immigration, les Canadiens ont profondément
évolué sur ce sujet depuis deux ou trois ans. Le Premier ministre Justin
Trudeau, qui incarnait l’ouverture aux migrants, était en chute libre dans les
sondages. Début janvier, il a préféré annoncer sa démission. Son successeur à
la tête du Parti Libéral, Mark Carney est favorable à une politique de quotas
restrictive.
À l’approche des élections législatives du 26 avril
prochain, les débats se tendent spécialement dans la Belle Province.
Interrogé le 8 avril par la chaîne d’information publique ICI RDI, Jean-François
Roberge, ministre québécois de l'Immigration, de la Francisation et de
l'Intégration, a déclaré : « on ne peut pas accueillir toute la
misère du monde ».
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Capture d'écran d'ICI RDI ; à gauche, Gérard Fillion, à droite Jean-François Roberge |
Le présentateur Gérard Fillion a tenté de le chapitrer : « Si c'est pas le Canada qui accueille la misère du monde, qui sur la planète Terre peut accueillir des personnes expulsées, avec une politique sur l'immigration, les migrants, très brutale de la part de l'administration américaine ? » M. Roberge, a persisté : « Le fait qu'il y ait des drames humains (…), ça n’augmente pas à chaque fois notre capacité d'accueil, on peut pas prendre sur nos épaules toute la misère du monde. » Et aussi : « Oui, on doit faire notre part, mais on ne peut pas accueillir toute la misère du monde.(…) Oui le cœur sur la main, oui il faut faire notre part, mais on peut pas faire plus que notre part. »
Trois petites phrases vénéneuses
Plus encore que la « misère du monde », ce « il
faut faire notre part » indique clairement d’où vient l’inspiration de M.
Roberge. On se souvient que Michel Rocard, Premier ministre socialiste, avait
déclaré en 1989 : « la France ne peut pas accueillir toute la misère
du monde ». Cette petite phrase, sa citation la plus connue,
est abondamment reprise depuis lors dans les débats sur l’immigration, souvent
sans mention d’origine, comme une sorte de dicton. Elle n’est plus nécessairement attachée à Michel
Rocard. Mais, poursuivi par les critiques de ses amis, celui-ci avait plus tard
prétendu ‑ contre toute évidence ‑ qu’on avait tronqué sa phrase. Elle aurait été
assortie en réalité de cette réserve : « …mais elle doit en prendre
fidèlement sa part ». Ses amis avaient fidèlement pris part à cette tentative
de correction,
jusqu’à Emmanuel Macron qui la validait en 2017.
La journaliste québécoise Nathalie Collard voit dans cette
version corrigée « une
tentative de révisionnisme de la part de Rocard qui semble vouloir réécrire
l’Histoire en transformant une déclaration anti-immigration en déclaration
d’ouverture ». À ses yeux, ce « prendre sa part » n’atténue en
rien la déclaration de M. Roberge mais en réalité l’aggrave.
Une autre journaliste québécoise, Marie-France Bazzo, s’inquiète de l’évolution du débat politique en évoquant « trois petites phrases vénéneuses », « trois petites phrases toutes faites qui ont beaucoup tourné ces derniers temps » :
- D’abord, celle de Jean-François Roberge : « le Québec ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
- Ensuite, la réponse que lui oppose l’écrivain et académicien franco-canadien d’origine haïtienne Dany Laferrière. Il a « rétorqué que l’immigration haïtienne était au contraire "toute la richesse du monde". "Ils seront la richesse du Québec dans une génération". » Pour la journaliste, un pays a le droit de fixer des limites de nombre.
- Enfin, « la troisième petite phrase déroutante vient de Trump : "These countries are calling us up, kissing my ass". ("Ces pays nous appellent et me lèchent le cul.") »
« Ces trois phrases représentent bien un monde façonné
par Trump », assure Mme Bazzo. « Il est en voie de détruire non
seulement l’économie planétaire et l’ordre mondial. Mais il ruine aussi
l’empathie. » Quel précurseur que Michel Rocard !
M.L.S.
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