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22 avril 2025

François, pape de petites phrases

La locution profane la plus souvent associée au pape François, décédé ce lundi, est probablement « petites phrases ».

« Mort du pape François : ces petites phrases qui ont marqué son pontificat » titre Ouest-France, qui publie un florilège. 20 Minutes en fait autant sous le titre : « Mort du pape François : "Azheimer spirituel", "Les femmes, il en faut toujours plus"… Ses petites phrases chocs », Le Parisien aussi, sous le titre « Mort du pape François : ses bons mots et ses phrases chocs pour bousculer les consciences ». « Retour sur ces petites phrases qui ont contribué à sa popularité », propose Europe1. Les Échos rappelle ses « discours simples, souvent improvisés, truffés de petites phrases percutantes et parfois déconcertantes ». Le Point se souvient des « petites phrases abruptes lâchées par le pontife dans son avion »

Les papes ont toujours disposé de moyens d’expression nombreux : sermons, bulles, encycliques… Mais Jorge Bergoglio aura montré un talent particulier dans l’utilisation des formules concises qui marquent un public. En douze ans de pontificat, elle ont été nombreuses. On a retenu, par exemple :

  • « Nous ne pouvons pas devenir des chrétiens amidonnés qui discutent de théologie en prenant le thé » (2013)
  •  « Le confessionnal n’est pas une teinturerie qui ôte les taches des péchés, ni une séance de torture où l’on inflige des coups de bâton » (2013)
  • « L'euthanasie est un non à Dieu, la volonté de décider soi-même du terme d'une vie. » (2014)
  • « Certains croient, excusez-moi du terme, que, pour être bons catholiques, ils doivent être comme des lapins » (2015)
  • « Nous sommes tous des migrants » (2016)
  • L’avortement, « c’est comme avoir recours à un tueur à gages pour résoudre un problème » (2018)
  • « Au siècle dernier, tout le monde était scandalisé par ce que faisaient les nazis pour veiller à la pureté de la race. Aujourd'hui nous faisons la même chose en gants blancs » (2018)
  • « Les personnes homosexuelles ont droit à être dans une famille, ce sont des enfants de Dieu, elles ont droit à une famille » (2020)
  • « Il faut opposer au populisme le popularisme » (2021)
  • « Soyez les champions de la fraternité, les semeurs de fraternité et vous serez les moissonneurs de l’avenir, car le monde n’aura d’avenir que dans la fraternité ! » (2022)
Ce don avait été repéré dès ses débuts. Trois mois après l’élection papale de mars 2013, Jean-Marie Guénois s’interrogeait déjà dans Le Figaro sur ce qui se trouvait « derrière la cacophonie des petites phrases du pape François ». Cinq mois plus tard, La Vie résumait déjà « le pape François en 40 phrases »

Un public bienveillant

Les petites phrases marquent un public. Mais le public fait un tri. Les fidèles ne se sont pas trop laissés marquer par certaines déclarations susceptibles de mal tourner. «L'avortement n'est pas un mal mineur, c'est un crime», en est un exemple. Ce jugement radical de 2016, réitéré sous d’autres formes, aurait pu (dû ?) lui aliéner au pape une bonne partie des catholiques ; ils ont préféré ne pas trop s’en soucier. De même qu’ils ne se sont pas trop attardés sur sa quasi-négation de l’enfer, une audace théologique : « Le Seigneur est bon. Il sauvera tout le monde. Ça il ne faut pas le dire trop fort. »

Les Français en particulier ne paraissent pas lui avoir tenu rigueur d’avoir déclaré en janvier 2015 : « Si un ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal ». Cette opinion bien éloignée du « tendez la joue gauche » (Matthieu 5:38-45) paraît exonérer les auteurs du massacre de Charlie Hebdo, commis la semaine précédente. Ce n’est pas une simple étourderie puisque le pape ajoutait : « On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision. » Les Français ne se sont pas scandalisés non plus de l’entendre déclarer à plusieurs reprises, avant un déplacement de 2023 : « Je vais à Marseille, pas en France », prélude à son refus d’assister à la réouverture de Notre-Dame-de-Paris. 

Microrhétorique papale

Certains ont estimé que, chez le pape François, l’usage des formules concises et frappantes témoignait de son côté « latino ». Or il était manifestement délibéré. Ainsi que le notait La Vie en 2021, « c’est une tradition à laquelle le pape François déroge rarement : la petite phrase aussi sibylline que polémique prononcée sur un ton badin lors de la conférence de presse donnée dans l’avion de retour d’un voyage apostolique. »

La construction de ses petites phrases met en évidence leur caractère de microrhétorique.

Comme ses prédécesseurs, il bénéficiait de l’ethos du chef de l’Église ; il l’a cultivé en veillant toujours à rappeler son rôle prééminent en s’exprimant de manière assertive, voire à l’impératif. Son logos soigné frappait les esprits : il procédait par phrases brèves, le plus souvent au présent, employait abondamment la première personne du pluriel, et surtout utilisait les métaphores avec un art consommé (« comme des lapins », « tueurs à gage », « chrétiens amidonnés »…). Enfin, il savait fort bien jouer avec le pathos de publics spécifiques, comme la Curie romaine, dont il dénonçait en 2014 les quinze « maladies ».

Ainsi, pendant la totalité de son pontificat, comme disait Pascal Praud dès 2015 sur RTL, François aura été « un pape de petites phrases ».

Michel Le Séac’h

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