La déclaration de candidature d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2022 fait un tabac ! Elle est l’œuvre d’un algorithme d’intelligence artificielle. Il y a bien longtemps que des humoristes ont proposé des générateurs de langue de bois, dans la foulée du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert ou de l’Exégèse des lieux communs de Léon Bloy. On en trouve en ligne chez Odexa, ActuFinance, Nota-PME et d’autres. Mais celui-ci est spécialisé dans le « parler Macron ». On s’y croirait ! On s’y croirait, et en même temps, on sent qu’il manque quelque chose. On y reviendra plus bas.
Ce texte est l’épilogue fantaisiste d’un ouvrage tout à fait sérieux, Macron ou le mystère du verbe – Ses discours décryptés par la machine, un gros livre (342 pages) à la présentation sobre et qualitative. Son auteur, Damon Mayaffre, enseigne à l’Université Côte d’Azur. Docteur en histoire, il a bifurqué vers la linguistique via l’étude logométrique du discours politique. Après Chirac, Sarkozy et les autres, il se penche sur celui d’Emmanuel Macron ‑ du moins celui du « jour d’avant » puisque la pandémie de covid-19 a changé subitement le discours du chef de l’État. Le livre est fondé sur l’étude de cent discours soumis au crible du logiciel Hyperbase développé par l’Université Côte d’Azur et le CNRS.
Il est divisé en trois parties : la « naissance » d’Emmanuel Macron en 2017, sa « généalogie » révélée par les parentés de son discours avec celui de ses prédécesseurs et son « actualité », c’est-à-dire ses principales thématiques.
Spécificités
du discours macronien
Dès sa naissance, le discours d’Emmanuel Macron privilégie le mouvement (le nom « En Marche ! » en est témoin). Avant l’élection présidentielle il est truffé de verbes comme « changer », « transformer », « bouger », « construire » et toute une série de mots en « re- » : « renouveler », « refonder », « réformer », « recréer » et les substantifs correspondants. Emmanuel Macron adore la lettre « r », plaisante Damon Mayaffre.
S’y ajoute une particularité remarquable repérée par la logométrie : « Chez Macron, les verbes de changement sont très souvent employés de manière intransitive, c’est-à-dire sans complément d’objet. (…) Macron peut répéter ‘’je veux transformer’’, ‘’il faut réformer’’, sans avoir à préciser l’objet politique de la transformation ou des réformes souhaitées : le mouvement présenté comme une fin en soi » (p. 62). Ce que confirme la fréquence, dans ses discours, du suffixe « -tion » (évolution, libération…), qui connote le mouvement.
S’il est question de « projet », ce mot lui-même est répété « pour ne pas nécessairement avoir à dire de quel projet il s’agit ». Les pronoms « je » et « nous » sont multipliés « pour fabriquer une communauté de destin indépendamment du contenu ou du programme » et « s’en tenir au processus pour performer un consensus qui apparaîtra d’autant plus évident qu’il est non explicité ». Est-ce spontané ou délibéré ? Le résultat en tout cas, est que « la parole que Macron s’applique à prononcer est consciemment fuyante en cherchant à ne rien dire de net qui puisse choquer, diviser, idéologiser. »
Ex
Machina
Les cent discours analysés constituent donc un « corpus » fragile et définir le « macronisme » est difficile. Damon Mayaffre y voit d’abord une « rhétorique du processus ». Mais il se présente aussi comme un « pragmatisme », une « rhétorique de l’explication, un discours du ‘’parce que’’ », une « troisième voie entre l’ultra-libéralisme et le social-réformisme » et un « idéal européen ». Le « mystère du verbe » est loin d’être totalement levé.
Si la logométrie permet de repérer la structure du discours macronien dans la première partie du livre, elle met aussi en évidence, dans la troisième partie, quatre thématiques prioritaires : l’économie, la société, le social et le régalien (qui inclut l’Europe). La santé n’y est pas, pour des raisons de calendrier : la grande majorité des discours cités datent de la période 2017-2019 et sont donc antérieurs à l’épidémie de covid-19. L’auteur examine le sujet à part, dans un avant-propos intitulé « Macron ‘’ex machina’’ » ‑ autrement dit, un commentaire de texte rédigé sans l’aide de l’ordinateur.
Et à vrai dire, ce qualificatif pourrait aussi concerner largement la troisième partie du livre. L’ordinateur repère les thèmes du discours à travers des mots, voire des phrases. Rien de plus en réalité. Damon Mayaffre leur donne du sens par le commentaire. Il est dommage qu’il manifeste souvent des sentiments personnels à l’égard de son sujet d’étude. Exemple : « La forme la plus anecdotique de cette présidence publicitaire est sans doute l’éloge funèbre que le premier des Français se sent obligé de prononcer, devant les caméras de télévision, pour un chanteur franco-belge exilé fiscal aux États-Unis et aux mœurs dissolues, mais dont le chef de l’État semblait vouloir récupérer auprès des fans un peu d’aura et de notoriété » (p. 178).
Emprunts
ou ressemblances ?
Revenons sur la deuxième partie du livre. Elle examine les « emprunts du discours » d’Emmanuel Macron à « ses huit devanciers » (sept en réalité), les précédents présidents de la Ve République. « L’intelligence artificielle peut chiffrer avec précision ces emprunts multiples », assure l’auteur ; « après apprentissage, l’algorithme évalue chaque phrase de Macron pour lui trouver une forme de paternité ou de source d’inspiration dans le corpus présidentiel » (p. 126). L’ordinateur de Damon Mayaffre calcule même un « taux d’inspiration » : Emmanuel Macron serait ainsi inspiré à 2 % par de Gaulle, 7 % par Pompidou, 3 % par Giscard, 12 % par Mitterrand, 21 % par Chirac, 29 % par Sarkozy et 26 % par Hollande.
Mais comment faire la part de ce qui est « emprunt » ou « inspiration » et de ce qui est air du temps ou préoccupations communes chez les titulaires successifs d’une même fonction ? « Quand Macron imite Giscard, nous versons ainsi dans un discours sans visage ni patrie », écrit par exemple Damon Mayaffre. Faut-il y voir une imitation de l’un par l’autre ou plutôt la marque commune d’un passage par l’ENA et l’Inspection des finances ? Sans doute, « à quarante ans de distance, Macron se rapproche de Giscard […] sur un thème particulier et récurrent du débat politique français : le nucléaire. » Ce rapprochement n’est pas quantitatif : Emmanuel Macron parle peu du nucléaire – moins que Mitterrand ou Sarkozy. Mais ses positions « rappellent étrangement celles de Giscard d’Estaing ». On soupçonne pourtant que tous deux parlent métier, tout simplement : l’un a présidé au grand programme nucléaire, le second est soumis à la clause de revoyure implicite de ce programme après quarante ans de vie des premières centrales.
Les petites phrases absentes
« Pour qui n’a qu’un marteau, tout a l’air d’un clou », disait Abraham Maslow. Ici, l’algorithme examine tous les passages de Macron et mesure systématiquement leurs ressemblances avec les discours des présidents précédents. Fatalement, il en trouve. Mais conclure à des inspirations ou des emprunts peut être une extrapolation hâtive. Exemple : « Jacques Chirac articule, pendant douze ans, majoritairement des platitudes ou des généralités. Et Emmanuel Macron, lorsqu’il l’imite, n’hésite pas à prononcer quelques discours à l’eau tiède, mouillés de bons sentiments et pleins de vide » (p. 185). On soupçonne que cette « imitation de J.C. » est en fait un caractère commun aux adeptes de la langue de bois. Mais puisque seuls les discours de Chirac figurent dans la base de données, le logiciel conclut que ceux de Macron s’en inspirent.
Si ce livre est riche en observations, son principal enseignement est « en creux ». « Comprendre le macronisme, c’est d’abord – tel est le postulat de ce livre – comprendre les mots-images, les phrases-idées, les discours-symboles par lesquels Emmanuel Macron s’exprime et espère convaincre les Français. » Cependant, si le logiciel repère bien les mots, les phrases et les discours, il ne saisit pas encore bien les images, les idées et les symboles. Surtout, il ne saisit pas les sous-entendus et l’arc émotionnel que les mots peuvent traduire ou susciter entre un leader et son peuple. C’est pourquoi il ignore les petites phrases.
Ces dernières, pourtant, traversent furtivement le livre : « supposons que Macron prononce une phrase comme ‘’vous n’avez pas le monopole des sentiments’’ ou même ‘’vous n’avez pas l’exclusivité des sentiments’’ ou encore ‘’le monopole du cœur n’est pas votre propriété’’. Alors, le logiciel identifiera automatiquement, après examen du lexique, de la grammaire et de la syntaxe, une ressemblance linguistique avec Giscard d’Estaing lors de son fameux débat avec Mitterrand en 1974 » (p. 126). Mais saurait-il exclure « vous n’êtes pas le seul à posséder un muscle cardiaque » ? Comprendrait-il la ressemblance sémantique avec : « cessez donc d’arborer vos sentiments en bandoulière » ?
La
singularité confirmée des petites phrases
Mieux encore : « supposons maintenant que Macron s’écrie à la tribune : ‘’Je vous ai entendus !’’ Hyperbase détectera l’inspiration gaulliste d’un discours de juin 1958 à Alger » (p. 126). Mais Hyperbase ignorera probablement le double sous-entendu du « je vous ai compris » gaullien (« …mais je ne ferai pas ce que vous désirez » pour l’un, « …donc il fera ce que nous désirons » pour les autres). Hors contexte, n’importe quel politicien peut dire « je vous ai compris », « je vois ce que vous voulez » ou « je perçois vos désirs » sans que le rapprochement avec de Gaulle soit le moindrement pertinent. Paradoxalement, Emmanuel Macron lui-même a bel et bien dit « Je vous ai compris » dans un discours du 18 février 2017. Hyperbase ne l’a pas repéré car ce discours ne figurait pas dans la base de données.
Celle-ci n’incluait pas non plus les discours d’Emmanuel Macron à l’étranger car ils « ne sont pas directement adressés aux Français et se trouvent très contraints linguistiquement par les circonstances et par le protocole » (p. 50). Mais les Français écoutent leur président même quand il ne s’adresse pas directement à eux ! Certaines de ses petites phrases les plus remarquées ont été prononcées à l’étranger (« le Gaulois réfractaire » au Danemark, « les Français détestent les réformes » en Roumanie, « la colonisation est un crime contre l’humanité » en Algérie…).
En les ignorant, ce livre confirme implicitement le caractère singulier des petites phrases dans le discours politique. Encore inaccessibles à l’intelligence artificielle, elles impliquent à la fois l’orateur et l’auditoire. Une petite phrase, saillante et détachable, c’est justement ce qui manque au pastiche, réussi par ailleurs, de la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron. Peut-être n’en est-il que plus vrai à cause de cela : la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron en 2016 n’en contenait pas non plus. Mais le président de la République a sans doute assez appris pour ne pas refaire cette erreur.
Michel Le Séac’h
Damon Mayaffre
Macron ou le mystère du verbe – Ses discours décryptés par la machine
Éditions de l’Aube, 2021. ISBN 978-2815937467.
342 pages, 24 €.
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