Dans son dernier livre, paru au début de cette année, Alain Duhamel s’amuse à attribuer aux présidents de la Cinquième République des surnoms à la manière des monarques de l’Ancien régime. Le général de Gaulle eût été Charles le Grand, Mitterrand, François le Hutin, etc. « Quant à Emmanuel Macron, écrit l’essayiste, c’est Emmanuel le Hardi qui semble le plus approprié, comme pour Philippe III le Hardi au XIIIe siècle ». Cette référence est-elle bien judicieuse ?
« Dans la galerie des rois de France, il n'y a guère
de figure plus effacée et plus sacrifiée que celle de Philippe III », constate le grand médiéviste Charles-Victor Langlois dans la biographie qu’il a
consacrée à ce fils de saint Louis. « Les chroniqueurs du moyen âge
sont discrets sur son compte ; les écrivains modernes lui ont reproché en
passant son "incurable incapacité". Il n'est connu que par son surnom
énigmatique, qui a fait le désespoir des commentateurs, car on n'attribue à ce
prince aucun trait marqué d'héroïsme ou de témérité. »
Alain Duhamel en attribue davantage à Emmanuel Macron. « Qui peut nier ses aptitudes à prendre les décisions les plus difficiles et les plus osées ? » demande-t-il, le comparant à Churchill, Disraeli et Guizot. Son livre n’éclaire pas totalement le personnage, cependant. Il est en grande partie consacrée à de vastes tours d’horizon sur l’état de la démocratie française et la géopolitique de l’Europe, ou encore à la présentation des candidats potentiels à l’élection présidentielle de 2022. Ces tableaux sont bien troussés, comme toujours. Mais le personnage principal reste dans une semi-obscurité.
Peut-être la hardiesse du Hardi est-elle surtout de la jeunesse et de l’inexpérience. En tout cas, les nobles intentions achoppent parfois sur l’exécution. Si le président de la République « inspire et contrôle de très près la construction de son image », il est aussi, « en même temps », le premier acteur de sa dégradation. Il soigne « ces grands discours qu’il signe d’un style », ses écrits « témoignent de sa hardiesse et de la diversité de ses talents d’expression » mais il multiplie les bévues et les gaffes qui lui aliènent une bonne partie des Français et des corps constitués.
Les
petites phrases, un mystère pas éclairci
Alain Duhamel, en dépit de sa bienveillance, ne peut que le
constater : « la France a un jeune président entreprenant et
audacieux mais clivant et, on l’a vite constaté de petites phrases
intempestives en petites phrases provocatrices, imprudent » (p. 52).
Ah ! « les fameuses ‘’petites phrases’’, aussitôt happées par dix
smartphones, aussitôt relayées par vingt sites aux aguets, aussitôt répercutées
sur les réseaux sociaux, tambourinées et trompetées sur les chaînes
d’information continue ». Le président serait ainsi victime
d’une « malédiction des ‘’petites phrases’’ ».
Mais si telle est leur importance, pourquoi l’analyste subtil qu’est Alain Duhamel ne cherche-t-il pas davantage à explorer leur genèse et leur fonction ? Elles ont au moins une part de mystère, pourtant, puisque « parfois aussi, des ‘’petites phrases’’, lancées sur le ton de la plaisanterie, sans penser à mal, colportant d’ailleurs une part de vérité, allument néanmoins des incendies médiatiques aussi théâtraux que disproportionnés ». Le constat est un peu court. Est-ce le « ton de la plaisanterie » ou la « part de vérité » qui déclenche l’incendie ? Ou autre chose encore, qu’Emmanuel le hardi ne cherche pas à tirer au clair ?
Si les smarphones, les réseaux sociaux, les chaînes d'information continue accélèrent la circulation des « fameuses petites phrases », ils ne les créent pas. Le peuple n'avait pas besoin de smartphone pour se répéter « Delenda est Carthago » en quittant le Sénat ou « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace » aux portes de l'Assemblée. L’ombre qui demeure sur le personnage d'Emmanuel Macron demeure aussi sur ce qui aura aussi été une grande caractéristique de son mandat, les petites phrases accrochées à ses basques. Mais peut-être Alain Duhamel, qui a toujours la plume alerte, prépare-t-il déjà un Emmanuel le clivant pour en dire plus.
Michel Le Séac’h
Alain Duhamel, Emmanuel le hardi, Paris, Les Éditions de l’Observatoire, 286 pages, 20 €
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire