22 septembre 2021

Petites phrases vertes : les épines de la campagne

Pour un parti, désigner un candidat à la présidence de la République par un processus de primaires, c’est inévitablement ouvrir la voie à des petites phrases négatives. Les adhérents d’un parti sont plus ou moins d’accord sur les idées essentielles. Le débat porte sur les personnes, le leadership. Il ne suffit pas à un candidat de se montrer sous son meilleur jour, il doit montrer qu’il mènera les siens à la victoire. Ce qui suppose d’afficher sa force, au moins symboliquement.

La nature en donne partout des exemples. Or l’homme fait partie de la nature, les écologistes ne diront pas le contraire. Le premier tour de leurs primaires avait lieu dimanche dernier. À peine les deux finalistes désignés, les petites phrases commencent. « Il y a un clivage assez clair qui se dessine entre une écologie d’accompagnement et une écologie de transformation ; je porterai la seconde », déclare Sandrine Rousseau, qualifiée pour un second tour face à Yannick Jadot. Avec cette déclaration, elle « installe le match », commente Le Figaro (21 septembre).

Lundi, le ton monte. Alice Coffin, conseillère de Paris et soutien de Sandrine Rousseau, assure que « choisir Yannick Jadot, c’est refaire un Macron ». Circonstance aggravante, elle s’exprime dans Reporterre, le quotidien en ligne favori des écologistes.

 


Matthieu Orphelin, député non inscrit (ex EELV, ex LREM) proche de Yannick Jadot, proteste dans un tweet : « Le format duel du second tour est propice aux dérapages, petites phrases et attaques inutiles et dégradantes, à chacune et chacun de veiller à les limiter. » On note qu’il parle de les « limiter » pas de les éliminer. C’est l’expérience qui parle, sans doute. Protagoniste de la campagne présidentielle EELV de 2012 (2,31 % des voix), il en a décrit les manières dans ses Chroniques d’un élu écolo : ce n’est pas joly-joly…

Il serait vain de la part des écologistes d’attendre un débat « bienveillant et apaisé » où l’on s’échangerait, au pire, du Jadot à moitié plein et du Rousseau à moitié vide, ou inversement. Il est plus raisonnable de compter sur la sagesse des candidats : à eux d’éviter les petites phrases « assassines » qui pourraient vite devenir suicidaires. Et s’ils n’ont pas cette sagesse ? Eh bien, mieux vaut sans doute qu’ils ne soient pas président. Aux électeurs d’en juger. La sélection naturelle, c’est eux.

Michel Le Séac’h

12 septembre 2021

Michel Barnier : « Qui imagine la Cour de justice européenne mise en examen ? »

D’une seule phrase, Michel Barnier a soulevé jeudi dernier une énorme agitation dans les milieux politiques et médiatiques. Personne n’a parlé de « petite phrase », pourtant. Et pour cause. Cette phrase, prononcée lors d’une journée parlementaire des Républicains, la voici :

Nous ne pouvons pas faire tout cela sans avoir retrouvé notre souveraineté juridique, en étant menacés en permanence d'un arrêt ou d'une condamnation de la Cour de justice européenne ou de la Convention des droits de l'homme, ou d'une interprétation de notre propre institution judiciaire.

Une phrase de 45 mots peut pouvait difficilement être qualifiée de « petite ». Et celle-ci ne semble pas avoir ému le grand public. Mais que les commentaires des spécialistes se soient focalisés sur elle a de quoi surprendre. Le message important, a priori, était le « faire tout cela » : ce que le candidat à la présidence de la République s’engage à réaliser s’il est élu. En l’occurrence, un moratoire de l’immigration comprenant une quinzaine de mesures : durcir les conditions du regroupement familial, distribuer des cartes vitales biométriques, renforcer Frontex, etc.

Ces mesures avaient déjà été avancées par Michel Barnier dans une tribune du 28 juillet 2021. L’une d’elles était ainsi libellée : « Loi constitutionnelle pour garantir la primauté du droit français en la matière. » C’est-à-dire, en douze mots, exactement la même chose que le 9 septembre en quarante-cinq. La bouffée d’indignation de ces derniers jours pourrait donc bien être le fruit d’une réflexion plutôt qu’une réaction spontanée.

Les positions sont, dépêche AFP aidant, assez stéréotypées :

  • Stupéfaction à Paris et Bruxelles après les critiques de Barnier contre la justice européenne – Le Parisien
  • La classe politique divisée après les critiques de Michel Barnier contre la justice européenne – Le Figaro
  • Michel Barnier provoque la consternation en Europe – Les Échos
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier consternent Bruxelles – Challenges
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier sèment la consternation à Bruxelles – Le Monde
  • Les propos de Michel Barnier contre la justice européenne créent la stupéfaction – Ouest-France

On note que ces réactions sont « bruxelloises », alors que l’avertissement de Michel Barnier vise tout autant le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État français. Évidemment, si un ancien commissaire européen est capable de contester aussi ouvertement la suprématie du droit européen, les autres candidats à la présidence pourraient surenchérir. Le risque est clair pour des institutions européennes déjà fragilisées par le Brexit et les attitudes de certains pays d’Europe de l’Est.

Les partisans de la supranationalité, alertés par les propos du 28 juillet, auraient pu la jouer lénifiante : « les institutions européennes respectent la souveraineté juridique des États membres dans le cadre prévu par les Traités », etc. Au contraire, ils ont saisi la première occasion explicite pour déclencher un tir de barrage. Et non contents de contester la proposition, ils attaquent l’homme lui-même. « Cela le discrédite complètement », proclame par exemple Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste. De là à penser qu’ils tapent fort pour tenter de dissuader d'éventuels imitateurs…

 Se montrer ferme ou pas

L’épisode contient aussi une leçon pour Michel Barnier en tant que candidat à la présidence. Expert ès milieux européens, il ne pouvait ignorer ni le caractère scandaleux de l’expression « primauté du droit français » ni la virulence de ces milieux envers les contestataires. Dès la révélation de ses intentions, c’est-à-dire dès le 28 juillet, il aurait dû s’attacher à leur donner une forme plus visible afin d’imposer sa marque, d'afficher une autorité intellectuelle.

François Fillon, lui aussi, savait bien qu’il allait scandaliser une partie de son propre camp en lançant, fin août 2016, son fameux « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? ». Une question rhétorique, largement qualifiée de petite phrase, elle. Les critiques avaient été vives mais l’ancien Premier ministre, lui aussi réputé terne et pondéré, avait acquis une stature.

À retardement, Michel Barnier cherche à présenter sa position au grand public le 9 septembre avec ce tweet : « Il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH. » Même si les sigles sont ésotériques pour beaucoup, la position se veut claire et déterminée : Michel Barnier est à l’offensive.

Cependant, devant la vivacité des réactions, l’ancien commissaire européen retire son tweet ! Il lui substitue celui-ci : « Restons calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera qu’à la politique migratoire. » Ses adversaires restent maîtres du terrain de la twittosphère. Son geste de soumission, ou au moins de conciliation, a sûrement ses raisons mais risque d’obérer la suite d'une campagne présidentielle.

Michel Le Séac’h

Illustration : Michel Barnier en 2017, photo The Jacques Delors Institute, licence CC B Y 2.0 via Wikimedia Commons

07 septembre 2021

Sans petite phrase vacharde, où ira Xavier Bertrand ?

À propos de l’élection présidentielle de 2022, Le Figaro a publié hier un sondage d’autant plus intéressant qu’il écarte toute certitude ! « La compétition électorale reste très ouverte », lit-on. Était-on mieux fixé il y a cinq ans ? « Présidentielle : un sondage donne la gauche éliminée au premier tour dans tous les cas » titrait Le Monde le 7 septembre 2016. François Hollande serait devancé par Marine Le Pen et le candidat de droite, Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé. Il allait couler encore beaucoup d’eau sous les ponts, trois de ces quatre-là étant exclus du jeu.

Quelques jours plus tôt, le 28 août 2016, François Fillon avait posé la fameuse question : « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » Il était alors classé en quatrième position dans les sondages sur la primaire de la droite et du centre. Moins de trois mois plus tard, il devancerait finalement Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et Bruno Le Maire. Et on le donnerait pour largement élu en 2017. Cependant, Emmanuel Macron venait de se déclarer candidat le 16 novembre…

Instruits par l’expérience, on sent que les candidats d’aujourd’hui marchent sur des œufs. Xavier Bertrand « a demandé à ses troupes de ne se livrer à aucune critique ni petite phrase vacharde vis-à-vis des équipes adverses », révèle Marion Mourgue dans Le Figaro[1]. Est-ce si raisonnable ?

Pas de leader silencieux

Une petite phrase est un instrument de leadership. Ce n’est pas seulement une déclaration, c’est un processus : il ne suffit pas qu’elle soit émise par un candidat, encore faut-il qu’elle soit admise par le public. En retenant une petite phrase, celui-ci adoube un leader (positif ou négatif, mais c’est une autre histoire). Une petite phrase vacharde n’est pas différente des autres. Chez toutes les espèces sociales, les individus dominants s’affrontent avec les moyens du bord : cornes, crocs, griffes, ergots… Chez l’homme, avec des mots. Ça peut faire aussi mal mais c’est moins dangereux pour la survie de l’espèce. Ex « Mister Nobody », François Fillon a pris le dessus grâce à une petite phrase. Elle allait finalement faire sa perte, mais là encore c’est une autre histoire.

Personnage nouveau en politique, Emmanuel Macron avait lui-même été distingué par plusieurs petites phrases avant de se déclarer candidat (« Les femmes salariées de Gad, pour beaucoup illettrées », « Le traité de Versailles de la zone euro », « La gauche a pu croire que la France pourrait aller mieux en travaillant moins », « Le libéralisme est une valeur de gauche », « La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler », etc.). Elles lui avaient valu de solides inimitiés, mais elles avaient aussi établi sa stature dans l’électorat. Elles avaient fait de lui un leader crédible.

En s’interdisant les petites phrases, Xavier Bertrand joue la sécurité. Il fait profil bas. Au risque d’en rester là.

Michel Le Séac’h

Photo : Xavier Bertrand en campagne pour François Fillon le 5 avril 2017. Photo Thomas Bresson via Flickr, licence CC BY 2.0.
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[1] Marion Mourgue, « Le faux plat de Xavier Bertrand », Le Figaro, 6 septembre 2021.