Nicolas Sarkozy a-t-il été condamné pour une petite phrase ? Évidemment non, mais même si elle ne figure pas au dossier, elle pourrait bien en être un élément à charge.
Le 7 octobre 2007 Invité de l'émission Vivement dimanche prochain sur France 2, le président de la République racontait une séance solennelle à la Cour de cassation. Il avait été frappé par l’homogénéité des hauts magistrats : « mêmes origines, même formation, même moule, la tradition des élites françaises, respectables, bien sûr, mais pas assez de diversité ». Et il avait décidé d’y changer quelque chose : « je n'ai pas envie d'avoir le même moule, les mêmes personnes, tout le monde qui se ressemble aligné comme des petits pois, la même couleur, même gabarit, même absence de saveur ».
La métaphore étrange des « petits pois » avait intrigué. Brièvement. Google Trends ne révèle à l’époque qu’un bref surcroît de recherches sur l’expression « petits pois ». Il est probable que l’immense majorité des Français ont vite oublié cette petite phrase un peu ésotérique, dont ils ne savaient que faire.
Mais ce que dit un dirigeant, fût-il le président de la
République, ne touche pas nécessairement l’ensemble du public de la même
manière. Bien des petites phrases frappent des sous-ensembles : personnes habitant
un certain endroit, exerçant une certaine profession, adeptes de certains
comportements, etc. Le public des petites phrases se choisit lui-même. Nicolas
Sarkozy lui-même avait pu s’en rendre compte, déjà en 2005, comme ministre de
l’Intérieur, avec
les « racailles d’Argenteuil ». Sa petite phrase avait été reçue
comme une offense non par les seules « racailles d’Argenteuil » mais
par une fraction plus large de la jeunesse de banlieue.
De toute évidence, les magistrats français, et pas seulement ceux de la Cour de cassation, ont dû se sentir visés de manière assez générale par ces « petits pois ». En tout cas, leurs relations institutionnelles et autres avec le président de la République ont dès lors été exécrables. Nicolas Sarkozy a été visé par une ribambelle d’enquêtes auxquelles ses prédécesseurs Jacques Chirac et François Mitterrand n’avaient jamais eu droit. Acharnement judiciaire ? C’est probable, puisque plusieurs de ces enquêtes se sont achevées par un non-lieu. Enfin, ce 1er mars, voici Nicolas Sarkozy condamné pour corruption et trafic d’influence.
Indices et subjectivité
Et les petits pois reviennent aussitôt dans le débat. « La
condamnation de Nicolas Sarkozy, une décision suspecte », estime Nicolas
Beytout ce 2 mars à l’antenne d’Europe 1. « Tout est suspect,
insiste le chroniqueur. D’abord, son histoire d’ancien président de la
République et cette sourde bataille qui l’avait constamment opposé au monde
judiciaire. Ce monde de petits pois ne lui a jamais pardonné. » Pour lui,
la condamnation « souligne le corporatisme de cette profession. »
Qui dit corporatisme dit identité collective – et les petites phrases font
partie de celle-ci. Ce n’est pas une question d’orientation politique. Philippe
Bilger, ancien avocat général, n’est pas connu pour ses opinions de gauche. Il
exultait néanmoins hier sur Cnews à l’annonce de la condamnation, retrouvant le
ton qu’il employait en 2014 pour dénoncer sur son blog « les
grosses ficelles de Nicolas Sarkozy ».
Conscient de la charge psychologique qui intervenait dans son attitude, il concédait alors : « certains vont me reprocher mon manque de mesure, mon hostilité ». Ce côté passionnel ne fait aucun doute aujourd’hui. Le tribunal correctionnel de Paris l’a d’ailleurs signalé lui-même en assortissant son jugement d’hier de considérations morales (des actes ayant « lourdement porté atteinte à la confiance publique », etc.).
Ce qui ne poserait aucun problème si la condamnation était fondée sur des aveux ou des preuves matérielles. Mais elle l’est sur « un faisceau d’indices graves et concordants », c’est-à-dire sur l’interprétation subjective d’informations parcellaires. On imagine aisément que, le subconscient étant ce qu’il est, les petits pois ont pu faire partie du faisceau.
Michel Le Séac’h
Photo N. Sarkozy : European People's Party - EPP Summit October 2010 via Wikipedia et Flickr, CC BY 2.0