« Vous n’avez pas le monopole du cœur » serait une citation empruntée à Guy de Maupassant. C’est du moins ce qu’affirme maître Gilbert Collard sur CNews ce 5 décembre, en rappelant le goût affirmé de Valéry Giscard d’Estaing pour l’écrivain normand. Cette révélation déclenche aussitôt une pluie de consultations sur deux billets du présent blog :
- « Vous n’avez pas le monopole du cœur » : cinquante ans après, que nous dit la petite phrase du débat VGE-Mitterrand ? (2 mai 2024)
- « Vous n’avez pas le monopole du cœur » : quand VGE touche » (3 décembre 2020)
Le nom de Maupassant n’y figure pas, et pour cause. À l’examen, la phrase semble introuvable dans son œuvre. Cependant, il lui est arrivé d’utiliser le mot « monopole » dans un sens ironique, et il est bien possible que la confusion de maître Collard vienne de là. « Les démocrates à longue barbe ont le monopole du patriotisme comme les hommes en soutane ont celui de la religion », écrivait-il en 1880 dans Boule de suif.
Il a récidivé dans une nouvelle publiée en 1885, « Mes vingt-cinq jours » : « On vous croit d’abord notaire ou magistrat, ces deux professions ayant le monopole des épouses grotesques et bien dotées. »
Mais peut-être
l’inspiration de Maupassant lui-même venait-elle d’un autre écrivain. En 1880,
il était poursuivi pour outrage aux bonnes mœurs à cause de « Au bord de l’eau »,
un poème paru dans La Revue moderne et naturaliste. Gustave Flaubert,
qui en était passé par là avec Madame Bovary, lui avait écrit le 19 février
1880 une lettre de soutien où il ricanait : « Les gouvernements ont
beau changer, monarchie, empire, république, peu importe ! L’esthétique
officielle ne change pas ! De par la vertu de leur place, les administrateurs
et les magistrats ont le monopole du goût (exemple : les considérants de
mon acquittement). Ils savent comment on doit écrire ». La lettre
de Flaubert a été publiée le 21 février 1880 à la Une du Gaulois.
Quelques jours plus tôt, le 26
janvier 1880, le baron de Lareinty, sénateur de Loire-Atlantique, avait ainsi fustigé
l’un de ses adversaires depuis la tribune du Sénat : « Vous
n'avez pas le monopole de
respecter ce qui est respectable ». Mais rien ne permet de penser
que Flaubert avait eu connaissance de cette formule quand il a rédigé sa lettre
à Maupassant.
« Vous n’avez pas le monopole de… » n’est
pas resté l’apanage du baron de Lareinty. « Vous n’avez pas le monopole de
parler au nom du peuple », s’exclamait le député Jules Delafosse en 1883. « Vous
n’avez pas le monopole du patriotisme », protestait son collègue Gaston
Galpin en 1889. Curieusement, tous deux étaient normands comme Flaubert et
Maupassant.
M.L.S.
