26 juillet 2025

« Le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron » : Bruno Retailleau engage-t-il le combat des chefs  ?

« Le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron » : la déclaration de Bruno Retailleau à Valeurs actuelles, le 22 juillet, a été qualifiée de « petite phrase » par de nombreux médias comme RTL, BFMTV, Les Dernières nouvelles d’Alsace ou Gala. La formule est délibérée : son texte a sûrement été soumis au ministre de l’Intérieur avant publication. Pourtant, il n’est pas dit qu’elle ait été capitale dans son esprit.

« Curieusement, cet entretien n’a fait de bruit dans le Landerneau que par la nécrologie du macronisme », observe Francis Brochet dans Le Journal de Saône-et-Loire. En effet, dans le même texte, Bruno Retailleau déclare vouloir « l’union des électeurs de droite, pas l’union des droites », autrement dit pas d’alliance formelle avec le Rassemblement national mais une main tendue sur le terrain électoral. La fin du « cordon sanitaire » devrait avoir un grand retentissement sur la vie politique française. (Choisir de s’exprimer dans Valeurs actuelles paraît logique dans cette optique.)

Par ailleurs, la phrase de Bruno Retailleau choisie par Valeurs actuelles pour annoncer son entretien à la Une était : « Je ne crois pas au en même temps ».

Deux prises de position majeures, donc, l’une portant sur la stratégie électorale, l’autre sur la doctrine politique, qui auraient pu elles aussi être qualifiées de « petites phrases ». Pourtant, la quasi-totalité des commentateurs préfèrent retenir ce qui est, à première vue, une simple conjecture sur l’avenir d’un « macronisme » que le ministre ne s'attarde guère à définir (« le macronisme n'est ni un mouvement politique ni une idéologie : il repose essentiellement sur un homme... »).


Le même pronostic a déjà été exprimé au mois de mai par Sophie Primas, porte-parole du gouvernement (« le macronisme, probablement, trouvera une fin dans les mois qui viennent »), énergiquement approuvée par Gérard Larcher, président du Sénat (« après Emmanuel Macron, il n’y aura plus de macronisme »). Ces positions ont suscité dans Le Monde une analyse de Nathalie Segaunes intitulée : « Le macronisme surviva-t-il à Emmanuel Macron ? ». La question était donc sur la table, et la formule de Bruno Retailleau n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel clair. C’est presque une banalité !

Le président du Sénat est le troisième personnage de l’État alors que Bruno Retailleau n’est « que » cinquième dans l’ordre protocolaire du gouvernement. Pourquoi la petite phrase du second a-t-elle néanmoins plus de retentissement que celle du premier, alors qu’elles sont presque identiques ? Probablement parce que si toutes deux sont comprises comme des défis lancés au président de la République,seul l’un des deux locuteurs apparaît comme un challenger crédible. La désignation du leader est l’un des principaux rôles des petites phrases, mais il faut un ethos de leader pour s’aligner.

Quand un ministre ne ferme pas sa gueule

Une petite phrase est moins faite de mots que de sous-entendus. Quand Laurent Fabius, parlant de François Mitterrand, déclare en 1984 : « lui c’est lui, moi c’est moi », il n’énonce pas un simple truisme. Premier ministre de François Mitterrand, il prend ses distances avec le président. Ou du moins la phrase est-elle comprise ainsi (Laurent Fabius affirmera plus tard qu’elle avait été concoctée d’un commun accord avec Mitterrand : le sous-entendu était trafiqué en vue d’un résultat désiré). Dans « le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron », on entend quelque chose comme : « j’ai l’intention de prendre la place d’Emmanuel Macron ».

Du leader, on attend qu’il remette le challenger à sa place. Avec sa propre petite phrase ravageuse, s'il en a les moyens. S’il s’agit d’un ministre, il pourra le démettre, selon la doctrine édictée par Jean-Pierre Chevènement en 1983 : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. » En l’occurrence, réclamer la démission de Bruno Retailleau reviendrait probablement à faire tomber le gouvernement. Que reste-t-il à Emmanuel Macron pour prouver qu’il demeure le patron ? En pratique, une seule solution : brandir son sceptre en mettant en scène une prérogative régalienne. De là à dire que la reconnaissance d’un État palestinien serait une riposte à une petite phrase, il y a tout de même une marge. Mais l'annonce anticipée d'une telle décision, pourquoi pas ?

Michel Le Séac’h

Photo Thomas Bresson : Réunion publique de Bruno Retailleau à la salle des fêtes de Belfort, le 24 mars 2025, via Wikimedia, licence CC BY 4.0.

23 juillet 2025

« J’en ai rien à péter de la rentabilité des agriculteurs » : la petite phrase sauvage de Sandrine Rousseau

 Le 11 juillet, Sandrine Rousseau est interrogée par le site d’extrême-gauche Le Média. Elle exprime son opposition à la loi Duplomb qui, entre autres, rend aux agriculteurs français le droit d’utiliser certains pesticides. Une nécessité pour leur rentabilité ? « J’en ai rien à péter de leur rentabilité ! » s’insurge-t-elle. La députée écologiste est experte dans l’utilisation des petites phrases : cherche-t-elle une fois de plus à faire scandale pour renforcer sa notoriété ?

Cela paraît improbable. D’abord, elle sait qu’elle s’exprime sur un site relativement marginal. Le Média ne livre pas de chiffres d’audience mais compte 173 000 abonnés sur X et 47 200 abonnés à sa chaîne YouTube, Le Média 24-7. La polémique autour de la petite phrase a dopé sa fréquentation sans la porter à des niveaux extraordinaires. Au 22 juillet, l’émission avec Sandrine Rousseau a été vue 27 000 fois sur Le Média 24-7 ; elle a recueilli 1 200 pouces en l’air et 517 commentaires.

Capture d'écran Le Média
Ensuite, Sandrine Rousseau elle-même n’a sans doute pas le sentiment d’avoir agressé une profession. Dans la foulée, elle précise même : « en fait, c’est pas le sujet ». Pour elle, le sujet, c’est que « la rentabilité de l’agriculture par des produits chimiques au détriment des sols, de la biodiversité, de notre santé, c’est pas de la rentabilité en fait, c’est de l’argent sale ». Plus tard, elle s’efforce, plutôt laborieusement, d’établir une distinction entre « rentabilité » et « revenu des agriculteurs ». Il lui faut y revenir plusieurs fois avant de mettre au point, sur Bsky, une formule expressive : « La rentabilité c’est un sujet d’agrobusinessman, le revenu c’est un sujet d’agriculteur ».

Qu’elle le veuille ou non, Sandrine Rousseau a émis une petite phrase « sauvage »(1) : une formule qui lui a échappé et s’est trouvé un public. Lequel n’est pas celui auquel Sandrine Rousseau pensait s’adresser. Son « j’en ai rien à péter » en témoigne. Le langage de cette universitaire est d’ordinaire plus classique. Un mot grossier employé exceptionnellement et délibérément peut rendre une déclaration remarquable, comme lorsque Emmanuel Macron déclare : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ». Mais encore une fois, le sujet de Sandrine Rousseau n’est pas la rentabilité des agriculteurs. Il est probable qu’elle adopte un langage relâché dont elle pense, à tort ou à raison, qu’il correspond au média dans lequel elle s’exprime.

Des retombées imprévues

Quand la petite phrase, reprise par d’autres médias, en particulier CNews, première chaîne d’information de France, touche d’autres publics que celui des militants d’extrême-gauche ou des électeurs écologistes, il en va autrement. Pour les agriculteurs, la rentabilité est bel et bien un sujet ! Leur pathos écorché considère la petite phrase comme violemment négative car aggravée par un logos grossier. Lequel peut correspondre, tout en l’accentuant, à l’ethos d’une femme politique pas très bien connue mais généralement considérée comme extrémiste. Et comme les Français ont très majoritairement une image positive des agriculteurs et sont conscients de leurs difficultés économiques, ils réagissent négativement à la formule de Sandrine Rousseau. Une grande partie des médias rendent compte de ses propos, parfois en les qualifiant expressément de « petite phrase », comme dans Gala ou le Huffington Post. Les recherches en ligne sur son nom redémarrent, atteignant en plein été un niveau sans précédent depuis un an.

Il est probable que la polémique contribue aussi à l’un des phénomènes politiques les plus notables de ces derniers mois : le succès de la pétitition « Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective », déposée le 10 juillet par une étudiante de 23 ans, qui recueille 1,5 million de signatures en dix jours. Au 23 juillet, elle en est à 1 743 260 signatures. Cela en fait en fait de très loin le texte le plus massivement soutenu des deux mille et quelques pétitions déposées sur le site ad hoc de l’Assemblée nationale.

Michel Le Séac’h

(1) Sur la distinction entre petites phrases domestiques et petites phrases sauvages, voir Michel Le Séac’h, Petites phrases : des microrhétoriques dans la communication politique, p. 125 s.

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