11 novembre 2016

Donald Trump : « I will accept the results of the election – if I win »

L’espérance de vie des petites phrases est variable. Certaines d’entre elles traversent les millénaires (« Rendez à César ce qui est à César »[1]...). D’autres disparaissent au bout de quelques jours, même si leur notoriété a pu être immense dans ce laps de temps.

Tel est le cas de cette phrase de Donald Trump, l’une des plus fameuses de sa campagne présidentielle : « I will accept the results of the election – if I win » (« j’accepterai les résultats de l’élection – si je gagne »). Prononcée le 20 octobre, elle est devenue obsolète le 8 novembre. Sa brève existence comporte néanmoins quelques leçons pour l’étude des petites phrases.

1. Une recherche de la formule la plus simple

Les petites phrases admises par le public sont souvent reformulées pour être réduites à leur plus simple expression. Les détails inutiles sont éliminés. En l’occurrence, la phrase réellement prononcée par Donald Trump le 20 octobre, lors d’une réunion électorale dans l’Ohio, était celle-ci : 

« I will totally accept the results of this great and historic presidential election, if I win. »

Une recherche Google sur Trump + cette phrase exacte retourne 19 100 résultats. Mais une recherche sur Trump +

« I will accept the results of this election, if I win »

retourne… 12 700 000 résultats ! Débarrassée de son adverbe et de ses trois adjectifs, la petite phrase s’est propagée bien plus aisément sur les réseaux sociaux.


2. Un message implicite parfaitement compris même s’il est faux

Pour la quasi-totalité de ceux qui l’ont reprise sur les réseaux sociaux, cette phrase NE signifie PAS que Donald Trump acceptera les résultats de l’élection s’il la remporte. Elle signifie qu’il ne les acceptera pas s’il perd ! Elle est comprise ainsi comme une évidence, sans qu’il soit besoin d’explications supplémentaires. Le message explicite (qui revient à enfoncer une porte ouverte) est supplanté par un message implicite qui en est pratiquement l’inverse. Cette petite phrase est une petite antiphrase.

La simplification évoquée plus haut contribue à cette interprétation. L’adverbe « totally » introduisait dans la phrase l’amorce d’une réserve qui devait mettre la puce à l’oreille. Avec cet adverbe, l’inversion du sens de la phrase conduisait plutôt à une interprétation du genre « je n’accepterai pas totalement les résultats de l’élection si je ne gagne pas ». Et en réalité, la déclaration complète de Donald Trump était bien plus pondérée encore :

« I will totally accept the results of this great and historic presidential election, if I win. Of course I would accept a clear election result, but I would also reserve my right to contest or file a legal challenge in the case of a questionable result. I will follow and abide by all the rules and traditions of all of the many candidates who came before me, always. »

La position de Donald Trump s’expliquait par son contexte : comme on lui demandait de s’engager à accepter d’avance, sans discussion, les résultats de l’élection, il avait refusé de se priver par anticipation de toute voie de recours, rappelant que l’élection présidentielle de 2000 avait donné lieu à contestation et recompte des voix. Si George W. Bush avait accepté le résultat d’avance, Al Gore aurait été élu. Extraite de son contexte, la petite phrase tronquée signifiait à peu près l’inverse de ce qu’avait dit le candidat républicain.

Mais, et c’est là l’important, elle était en cohérence cognitive avec l’opinion que le public qui la relayait avait de lui. Bien que fallacieuse, elle renforçait une opinion préexistante et n'en semblait que plus « vraie ».

3. Une presse probablement pas neutre

La presse américaine, connaissant la teneur réelle des propos de Donald Trump, en a néanmoins diffusé une version déformée, comme le montrent ces trois titres – trois exemples parmi beaucoup d’autres :

  • Donald Trump: 'I will totally accept' election results 'if I win'CNN
  • Donald Trump Says He Will Accept Election Outcome (‘if I Win’)New York Times
  • Donald Trump says he will accept results of election — ‘if I win’ Washington Post
Ces titres parus le 20 octobre, c’est-à-dire aussitôt après la déclaration de Donald Trump, dans des médias de première importance, ont en quelque sorte « officialisé » la version erronée de la petite phrase. De la part de journalistes professionnels, il est douteux que ce soit innocent. Quand les partisans de Donald Trump accusent la presse de partialité, ils ont des arguments à faire valoir. L’étonnante ressemblance des titres ci-dessus peut même évoquer une concertation.

4. Des échos internationaux – y compris en France

Il est exceptionnel qu’une petite phrase devienne internationale. La formule de Donald Trump n’aura pas eu le sort du « Yes we can »[2] de Barack Obama ou du « I have a dream »[3] de Martin Luther King. Cependant, elle a été largement reprise hors des États-Unis. Ce qui n’a rien d’étonnant : les trois médias cités ci-dessus sont considérés comme très influents auprès des correspondants de la presse étrangère.

Il s’est même trouvé un professeur au Collège de France pour publier dans le Figaro Vox une tribune[4] fondée en grande partie sur cette déclaration tronquée. Elle commençait ainsi :

« Pressé de dire s'il reconnaîtrait l'éventuelle victoire de sa concurrente Hillary Clinton, M. Donald Trump a répondu «J'accepterai sans réserve les résultats de cette élection présidentielle — si je gagne» («I will totally accept the results of this great and historic presidential election — if I win» New-York Times, 21 oct. 2016). Les Européens auraient tort de moquer cette déclaration d'apparence bouffonne, car elle témoigne d'un délitement de la démocratie dont nul pays n'est exempt. »

Il serait cruel d’insister.

Michel Le Séac’h
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[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, p. 64.
[2] Idem, p. 121.
[3] Ibid., p. 115.
[4] Alain Supiot, « «Aux Etats-Unis comme en Europe, le grand délitement de la démocratie» », Figaro Vox, 7 novembre 2016, http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/11/07/31001-20161107ARTFIG00145-alain-supiot-aux-etats-unis-comme-en-europe-le-grand-delitement-de-la-democratie.php

1 commentaire:

Jean-Philippe de Lespinay a dit…

Bravo ! Voilà la preuve que je cherchais de l'acharnement malhonnête des médias français et US contre Trump, une diabolisation gauchiste qui rappelle celle de Jean-Marie Le Pen, persécuté pour des "petites phrases".