« Le candidat Juppé, ‘bien dans ses bottes’, veut
éviter ‘les petites phrases’ », titrait
hier Libération. Bel oxymore, puisque le refus des petites phrases
en général va ici de pair avec une référence à une petite phrase en particulier.
En aura-t-il soupé, Juppé, de cette histoire de bottes !
Depuis plus de vingt ans, chacune de ses résurgences en politique la réactive.
Mais la VO n’est pas celle que les guillemets de Libération
sous-entendent. En 1995, au journal de TF1, alors premier ministre de Jacques
Chirac, Alain Juppé avait déclaré : « Je
reste droit dans mes bottes ». Le contexte, le ton sec et ce que
l’opinion publique savait ou croyait savoir du personnage avaient fait le
reste : droit dans ses bottes, Juppé était un psychorigide autoritaire.
Combattre une petite phrase installée est difficile. Inutile
de la nier quand elle a été prononcée en direct au journal télévisé d’une
grande chaîne. Tenter de la corriger comme l’avait fait Michel Rocard avec « la
France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »[i]
est pratiquement voué à l’échec. Brouiller les pistes (comme
l’avait fait Najat Vallaud-Belkacem avec ses « pseudo-intellectuels »)
suppose une intervention rapide. Tourner la page et ne plus en parler est
difficile quand vos adversaire la ressortent à l’envi. Saturer l’opinion en
multipliant les formules choc est délicat. La tactique apparemment choisie par
Alain Juppé est habile : recycler la petite phrase en la modifiant
discrètement afin qu’elle colle à l’image de vieux sage qu’il cherche à se
donner aujourd’hui (au risque d’essuyer des « Juppépé » et
autres « bonze de Bordeaux »…).
Ce que l’oreille retient le plus de « droit dans mes
bottes », ce sont les bottes. L’adjectif « droit », utilisé
ici comme adverbe peut être discrètement remplacé. La sémantique de « bien
dans mes bottes » est évidemment différente de celle de « droit
dans mes bottes ». La rigidité laisse place à la sérénité en
respectant une continuité. La tentative paraît délibérée. « Bien dans
mes bottes » n’est pas seulement une plaisanterie lancée dans le TGV
de La Baule, en route vers le campus des Républicains. Alain Juppé avait déjà
utilisé la formule une semaine plus tôt, en lançant sa campagne à Chatou. Avant
le titre de Libération, elle avait fait un
titre du Monde sous la plume de Françoise Fressoz : « Primaires
à droite : Juppé bien dans ses bottes ».
L’idée de remplacer « droit » par
« bien » pourrait venir de Thomas Guénolé, qui l’a suggérée lors
d’un entretien avec LCI en novembre 2014. Mais le spécialiste de la
communication politique ne s’en vantera sans doute pas : « Oui,
Alain Juppé a changé : il est pire qu’avant », affirmait-il
en avril dernier dans un article de Slate !
Michel Le Séac’h
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[i] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, Paris 2015, p. 101-103.
Photo Florence Cassisi, Wikimedia Commons, licence CC Attribution 4.0
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