« Le mot d’ordre de Mme May depuis son entrée au 10
Downing Street en juillet est ‘Brexit is Brexit’ » (« Mrs
May's mantra since entering No 10 in July has been 'Brexit is Brexit' »),
assurait ce matin Tim Sculthorpe dans le Daily Mail, dont il est
rédacteur en chef politique adjoint. C’est presque vrai : la formule
prononcée par Theresa May en acceptant le poste de Premier ministre du
Royaume-Uni, le 13 juillet dernier était en réalité « Brexit means
Brexit ».
Qu’y a-t-il de plus simple que « Brexit means
Brexit » ? Réponse : « Brexit is Brexit ».
Trois lettres en moins. Quant à la signification ou à l’absence de la
signification de la formule, bien entendu, changer le verbe ne change rien.
Mais on a là une illustration de la tendance des petites phrases à aller vers
la formule la plus simple[1].
Si la presse cite majoritairement la formule exacte, le grand public a
manifesté dès le début une propension à simplifier, comme le montrent les
tendances de recherche calculées par Google Trends :
Même d’éminents auteurs s’y laissent prendre. « ‘Brexit
is Brexit’, répète Theresa May, chef du gouvernement britannique », écrit
le professeur Christian de Boissieu dans Les Échos. Et à propos, on note la fréquence de la formule non traduite
dans la presse française. « Brexit means Brexit » y est plus
fréquent que « Brexit signifie Brexit » ; « Brexit
is Brexit » l’est à peine moins : comme « I have a
dream » ou « Yes we can », c’est devenu l’une des
rares petites phrases en langue étrangère connues en France[2].
Il faut dire que le redoublement lui confère une force
particulière[3]. Dans Mythologies,
Roland Barthes s’agaçait de « la prédilection de la
petite-bourgeoisie pour les raisonnements tautologiques (Un sou est un sou,
etc.) ». Pensant les condamner, il y voyait de
l’anti-intellectualisme, or c’est justement ce qui fait la puissance des
petites phrases : elles ne s’adressent pas à la logique. Le raisonnement tautologique n'est pas un raisonnement.
David MacShane, ancien ministre travailliste, était sur la
même ligne quand
il écrivait le mois dernier dans Le Monde : « La
formule incantatoire du premier ministre Theresa May, ‘Brexit is Brexit’, est
un slogan et non une politique. Elle sonne juste mais n’en est pas moins
dépourvue de sens. » Pour injuste qu’elle soit (Theresa May a livré
quelques explications sur ses intentions), cette déclaration a le mérite de
souligner qu’une petite phrase « sonne juste », quand bien même elle
ne voudrait rien dire. Les poètes de l’Antiquité le savaient déjà, la rime donne un
sentiment de vérité[4]. La petite
phrase est un sound bite : elle est de l’ordre du son et non du
raisonnement. « Brexit is Brexit » en est une bonne
illustration.
Michel Le Séac'h
[1] Cf. Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, Paris 2015, p. 210.
[2] Idem, p. 20.
[3] Ibid., p.
221.
[4] Ibid., p.
218.
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