25 mai 2017

Des petites phrases pour les nouveaux candidats aux élections législatives ?

On se bouscule aux portes de l’Assemblée nationale. Interdiction du cumul des mandats et défaveur des partis traditionnels aidant, une foule de jeunes députés vont entrer à l’Assemblée nationale le mois prochain. Les vocations ne manquent pas : En Marche ! aurait reçu 19 000 demandes d’investiture. Tous partis confondus, 7 882 candidats se présentent aux prochaines élections législatives. Beaucoup de novices sont en train de faire leurs premières armes en communication politique.

Si vous êtes l’un d’eux, les petites phrases peuvent-elles faire partie de votre arsenal ? Bien sûr. « Rendez à César ce qui est à César » est une réplique prononcée par un homme de 33 ans, dirigeant d’un obscur groupuscule local[1]. Deux millénaires plus tard, elle est probablement la petite phrase la plus célèbre de tous les temps ; en tout cas, c’est la parole de Jésus-Christ la plus souvent citée sur le web. Le cas n’est pas unique : la petite phrase n’attend pas le nombre des années.

Vous trouverez beaucoup d’exemples et de remarques utiles dans mon livre, La Petite phrase (Eyrolles, 2015). Mais déjà, n’oubliez pas ces principes élémentaires :

1. Vous parlez pour un public

L’important n’est pas ce que vous avez à dire mais ce que votre public doit entendre. Or il n’est pas prêt à tout entendre. Il est sourd à certaines choses : celles-ci sont « inaudibles ». Et comme une petite phrase fonctionne à l’aide de sous-entendus, ce qu’elle ne dit pas expressément doit se trouver déjà dans l’esprit des auditeurs. Cela permet de dire beaucoup en peu de mots. Et aussi d’invoquer un sentiment de connivence : vous et votre public, vous êtes « sur la même longueur d’onde ». Ce qui suppose que vous le connaissiez bien, que vos mots soient les siens.

Si vous n’êtes pas certain d’être en phase avec votre public, évitez les petites phrases qui risqueraient d'être comprises de travers. Si vous voulez jouer la sécurité, contentez-vous de la langue de bois – des formules admises par tous. Ainsi, ce que vous direz ne sera pas retenu contre vous. Ne sera pas retenu du tout, d’ailleurs : ce que vous aurez dit sera oublié et vous serez jugé sur votre bonne mine.

Bien entendu, votre public n’est pas forcément homogène : vous pouvez vous adresser différemment à des publics ciblés (les citoyens d’une commune, les partisans d’une cause, les adhérents d’un parti, les praticiens d’un métier, etc.).

2. Une petite phrase utile doit être reprise

Si vous avez pris le soin de concevoir une petite phrase, ne l’abandonnez pas à son sort. Elle ne s’inscrira dans l’esprit du public qu’à condition de circuler et d’être répétée.

Vous avez évidemment une politique de présence sur les réseaux sociaux. Utilisez-les pour diffuser votre petite phrase : faites en un tweet, le titre d’un billet de blog, une publication sur Facebook, etc. Demandez à votre équipe de la reprendre afin qu’elle soit lue un grand nombre de fois. Lancez des discussions autour d’elle.

Si vous rédigez un communiqué de presse, mettez-y votre petite phrase en valeur. Faites-en un titre, un sous-titre, la première phrase de votre texte ou la dernière. Composez la en italiques, soulignez la. Reprenez la en exergue.

3. Persévérez

Le 18 juin ne marquera pas forcément la fin de vie de votre petite phrase. Si elle est puissante, si elle reflète un aspect essentiel de votre personnalité ou de vos convictions, répétez la encore. Faites-en une sorte de devise ou de slogan personnel. Répétition rime avec mémorisation.

« Carthago delenda est », martelait Caton l’Ancien à la fin de tous ses discours, un siècle et demi avant Jésus-Christ : on s’en souvient encore. Et Carthage a été détruite ! On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Et n’oubliez pas que parmi les publics auxquels vous vous adressez, il y a ceux qui sélectionneront les candidatures la prochaine fois. On se souvient plus facilement de ceux dont on a une phrase en mémoire (sauriez-vous qui était Caton sans « Carthago delenda est » ?). Votre petite phrase de 2017 pourrait être votre sésame pour 2022.

Michel Le Séac’h
__________________________________

[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 64.

Buste de Caton l’ancien : photo Patrizio Torlonia, Wikimedia Commons

18 mai 2017

« En même temps » : du tic de langage à la petite phrase chez Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron, on le sait, a des tics de langage, dont le plus fréquent est « en même temps ». La locution adverbiale figurait deux fois dans sa déclaration de candidature du 16 novembre 2016 (à 4:03 et 5:05).

Longtemps avant qu’Emmanuel Macron ne se présente à l’élection présidentielle, ces « en même temps » avaient pu être repérés dans ses interventions publiques. Trois fois dans un seul discours sur les taxis devant l’Assemblée nationale le 28 janvier 2015, par exemple. Ils ont ponctué à maintes reprises sa campagne électorale au point de susciter quelques moqueries. Emmanuel Macron lui-même en a plaisanté lors de son grand meeting de Bercy, le 17 avril : « Excusez-moi, vous avez dû le noter, j'ai dit en même temps. Il paraît les amis que c'est un tic de langage. »

Emmanuel Macron n’est pas le premier à cultiver cette locution : Albert Camus, qu’il cite volontiers, en faisait grand usage. « En même temps » figure quarante-cinq fois dans L’Homme révolté, dix fois dans La Chute, vingt-trois fois dans L’Exil et le royaume, etc. Mais sous la plume de Camus, elle signifie le plus souvent « simultanément ». Or, dans un sens figuré et plus populaire, elle peut signifier aussi « cependant », « en revanche », « d’un autre côté ».

Quel sens a-t-elle chez Emmanuel Macron ? Il s’en est expliqué lui-même le 17 avril à Bercy (c’est moi qui souligne) :

« Je continuerai à utiliser 'en même temps' dans mes phrases mais aussi dans ma pensée, parce que en même temps ça signifie simplement que l'on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement d'une société. »

Explicitement, les « en même temps » d’Emmanuel Macron renvoient ainsi à une résolution des contradictions. Le président de la République pense pouvoir satisfaire tout le monde à la fois au lieu de trancher en faisant des mécontents. Ces trois mots seraient représentatifs d’un mode de gouvernement. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs éditorialistes les aient traités comme une petite phrase, sur France Culture, dans L’Obs, Le Point, Challenge, La Croix, L’Express, etc. Avec une tonalité généralement négative. « Sous vos airs polis, vous avez dit beaucoup de choses et leurs contraires », lui disait Alba Ventura sur RTL. Ce jeune président serait aussi capable qu’un vieux politicien de tout promettre à tout le monde.

Pour Emmanuel Macron, le risque est clair : transformé en petite phrase dans l’esprit du public, « en même temps » pourrait brosser en trois mots le portrait d’un président conciliant… ou d’un dirigeant imprécis et indécis. Ou les deux en même temps (simultanément), selon les publics.

En même temps (cependant), la chance sourit à Emmanuel Macron : il ne semble pas que cette idée plutôt négative ait marqué l’électorat à ce jour. Google Trends ne révèle pas une envolée des recherches sur « en même temps » au cours des derniers mois. Sans doute la petite phrase n’a-t-elle pas dépassé le stade des médias, elle ne s’est pas inscrite dans l’esprit du public. Mais le risque demeure, car les bases sont posées. Une décision gouvernementale conflictuelle pourrait transformer la locution adverbiale en petite phrase toxique. Le président de la République aurait tout intérêt à la bannir désormais de son vocabulaire.

Michel Le Séac’h