12 septembre 2015

« Ajouter de la guerre à la guerre » : derrière la petite phrase de Fabius, le fantôme de Mitterrand ?

<i>« Ajouter de la guerre à la guerre »</i> : derrière la petite phrase de Fabius, le fantôme de Mitterrand ?</
« Ce n’est pas en ajoutant de la guerre à la guerre qu’on va arriver à une solution » : cette petite phrase de Laurent Fabius a été largement relayée, via un article de l’AFP, par Le Figaro, Le JDD et quelques autres. Elle a (ou aurait, on va le voir) été prononcée jeudi soir dans le Grand Soir de France 3. Le ministre des Affaires étrangères était interrogé par Patricia Loison.

Ainsi, alors que le président de la République venait d’envisager des frappes aériennes français en Syrie, le numéro 2 du gouvernement se montrait hostile à toute intervention ? Il était aisé d’y voir l’expression d’un désaccord interne. Le ministre a démenti ces interprétations dès le lendemain. Et en vérité, l’AFP avait pratiqué une légère ablation. Comme en atteste l’enregistrement du Grand Soir, Laurent Fabius n’avait pas dit comme indiqué plus haut :
« Ce n’est pas en ajoutant de la guerre à la guerre qu’on va arriver à une solution »
mais
« Ce n’est pas en ajoutant de la guerre à la guerre qu’on va arriver à la solution politique »
Ce « politique » oublié changeait évidemment le sens de la formule. Il en faisait un truisme au lieu d’une contestation.

La petite phrase pourrait tout de même laisser des traces. La construction même de la phrase de Laurent Fabius favorise sa mémorisation du fait de sa répétition interne (« la guerre à la guerre »). Mais surtout, elle a pu éveiller des réminiscences. Laurent Fabius lui-même pourrait bien l’avoir extraite inconsciemment de sa mémoire : elle descend en droite ligne d’une déclaration de François Mitterrand. Le 13 août 1992, celui-ci avait été interrogé par Sud-Ouest à propos de la guerre civile dans les Balkans. Il avait redit son opposition à une intervention militaire sur le terrain et conclu l’entretien par cette formule : « ajouter la guerre à la guerre ne résoudra rien ».

Bernard-Henri Lévy et les autres intellectuels qui réclamaient alors l’envoi des troupes le lui avaient vivement reproché. « Le président de la République se rend-il compte que c’est comme s’il disait aux Serbes : ‘Faites ce que vous voudrez […] ?’ », écrivait BHL dans Le Lys et la cendre. Un débat purement historique de nos jours ? Ce n’est pas si sûr. Interrogé un peu plus tard par Jean-Pierre Elkabbach, Mitterrand expliquait : « En tout état de cause, si l'on n'occupe pas le terrain après la frappe aérienne, cela risque d'être inutile. Il faudrait donc envoyer des troupes, des soldats, au sol. » Par-delà la petite phrase de Laurent Fabius, c’est François Mitterrand qui semble contester François Hollande !

Michel Le Séac'h

Photo SPC 5 James Cavalier, US Military, domaine public, Wikimedia Commons

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