Rarement un mouvement politique ou social a suscité autant
de commentaires en tous genres que celui des « gilets jaunes ». Un
seul point paraît à peu près consensuel : les causes du mouvement ne se
bornent pas à l’augmentation du prix des carburants. Parmi toutes les causes
envisageables, les petites phrases tiennent une place de choix.
Les petites phrases de Christophe Castaner, de Gérald
Darmanin ou de Benjamin Griveaux, mais surtout celles d’Emmanuel Macron. « 80 %
du bordel des "gilets jaunes" est le résultat des petites phrases du
chef de l’État depuis six mois », estime même, sous couvert
d’anonymat, un député LaREM cité
par Mathilde Siraud dans Le Figaro du 3 décembre. Les quatre
cinquièmes du bordel ! Déclaration que BFM
TV commente ainsi : « Cette idée que la contestation dans la
rue se cristallise autour de la personnalité du président de la République fait
désormais le sel de l'opposition. » Autrement dit, on connaît la
personnalité du président de la République à travers ses petites phrases.
Le professeur Arnaud Mercier rejoint en grande partie cet
avis dans une étude
publiée le 3 décembre par The Conversation et reprise par franceinfo
et La
Tribune. Selon lui, Emmanuel Macron a rompu le fil de la confiance « en
multipliant depuis son élection, les petites phrases assassines à destination
des Français qui ont été prises comme autant de marques d'humiliation à l'égard
de ceux qui sont en galère, au profit des "premiers de cordée" ».
On note l’adjectif « assassines », marque
d’une grande violence. Il s’applique à ces formules, expressément citées :
« Je
traverse la rue, je vous trouve du travail », « Des
Gaulois réfractaires au changement », « On
met un pognon de dingue dans les minimas sociaux », « Les
gens qui ne sont rien ». Assassines, ces petites phrases ? Au
premier degré, elles évoquent plutôt des « brèves de comptoir ».
Pourtant, elles ont contribué à mettre des centaines de milliers de gens dans
la rue et sur les ronds-points. C’est donc qu’elles contiennent un second degré
très puissant.
Un second degré qui n’est certainement pas dans l’intention
du président de la République mais dans l’interprétation qu’en font les
Français. La petite phrase appartient davantage à celui qui la reçoit qu’à celui qui la prononce.
Michel Le Séac’h