Très Saint Père, est-il permis
d’accueillir/de rejeter les migrants [rayer la mention inutile] ? La question
n’a pas été posée au pape François, de visite à Marseille – à Marseille et non
en France a-t-il précisé – mais il s’en est emparé.
Chacun connaît l’épisode où, au
faîte de sa gloire après plusieurs miracles, entré dans Jérusalem sous les
acclamations, Jésus s’entend demander : « Est-il permis de payer le tribut
à César ? » Autrement dit, doit-on verser un impôt à l’occupant
romain ? Rebelle ou collabo selon sa réponse, il court de sérieux risques
immédiats, venant soit des autorités, soit du peuple. Comme on sait, Jésus
s’échappe de la question fermée en répondant : « Rendez à César ce
qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »[i].
Cette phrase aurait pu être vite
oubliée. On aurait pu n’y voir qu’une réplique habile, une simple pirouette qui
évacue la question sans la régler. Ou un acte d’allégeance formulé en termes
diplomatiques, puisque au fond la réponse est « oui » ; saint Paul, estime ainsi qu’elle impose au
chrétien la soumission envers l’autorité publique. Cependant, de nombreux
exégètes y voient en réalité la première expression du principe de séparation
de l’Église et de l’État. Une petite phrase résolument politique : pour la
première fois, le pouvoir religieux ne cherche pas à imposer une position au
pouvoir politique. Ce qui facilitera bien sûr l’essor de la nouvelle religion à
travers le monde romain, puis au-delà.
Pontife de son époque, François
pourrait considérer qu’en comparaison de la question migratoire et des noyades
en Méditerranée, la position fiscale de Jésus paraît presque anodine, pour ne
pas dire gentillette. Lui-même prône une modification de l'ordre du monde. Il va au-delà du devoir de charité à
l’égard du frère humain menacé de noyade en réclamant, au moins entre les lignes,
un accueil inconditionnel des migrants. Et à ses côtés, l’archevêque de
Marseille fustige expressément les « institutions politiques ».
Il faut noter cependant que le pape,
qui sait parfaitement user des petites phrases, semble avoir évité
toute formule explicite et concise qui se prêterait à des citations hostiles comme une sorte de
corps du délit. De plus, rien ne dit qu’il s'adresse, lui, aux
« institutions politiques » ni même à un peuple français très
majoritairement opposé à l’accueil inconditionnel. En disant et en répétant
qu’il se trouve non en France mais à Marseille, carrefour de la Méditerranée où
trois continents se rencontrent, il s’adresse peut-être en réalité aux candidats
à la migration, sans doute beaucoup plus nombreux dans une Afrique de 1,4
milliard d’habitants. Après tout, l’Église en manque de prêtres et de fidèles
aurait quelques raisons de se considérer comme un « métier en tension ».
M.L.S.
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[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, Paris, 2015, p. 64.
[ii]
Roger Dadoun, « Du
politique comme violence : “‘corps
mystique”’ et“
‘corps naturel”’
», in: Littérature, N°64, 1986. Propositions critiques pour Jean
Levaillant. pp. 23-29. doi : 10.3406/litt.1986.1403.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1986_num_64_4_1403.
Photo presidencia.gov.ar, via Wikimedia Commons, CC-BY-SA-2.0