François Hollande est plus réputé pour ses petites blagues (« Gouverner
c’est pleuvoir »….) que pour ses petites phrases[1].
Il s’essaie néanmoins à celles-ci. Gérard Davet et Fabrice Lhomme racontent
dans Un président ne devrait pas dire ça… (Stock) la genèse de son « ça
va mieux », qu’ils qualifient eux-mêmes de « petite
phrase ». La formule date du 14 avril dernier. Le président de la
République cherchait à défendre son bilan au cours de l’émission Dialogues
citoyens sur France 2.
Ce n’était pas une parole en l’air : elle avait été
pensée avec soin. Davet et Lhomme assurent que le président de François
Hollande l’avait testée auprès d’eux dès le mois de juin 2015 puis, à quatre
reprises, lors d’un même entretien en octobre 2015. « Avec le
recul, il est permis de se demander si, bien involontairement, on ne lui a pas
permis, ce jour-la, de synthétiser son discours positif en une formule »,
conjecturent-ils.
Ils reproduisent ensuite le commentaire livré par
François Hollande lui-même : « Je ne l'improvise pas, je l'avais
préparée, nous confirme-t-il quelques semaines plus tard. On dit :
"Comment ça va ?" Et on répond : "ça va mieux." J'ai eu conscience que cela pouvait
heurter, une formule comme celle-là, notamment pour beaucoup, la majorité
peut-être, qui considèrent que ça ne va pas forcement mieux pour eux. Ce n’est
pas "vous allez mieux", qui là aurait été inopportun, c'est
"ça", quelque chose de plus global, de plus impersonnel. La
politique, c'est un message. Un slogan Le meilleur slogan, c'est celui qu'on
trouve tout seul, qui correspond à ce que l’on ressent. »
Une
petite phrase sert à marquer les esprits. Tel était bien l’objectif de
François Hollande, cité à nouveau par Davet et Lhomme : «
Qu'est-ce qu'on retiendra de cette émission ? Le "ça va mieux", se
félicite-t-il encore. Et le fait est que c'était un point de départ Ce que je
voulais, c'est que cette émission corresponde à une séquence. » Mais
avait-il vraiment lieu de s’en féliciter ?
Une petite phrase bien répétée mais mal acceptée
Pour qu’une petite phrase s’impose dans l’opinion, il
faut d’abord qu’elle soit répétée. François Hollande le sait : dans les
semaines suivantes, il a repris la sienne à plusieurs reprises, par
exemple le 17 mai sur Europe 1, et l’a fait propager par ses proches et le parti
socialiste. Cela n’a pas échappé à BFM
TV, qui y a vu « une phrase-clé de la stratégie du Président »
et même « le nouvel axe de campagne de François Hollande ».« Cette
phrase s’est muée en leitmotiv gouvernemental », notait
à son tour Europe 1 début septembre.
François Hollande a en revanche oublié une autre
condition : pour qu’une petite phrase s’impose, il faut aussi qu’elle soit
compatible avec l’état d’esprit du public. Comme le révèle son commentaire à Davet et Lhomme (voir plus haut), il savait que sa formule allait choquer. Il est quand même allé au casse-pipe la fleur au fusil ! La dissonance cognitive est fatale.
Là était bien le défaut originel du « ça va mieux » : un
sondage BVA révélait fin mai que 84 % des Français n’y croyaient pas.
Peut-on à l’aide d’une petite phrase inverser un tel score, même avec l’aide de
faits objectifs ? « Retrouver collectivement le goût
de l'avenir, ce n'est pas dire aux Français qu'ils ont une perception fausse de
leur présent », soulignait à juste titre Emmanuel Macron dans un
entretien avec le Journal
du Dimanche début septembre.
Il s’en est même fallu de peu que la petite phrase devienne
une « petite antiphrase ». « La phrase "Ça va
mieux" est-elle devenue un slogan contre le président de la République
? » demandait rhétoriquement Marie-Pierre Haddad sur
le site de RTL. « Les Français ne sont pas de son avis. Quelques
instants après son intervention à la télévision, le hashtag #Cavamieux est
apparu sur les réseaux sociaux. La phrase a été détournée par les internautes
qui se sont empressés de rappeler les débordements dus à la loi Travail avec la
photo d'un CRS frappant au ventre une femme, mais aussi les chiffres du
chômage. Fabrice Luchini qui se définit comme quelqu'un de "centre
droit", confie dans un entretien
au Journal du Dimanche qu'"il faut qu'Hollande arrête de dire que ça va
mieux, parce que les gens ne le vivent pas comme ça". »
Heureusement pour François Hollande, cet effet négatif n’a
pas été très prononcé – tout simplement parce que sa petite phrase n’a guère été remarquée au-delà du cénacle des commentateurs politiques. Google Trends (ci-dessous) ne
révèle qu’une faible hausse des recherches sur l’expression « ça va
mieux » dans les semaines suivant le 14 avril, avec un point culminant
seulement un mois plus tard et un net recul ensuite. Lui qui déplore n’avoir « pas
eu de bol », il a plutôt eu de la chance de s’en tirer cette fois à si bon
compte.
Michel Le Séac'h
[1] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, Paris, 2015, p. 59 s.