« Petite phrase et grosse polémique », titrait Jérémy Chevreuil dans le blog politique de France 3 Régions Franche Comté
mercredi dernier. En cause, une déclaration du sénateur socialiste François
Patriat, président du conseil régional de Bourgogne. Cette phrase, « voter
FN c’est voter Daech », avait été prononcée quelques jours plus tôt à
Besançon, lors d’une réunion publique en faveur de la liste du PS aux
élections régionales. Elle avait aussitôt été reprise en titre par L’Est
républicain. « Je fais un amalgame un peu en raccourci, je
l’avoue », a plus tard admis M. Patriat sur
Public Sénat, tout en réitérant sa formule.
Le sénateur socialiste n’est pas seul à faire cet
amalgame. Dans les jours suivants, plusieurs responsables politiques de premier
plan engagés dans la campagne des régionales reprennent le même thème.
- Il
s’agit d’abord de Gérard Darmanin (Les Républicains), directeur de
campagne de Xavier Bertrand dans la région Nord-Pas-de-Calais, qui déclare à
Ludovic Vigogne, de L’Opinion : « La seule chose qui peut
faire gagner Marine Le Pen, c’est un attentat 48 heures avant. C’est la
candidate de Daech. » (Cette déclaration daterait du 30
septembre, mais L’Opinion ne l’a publiée que le 30 novembre.)
- À droite toujours, mais au Sud cette fois, Christian Estrosi, candidat Les Républicains en PACA, s’exprime ainsi dans une interview au Point recueillie par Jérôme Cordelier : « Daech a réussi son opération puisqu'il est devenu l'agent électoral du FN ». L’article publié par le magazine le 2 décembre est intitulé : « Christian Estrosi : "Daesch est l’agent électoral du FN" ».
- Soutien de Christian Estrosi dans sa campagne régionale, Mourad Boudjellal, président du RC Toulon reprend pratiquement la même formule que François Patriat. L’AFP en fait le titre d’un article repris par plusieurs journaux le 2 décembre: « Pour Mourad Boudjellal, "Voter FN, c’est aussi voter Daech" ».
- Au centre enfin, le thème est repris par Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI et député-maire de Drancy. Interviewé par Jean-François Achilli sur France Info, il déclare le 30 novembre que le vote Front national « va donner un boulevard à Daech ». « Lagarde : "Daech bénéficiaire du Front national" » titre France Info sur son site web.
Une telle convergence intrigue. Les grands esprits se
rencontrent, bien sûr, mais ne se rencontrent-ils pas encore plus sûrement s’ils se sont donné rendez-vous ? Le Front national a traîné comme un boulet pendant vingt-cinq ans une petite phrase prononcée par Jean-Marie Le Pen en 1987 : « Les chambres à gaz sont un détail »*. Beaucoup
aimeraient sans doute lui trouver une remplaçante. Daech pouvait-il être une
opportunité ? « Marion Maréchal Le Pen l’a dit elle-même, la
campagne du Front national est dynamisée par les attentats »**, explique
François Patriat.
La formule de ce dernier, « Voter FN, c’est voter
Daech », pourrait faire une petite phrase assez efficace grâce à sa
simplicité, à sa forme déclarative, à sa répétition interne (« voter »)
et aux préoccupations actuelles de l’opinion. Qu’elle puisse devenir un
vecteur de diabolisation, c’est plus douteux. Elle est trop éloignée de la
déclaration réelle de la responsable FN pour qu'on la lui réattribue, mais surtout il est peu probable que
le public la considère comme plausible. Dès lors, ses chances d’être pérennisée
par l’opinion paraissent très faibles.
Michel Le Séac'h
Michel Le Séac'h
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* Voir La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?
, p. 49.
** Le
Parisien a publié le 25 novembre
une interview de la candidate du FN en PACA par Olivier Beaumont. À la
question : « Le FN progresse dans tous les sondages. Y voyez-vous
un lien avec les attentats ? », elle répondait : « La
dynamique était déjà très forte pour nous avant les attentats. Mais il est vrai
qu’elle est amplifiée par ce terrible contexte. »
Marion Maréchal Le Pen en 2012, photo Gauthier Bouchet, licence
CC BY-SA
3.0, Wikipedia