Selon un principe assez largement admis, le président de la République annonce les bonnes nouvelles et le Premier ministre les mauvaises. D’où un étonnement général quand, vendredi 29 janvier, Jean Castex n’a pas annoncé un troisième confinement face au covid-19 mais seulement quelques restrictions supplémentaires.
Dans les jours précédents, des rumeurs souvent attribuées à des membres du gouvernement ou à des proches d’Emmanuel Macron évoquaient pourtant un reconfinement probable. Voire certain : le Journal du Dimanche, pourtant pas tombé de la dernière pluie, s’y était laissé prendre, annonçant en Une un reconfinement imminent.
Les rumeurs semblent avoir redoublé après l’intervention de Jean Castex. Cependant, elles ont changé d’orientation : la décision aurait été imposée par Emmanuel Macron contre l’avis de son Premier ministre et de son ministre de la Santé. Mais au soulagement d’une majorité de Français, qui commençaient à râler sec. Le reconfinement paraissait tellement acquis que le non-reconfinement passe pour un allègement. Quand on a cru au pire, le moins pire semble un mieux. Et c’est au président de la République qu’il faut en être reconnaissant, insistent les « indiscrétions ». « Alors Emmanuel Macron tranche », écrit Le Figaro. « Ce ne sera pas pour cette fois. ‘Une décision de courage et d’intérêt général’ vante un proche du président[i]. »
L’urgence n’était pas là
Le tableau paraît un peu trop léché. Le reconfinement n’était pas vraiment dans les chiffres. Le nombre de nouveaux cas de covid-19 était pratiquement stable en France depuis le 12 janvier. Le nombre de décès, très légèrement ascendant depuis le 8 janvier, était de l'ordre de 430 par jour à la fin du mois, soit guère plus que la moyenne du mois de décembre et beaucoup moins qu’à la veille du premier confinement (près de 1.000 morts par jour).
Fallait-il tenir compte de nouvelles inquiétantes en provenance de l’étranger ? Même pas. Après un pic à près de 1.000 décès par jour vers le 12-13 janvier, le nombre de décès était en net recul en Allemagne, aux alentours de 700 par jour. Le nombre de nouveaux cas avait baissé de moitié entre Noël et la fin janvier. En Espagne, le nombre de nouveaux cas, en forte hausse sur les trois premières semaines de janvier, reculait nettement depuis le 22 janvier. Le nombre quotidien de décès, un peu plus de 300 en moyenne, était très inférieur en fin de mois à ceux du début novembre (plus de 800) et du début avril (plus de 900). L'Italie avait connu une forte reprise de l'épidémie en automne mais le nombre de décès journalier baissait lentement depuis son sommet, environ 740, début décembre. À fin janvier, il était de l’ordre de 450. Les nouveaux cas étaient presque deux fois moins nombreux qu'à la mi-novembre. Au Royaume-Uni, après une flambée alarmante début janvier, les nouveaux cas étaient deux fois mois nombreux à la fin du mois. Le nombre de décès suivait la même pente avec un décalage de quelques jours.
La petite phrase restée dans les limbes
Que se serait-il passé si Emmanuel Macron s’était exprimé lui-même ? Pure conjecture, bien entendu, mais vu l’ambiance, il y a fort à parier qu’on aurait déniché quelque petite phrase à lui reprocher, comme ces « 66 millions de procureurs » extraits voici quelques jours d’un discours sur la recherche en physique quantique. À ne rien dire, tout en faisant dire qu’il a agi, il joue la prudence.
Cela paraît raisonnable. À condition de ne pas en abuser, dirait probablement Francis Fukuyama. Décidément dégrisé quant aux vertus intrinsèques de la démocratie, celui-ci assurait voici quelques mois, dans un article très remarqué de The Atlantic à propos de la lutte contre le covid-19, que « ce qui importe en fin de compte n’est pas le type de régime mais le fait que les citoyens ont ou non confiance dans leurs leaders et que ces leaders dirigent un État compétent et efficace » (« What matters in the end is not regime type, but whether citizens trust their leaders, and whether those leaders preside over a competent and effective state ») [ii]. Pour regagner la confiance des Français, Emmanuel Macron devra tout de même se montrer quelquefois.
Michel Le Séac’h
P.S. Et voilà : dès qu'il a eu la possibilité d'annoncer une bonne nouvelle, dans la soirée du 2 février, Emmanuel Macron s'est empressé de « se montrer » en personne. Il l'a fait de la manière la plus factuelle possible, en laissant la main aux Français. Ils pourront se faire vacciner dans les prochains mois sans y être obligés : il n'est pas question de « 66 millions de vaccinés ». Et le 4 février, Jean Castex, au risque de détricoter à retardement la communication élyséenne, a expliqué n'avoir pas reconfiné parce que la situation sanitaire ne l'exigeait pas.
llustration : capture partielle d’écran, Déclaration du Premier ministre Jean Castex à l’issue du Conseil de défense Covid-19 du 29 janvier 2021, site de l’Élysée via YouTube.
[i] Arthur Berdah, François-Xavier Bourmaud et Mathilde Siraud, « Reconfinement : l’histoire secrète de la décision surprise de Macron », Le Figaro, 1er février 2021.
[ii] Francis Fukuyama, « The Thing That Determines a Country’s Resistance to the Coronavirus », The Atlantic, 30 mars 2020.
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