Damien Deias, de l’Université de Lorraine, dont un article sur « Les petites phrases en temps de pandémie » paru dans The Conversation a été reproduit ici, poursuit son travail sur les petites phrases. Il vient de publier dans la Revue Algérienne des Sciences du Langage une étude intitulée « De ‘Casse-toi pov-con’ à Jair Bolsonaro : la confusion des scènes dans le discours politique à l’ère de la communication numérique ».
Il y introduit le concept de « confusion des scènes », qui rebondit sur celui de « mise en scène de l’officiel ». Pourquoi confusion des scènes ? Parce que d’un personnage politique on attend une certaine retenue dans ses déclarations publiques. Or, avec le développement des réseaux sociaux, on voit apparaître une « catégorie de petites phrases politiques, produites par des personnalités officielles, [qui] tendent à diffuser un contenu violent, à invectiver, à ridiculiser, à parodier, à choquer ». D’où cette définition : « La confusion des scènes, c’est la confusion de la voix officielle des Hommes politiques, et de la voix privée, de par l’usage d’une scénographie en décalage avec le cadre des discours politiques ».
Entre autres exemples, Damien Deias cite les moqueries de Jair Bolsonaro et de Recep Tayyip Erdogan à l’égard d’Emmanuel Macron, de Donald Trump à l’égard de Kim Jong-un ou de Rodrigo Duterte à l’égard du pape François. Mais la confusion des scènes touche aussi la vie politique française. Signe d’un développement du populisme ? Cette idée paraît insuffisante à l’auteur, qui cite, outre le « Casse-toi pov’ con » de Nicolas Sarkozy, des sorties de Valérie Pécresse ou d’Emmanuel Macron.
Quousque tandem…
Cette « nouvelle manière de communiquer » ne se résumerait pas à une « vulgarisation » du discours politique mais révélerait « un changement plus profond du mode de communication, du rapport au citoyen et au monde ». Un changement induit par la technologie. Car la confusion des scènes se serait « développée en concomitance avec la montée en puissance des médias numériques et des réseaux sociaux ».
Est-ce si sûr ? Bien avant l’invention de la locution « petites phrases », on parlait de « pointes », de « traits », de « saillies », termes qui dénotent une certaine brutalité du discours. La parole politique a souvent été violente, même en régime démocratique. Des générations de latinistes se sont exercés à traduire les Catilinaires de Cicéron. Leur incipit, l’une des petites phrases les plus célèbres de l’Antiquité, est franchement agressif : « Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra » (« Jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? »). Le langage vulgaire du quotidien y fait irruption sur les travées du temple de Jupiter Stator devant le Sénat de Rome. La confusion des scènes pourrait être bien antérieure au développement des réseaux sociaux.
Michel Le Séac’h
Illustration : gravure de Jean-Baptiste Simonet d’après Jean-Michel Moreau le jeune, 1800, collections du British Museum, n° 759549001, sous licence CC BY-NC-SA 4.0
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