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02 octobre 2023

« Il y a du Doriot dans Roussel » : une petite phrase et pire encore entre insoumis et communistes

La gauche française est secouée depuis une dizaine de jours par une petite phrase qu’on aurait pu croire improbable. Le 20 septembre, Sophia Chikirou, députée de La France insoumise (LFI) partage sur Facebook un avis négatif sur Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, et ajoute : « Il y a du Doriot dans Roussel ». Jean-Luc Mélenchon, chef des Insoumis, approuve.

Bien entendu, Jacques Doriot et Fabien Roussel ont quelque chose en commun : il y a du communisme dans l’un comme dans l’autre. Doriot a été député communiste pendant treize ans, de 1924 à 1937. Roussel l’est depuis six ans. Mais leurs parcours sont bien différents.

Celui de Jacques Doriot est chahuté. Jeune ouvrier, il devient militant socialiste (SFIO) avant d’adhérer au Parti communiste. Formé à l’agit’prop’ en Union soviétique, il devient à 25 ans député de Saint-Denis. Désireux d’œuvrer à une union de la gauche refusée par le PCF, il est exclu du parti en 1934 puis crée en 1936 un parti concurrent, le PPF, qui évoluera vers le national-socialisme. Pendant la guerre, héraut de la gauche collaborationniste, il finit par s’engager dans la LVF, se bat sous l’uniforme allemand sur le front de l’Est et meurt d’un fait de guerre à 46 ans.

 Les leaders communistes en 1928. En haut, de gauche
à droite, Duclos, Cachin, Barbé (également
cofondateur du PPF) ; en bas, Doriot, Alloyer, Thorez.
En comparaison, Fabien Roussel, 53 ans, mène une existence linéaire de communiste pur jus. Adhérent du mouvement de jeunesse du PC dès l’adolescence, il est embauché à 20 ans à L’Humanité, où son père est journaliste, puis travaille pour des parlementaires et ministres communistes avant d’être élu député en 2017 et désigné secrétaire national du PCF l’année suivante.

De toute évidence, Sophia Chikirou s’est livrée à une provocation envers l’appareil communiste. Mais les remous vont bien au-delà. L’Humanité réagit au quart de tour. « Le Rubicon a été franchi en matière d’injures et de calomnies entre partenaires de gauche », s’indigne le quotidien communiste, qui appelle à la rescousse les partis membres de la Nupes. « Le gouvernement doit sortir le pop-corn en nous voyant nous taper dessus », déplore dans ses colonnes l’écologiste Cyrielle Chatelain. « Depuis l’été, s’est instaurée entre nous une guerre de la petite phrase. Là, on tombe dans l’attaque interpersonnelle et la décrédibilisation des autres partis… ».

Torts partagés et néanmoins gravissimes

Mais reconnaître explicitement une « guerre de la petite phrase » sous-entend que les torts ne sont pas tous du côté de LFI. Dans Slate, Sylvain Boulouque renvoie encore plus clairement aux « usages rhétoriques du PCF dans les années 1920 et 1930, ou lors des heures chaudes de la guerre froide ». Et il ajoute : « le syndrome de la forteresse assiégée semble refaire surface avec d'autant plus d'aisance que le secrétaire général du PCF est lui aussi adepte des petites phrases choc qui génèrent la polémique ». Jean-Numa Ducange est sur la même ligne dans Marianne : « On peut bien sûr critiquer la ligne de Roussel, y compris sa méthode qui consiste parfois à faire parler de lui à tout prix à l’aide d’une ″petite phrase″ ».

Mais les sept mots de Sophia Chikirou et surtout le nom de Doriot, chargé de sous-entendus épouvantables, portent apparemment la « guerre » à un degré supérieur. « Je me penche rarement sur une petite phrase, mais celle-ci est lourde de sens et peut-être de conséquences », gronde Patrick Cohen dans un éditorial de La 5. Il y voit une « diabolisation du débat public qui renvoie tout le monde à l'extrême-droite » : avec l’intervention du diable, la guerre des petites phrases devient guerre de religion.

M.L.S.

Photo : Domaine public, BNF, via Picryl