À première vue, Elon Musk, patron de Tesla Motors (automobiles
électriques) et de SpaceX (lanceurs spatiaux), est un orateur déplorable. On l'a vu fin 2015 lors du lancement de la Tesla Model
X : malgré l’importance capitale de l’événement pour son entreprise,
il bafouille et multiplie les « euh… ». Rien à voir avec la maîtrise souveraine de
feu Steve Jobs auquel on le compare parfois. Le public français a pu en
juger en direct en décembre dernier lors du discours
prononcé par Elon Musk à la Sorbonne.
Mais si la forme de ses discours laisse à désirer, Elon Musk
maîtrise leur contenu. « Quand vous écoutez Musk parler, vous retenez
toujours une ou deux petites phrases mémorables » note
ainsi Joseph Stubblebine, un spécialiste des ressources humaines. Musk
sait particulièrement bien s’adapter à son public. Il veille à l’alignement
entre le contenu de ses formules et la culture de son public. Devant des
ingénieurs, par exemple, il mettra en valeur des spécifications de ses
produits. Devant des journalistes, il mentionnera des détails qui nourriront un article.
Contrairement aux patrons média-traînés à mort par leurs chargés
de com’, il ne contraint pas sa parole. C’est dans sa nature : s’il n’a
pas hésité à réinvestir dans des technologies incroyablement risquées les
centaines de millions que lui avait rapporté la vente de PayPal, pourquoi
aurait-il peur des mots ? La Silicon Valley résonne encore d’une ses
sorties à propos d’Apple, qui cherchait à embaucher certains de ses
ingénieurs : « Si vous ne réussissez pas chez Tesla, vous partez
travailler chez Apple. »
En juin 2014, Tesla Motors a décidé de mettre ses brevets à
la disposition de quiconque souhaiterait les utiliser « de bonne
foi ». Pour annoncer cette mesure radicale, Elon Musk a publié dans le
blog officiel de la société un
article intitulé : « All Our Patent Are Belong To You ».
Incompréhensible pour le commun des mortels, ce charabia reprenait en fait, à
la manière d’un snowclone,
une phrase-culte du monde geek : « All your base are belong
to us » (souvent résumée en « AYBABTU »)[1].
Avec ces sept mots, le message a été instantanément compris du public visé.
Les petites phrases ne naissent pas égales : celles qui
sont prononcées par des personnages en vue partent avec un meilleur bagage
dans la vie, car elles ont bien plus de chances d’être répétées, donc
mémorisées. Les chefs d’entreprise sont rarement connus du grand public. Mais
il y a des exceptions, et Elon Musk est l’une d’elles.
Michel Le Séac'h
[1] Voir La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, Eyrolles, 2015, p. 144-145.
Photo : Elon Musk en 2015 par Steve Jurvetson via Wikipedia, CC BY 2.0
Photo : Elon Musk en 2015 par Steve Jurvetson via Wikipedia, CC BY 2.0
Biographie « à l’américaine » sur le créateur d’entreprise le plus extraordinaire de notre temps, le livre d’Ashlee Vance sur Elon Musk fait un tabac aux États-Unis. Il dresse le portrait d’un génie tourmenté, incroyablement exigeant envers lui-même et ses équipes, qui bouleverse des industries entières (paiements en ligne, automobile, aérospatial...) grâce à des technologies ambitieuses et à des modèles économiques radicaux. Elon Musk (que j'ai eu le privilège de traduire) vient de paraître chez Eyrolles.