Il y a pas mal d’amertume chez Chloé Morin. Elle est entrée en politique à 24 ans comme chargée de mission au cabinet du Premier ministre. De quoi voir la vie en rose, pour une jeune socialiste. Hélas, il s’agissait de Jean-Marc Ayrault. Comme d’autres, elle en a retiré une vision plutôt pessimiste de la politique, détaillée surtout dans son précédent essai, Les Inamovibles de la République(1).
Dans son nouveau livre, On a les Politiques qu’on mérite, elle veille néanmoins à évoquer ses fonctions aux marches du pouvoir. « J’ai pourtant passé plus de quatre ans en politique, comme conseillère à Matignon » écrit-elle. Des deux premières années, son principal souvenir semble être d’avoir été reléguée dans un placard à balais lors de travaux de décoration. Renvoyée en 2014 « aussi brutalement que Jean-Marc Ayrault »(1), elle a été repêchée par une collaboratrice de son successeur, Manuel Valls. De ce dernier, elle tire davantage d’enseignements. Ils n’ont apparemment pas suffi à la réconcilier avec la vie politique. Elle y a renoncé, assure-t-elle dans ses dernières lignes (p. 318) : « Je sais désormais pourquoi j’ai fait – indirectement il est vrai – de la politique. Et également pourquoi je n’en fais plus. »
Le livre n’éclaire pas totalement son titre énigmatique. Ces Politiques, magnifié(e)s par une capitale, ne sont pas les orientations d’un gouvernement mais les personnages qui prétendent au pouvoir. On, c’est nous : le peuple, les citoyens, les électeurs. Mais qu’est-ce que le mérite ? Chloé Morin ne veut pas dire que les Politiques ne sont pas à la hauteur des Français mais l’inverse : « Si l’air politique devient irrespirable pour l’immense majorité de ces élus juste « normaux », c’est parce que nous [les citoyens] attendons d’eux des choses proprement surhumaines, ce qui en décourage plus d’un. » (p. 315)
Éloge du clientélisme
Sans doute a-t-elle dû se retenir pour ne pas écrire plutôt : « Les Politiques n’ont pas le peuple qu’ils méritent ». Ou encore : « Vous l’avez bien cherché ! » Car, selon elle, à force de rendre la vie impossible aux gens dévoués, le peuple les fait fuir. Il ne reste que les « monstres » qui, eux, ne renoncent pas : Trump, Bolsonaro, Orban, Salvini, Le Pen, Zemmour, Mélenchon.
Mais à quoi reconnaître alors un Politique « juste normal » ? Chloé Morin livre un plaidoyer inattendu en faveur du clientélisme : « Le "clientélisme", ou l’argument ultime que l’on brandit pour nier la réalité de la popularité d’un élu, sans même voir que cette accusation salit autant l’électeur – traité comme un vulgaire animal qui suivrait aveuglément celui qui lui donne à manger – que le politique qu’elle vise. » (p. 307).
Elle a été à bonne école : Isabelle Balkany est probablement le témoin qu’elle cite le plus largement dans son livre. Du moins nominativement, car si ses entretiens sont datés, ses interlocuteurs sont souvent anonymes : on croise par exemple « un ex-collaborateur de cabinet », « l’épouse d’un très haut responsable politique écologiste » ou, à quatre reprises, « une vieille routière de la politique ». Ils suivent souvent un même fil conducteur : la politique, c’est très dur, et le dégagisme, ça n’est pas juste. D’une lecture rapide on pourrait retirer l’impression que les Politiques qu’on mérite sont du genre geignard.
« Je traverse la rue » entendu d’en face
Ce serait pourtant injuste. Ce livre s’intéresse aussi à la politique vue d’en haut. Et c’est là qu’interviennent les petites phrases – qui selon Chloé Morin la tirent vers le bas. L’un de ses premiers chapitres est en grande partie consacré au fameux « Je traverse la rue… » d’Emmanuel Macron(2). « C’est l’une de ces "petites phrases" qui font le sel de la politique et les choux gras des médias, de celles que le public retient et ressasse encore des années plus tard, parce qu’elles auront soudainement semblé donner un sens à ce que l’on pressentait confusément. » C’est parfaitement dit : l’important, dans la petite phrase, n’est pas tant son auteur que son public – qui y voit le portrait de son auteur. Un alignement idéal du logos, de l’ethos et du pathos.
« Le verdict est clair », estime Chloé Morin : « Macron méprisant, Macron déconnecté. Cette petite phrase tronquée et relayée à l’infini a donc achevé de brosser ce portrait en creux d’un président découplé du réel, laissant le citoyen ébahi, comme à chaque fois – et les épisodes sont légion –, devant une telle déconnexion de ses élites. » C’est l’interprétation bruyante qu’en ont donné les Gilets jaunes. Mais l’analyse n’est pas poussée assez loin : qu’ont pensé en silence ceux qui n’ont pas besoin de traverser la rue ? N'était-il pas tentant, pour les retraités et les fonctionnaires entre autres, de se donner bonne conscience en se disant que, après tout, quand on veut, on peut ? La question n’a jamais été posée à ces publics qui pèsent lourd dans l’électorat du président. Si la réponse était « oui », l’alignement du logos, de l’ethos et du pathos ne serait pas moins idéal, quoique diamétralement opposé !
Chloé Morin a interrogé Emmanuel Macron alors qu’elle préparait son livre, « Emmanuel Macron, qui à de nombreuses reprises a vu ses "petites phrases" être retournées contre lui » (p 193). Il est dommage qu’elle ne lui ait pas demandé si ces petites phrases n’ont pu aussi tourner en sa faveur auprès d’électeurs finalement plus nombreux.
La vertu à 4,5 %
Yannick Jadot peut apparaître comme l’exemple inverse, le type même de « celui ou celle qui choisit de ne pas jouer de la petite phrase » (p. 276). Chloé Morin s’étend longuement sur son cas. « Au fond, Yannick Jadot estime que même les citoyens en colère attendent avant tout des politiques des réponses, et non qu’ils "gueulent plus fort qu’eux", comme un simple miroir de leur détresse et de leurs aspirations. » Il veille à la tenue de ses interventions publiques : « Ce n’est pas parce que les gens regardent des débats hystérisés en masse […] que c’est ce qu’ils attendent de la politique. […] Il faut garder en tête le fait que les gens ne croient pas au Grand Soir, ne veulent pas la révolution, ils veulent simplement de vraies réponses. Donc, dans cette campagne présidentielle, nous devons être aussi sur des choses très concrètes, sur des choses comme le pouvoir d’achat, le prix de l’énergie, expliquer comment concrètement nous allons aider les gens pour que demain soit un peu meilleur qu’aujourd’hui ».
Cependant, une petite phrase ne consiste pas nécessairement à « gueuler » ‑ témoin « Je traverse la rue ». Et « hystérisés » ou pas, les citoyens regardent quand même les débats : quand on choisit un chef, on s’assure qu’il a un tempérament de leader. Surtout, Chloé Morin a rencontré Yannick Jadot bien avant l’élection présidentielle. Sans quoi elle n’aurait pu éviter de l’interroger sur le rapport éventuel entre sa campagne vertueuse et son score de 4,5 % des voix.
Questions remises à plus tard
Ce ne sont pas les seules occasions manquée. Parmi les cas étudiés par Chloé Morin figure celui de Myriam El Khomry, ancienne ministre socialiste du Travail, victime d’un « procès en incompétence » pour n’avoir pas su dire à Jean-Jacques Bourdin combien on pouvait signer de CDD successifs. Battue aux élections législatives de 2017 bien que soutenue à la fois par le PS et par LREM, elle a quitté une vie politique trop dure pour elle. « Ma façon de faire de la politique s’accommode assez mal de la petite phrase qu’il faut commenter où lâcher dans les médias », assure-t-elle. À défaut de savoir sa leçon, une bonne repartie opposée au journaliste aurait-elle pu retourner la situation ?
En sens inverse, quand Chloe Morin revient sur le cas de François Fillon « auteur le 28 août 2016, dans son fief de Sablé-sur-Sarthe, de la tirade assassine "Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?", missile alors lancé en direction de Nicolas Sarkozy », elle devrait se demander si ce missile a contribué à sa victoire contre Alain Juppé dans la primaire de la droite.
Ces questions non posées pourraient n’être qu’un contre-temps. Ce sera pour une autre fois. À 34 ans, Chloé Morin a peut-être quitté la vie politique mais, essayiste prolifique, elle n’est certainement pas perdue pour la science politique.
Chloé Morin
On a les Politiques qu'on mérite
Paris, Fayard, 2022. 320 p., 19 €.
Michel Le Séac'h
______________
(1)
Chloé Morin, Les Inamovibles de la République, La Tour-d’Aigues,
Éditions de l’Aube, 2020.
(2)
Voir Michel Le Séac’h, Les Petites phrases d’Emmanuel Macron, Paris,
Librinova, 2022, p. 2.
2 commentaires:
Sur toutes les photos de Chloé Morin, elle a la bouche fermée, presque serrée. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'elle a un tempérament dissimulé ? Vos extraits ne montrent pas une grande penseuse et ne me donnent pas envie du tout de la lire. Elle semble penser que le peuple en demande trop aux politiques, mais a-t-elle une fois parlé réformes ? Ca c'est de la politique concrète à la portée de tout politologue !
Je ne suis pas psychologue, mais je pense que les photos de Chloé Morin reflètent plus sûrement un choix de communication de sa part et/ou de la part de son éditeur. Il n'est pas forcément facile pour une femme jeune et jolie de "faire sérieux" !
Mes commentaires ne sont pas représentatifs de tout le livre car je l'ai lu à travers le filtre sélectif des "petites phrases", c'est-à-dire le thème de ce blog. Cependant, d'accord avec vous : selon Chloé Morin, le peuple en demande trop aux politiques et tend ainsi à évincer les meilleurs d'entre eux. Qu'il ne soit pas question de réformes dans le livre me paraît assez légitime car il n'a pas pour sujet la politique en soi mais "les Politiques", c'est-à-dire les personnes qui la font. Son autrice en a fait partie, un peu : quand elle dit que les meilleurs renoncent, il n'est pas impossible que ce soit un plaidoyer "pro domo" ! Ce livre a été écrit à chaud par une jeune socialiste qui après été proche du pouvoir au plus haut niveau a été renvoyée de façon abrupte à la vie "civile" sans guère d'espoir de meilleure fortune. C'est un choc, fatalement !
MLS
Enregistrer un commentaire