18 septembre 2016

« Brexit is Brexit » en révèle davantage sur les petites phrases que sur les intentions de Theresa May

« Le mot d’ordre de Mme May depuis son entrée au 10 Downing Street en juillet est ‘Brexit is Brexit’ » (« Mrs May's mantra since entering No 10 in July has been 'Brexit is Brexit' »), assurait ce matin Tim Sculthorpe dans le Daily Mail, dont il est rédacteur en chef politique adjoint. C’est presque vrai : la formule prononcée par Theresa May en acceptant le poste de Premier ministre du Royaume-Uni, le 13 juillet dernier était en réalité « Brexit means Brexit ».

Qu’y a-t-il de plus simple que « Brexit means Brexit » ? Réponse : « Brexit is Brexit ». Trois lettres en moins. Quant à la signification ou à l’absence de la signification de la formule, bien entendu, changer le verbe ne change rien. Mais on a là une illustration de la tendance des petites phrases à aller vers la formule la plus simple[1]. Si la presse cite majoritairement la formule exacte, le grand public a manifesté dès le début une propension à simplifier, comme le montrent les tendances de recherche calculées par Google Trends :


Même d’éminents auteurs s’y laissent prendre. « ‘Brexit is Brexit’, répète Theresa May, chef du gouvernement britannique », écrit le professeur Christian de Boissieu dans Les Échos. Et à propos, on note la fréquence de la formule non traduite dans la presse française. « Brexit means Brexit » y est plus fréquent que « Brexit signifie Brexit » ; « Brexit is Brexit » l’est à peine moins : comme « I have a dream » ou « Yes we can », c’est devenu l’une des rares petites phrases en langue étrangère connues en France[2].

Il faut dire que le redoublement lui confère une force particulière[3]. Dans Mythologies, Roland Barthes s’agaçait de « la prédilection de la petite-bourgeoisie pour les raisonnements tautologiques (Un sou est un sou, etc.) ». Pensant les condamner, il y voyait de l’anti-intellectualisme, or c’est justement ce qui fait la puissance des petites phrases : elles ne s’adressent pas à la logique. Le raisonnement tautologique n'est pas un raisonnement.

David MacShane, ancien ministre travailliste, était sur la même ligne quand il écrivait le mois dernier dans Le Monde : « La formule incantatoire du premier ministre Theresa May, ‘Brexit is Brexit’, est un slogan et non une politique. Elle sonne juste mais n’en est pas moins dépourvue de sens. » Pour injuste qu’elle soit (Theresa May a livré quelques explications sur ses intentions), cette déclaration a le mérite de souligner qu’une petite phrase « sonne juste », quand bien même elle ne voudrait rien dire. Les poètes de l’Antiquité le savaient déjà, la rime donne un sentiment de vérité[4]. La petite phrase est un sound bite : elle est de l’ordre du son et non du raisonnement. « Brexit is Brexit » en est une bonne illustration.

Michel Le Séac'h

Photo : Theresa May, DFID - UK Department for International Development, licence CC Attribution 2.0 Generic, Wikimedia Commons



[1] Cf. Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, Paris 2015, p. 210.
[2] Idem, p. 20.
[3] Ibid., p. 221.
[4] Ibid., p. 218.

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