« Parfois résister c’est partir » : en quelques heures, la petite phrase twittée par Christiane Taubira s’est imposée dans la presse et sur l’internet. Ses « 3C » -- contenu, contexte et
culture de son public -- étaient bien alignés :
- Contenu : une formule concise, non ambiguë (du moins sous cette forme raccourcie, débarrassée de l’autre volet du tweet initial), au caractère heuristique marqué (elle prescrit une action).
- Contexte : la démission d’une ministre en vue à l’occasion d’un débat largement répercuté par la presse.
- Culture : la résolution par la rupture d’une tension interne à une partie de la gauche, en faisant implicitement appel à une référence sacrée de l’histoire nationale (« résister »).
Cette petite phrase conférait une valence positive à la
démission de la ministre de la Justice, ce qui n’était pas du tout le cas de la
formule célèbre de Jean-Pierre Chevènement : « un ministre, ça
ferme sa gueule ou ça démissionne ». Démissionner, cette fois, c'est affirmer solennellement une attitude morale supérieure et non rentrer dans le rang à contrecœur (ou, au mieux, se retirer sur un Aventin
individuel).
La substitution d’une « jurisprudence Taubira » à
la « jurisprudence Chevènement » comportait évidemment un risque de
discrédit pour le gouvernement, risque dont la petite phrase était en quelque
sorte l’agent actif. Manuel Valls, qu'on sait sensible aux petites phrases, n’a pas laissé passer
celle-ci. « Résister aujourd’hui, ça n’est pas proclamer, ça n’est pas
faire des discours », a-t-il glissé dans ses vœux à la presse, dès le lendemain. « Résister c’est se confronter à la réalité du
pays».
Si le nom de Christiane Taubira n’était pas prononcé (Manuel
Valls l'avait mentionnée un peu plus tôt, en louant sa « cohérence »
et son « efficacité »), tous les commentateurs ont
naturellement considéré qu’elle était la cible de cette remarque. Peut-être
s’agissait-il simplement d’une « réponse du berger à la bergère »,
comme l’a dit Solenn de Royer dans Le
Figaro. Mais, que ce soit par hasard, par calcul ou par intuition, la
déclaration de Manuel Valls est aussi un bel exemple de communication politique
tactique.
Le lendemain, Libération,
BFM
TV et de nombreux autres médias titraient : « Résister
c’est se confronter à la réalité ». Construite comme celle de
Christiane Taubira autour du même verbe fort, « résister »,
cette petite phrase introduit une dissonance cognitive (« Résister c’est
quoi déjà ? »). Elle brouille les pistes de l’opinion publique,
réduisant ainsi largement les chances d’une « petitephaséification »
durable de la déclaration de l’ex-Garde des Sceaux.
Michel Le Séac’h
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