Le succès d’une petite phrase tient à sa reprise par les
médias, à sa répétition sur le web, à sa mémorisation par le public. L’homme
politique qui a mijoté une formule puissante cherchera donc à orienter les
citations vers elle. Au risque d’en faire trop.
C’est ce qui est arrivé samedi à Marco Rubio lors du dernier
débat des candidats républicains à la présidence des États-Unis avant la
primaire du New Hampshire. Malgré son air juvénile, Rubio n’est pas un perdreau
de l’année. À 44 ans, il a siégé une dizaine d’années à la Chambre des
représentants de Floride avant d’être élu sénateur de cet État en 2010. Jusqu’à
ce week-end, il était considéré comme l’un des favoris parmi les prétendants à
la Maison blanche.
La thématique des petites phrases ne lui est pas étrangère. « Il
ne parle jamais des questions de fond et il est incapable de sortir davantage
qu’une petite phrase de dix secondes sur les sujets clés », disait-il
en septembre dernier de son rival Donald Trump. Mais en bon professionnel de la
politique, lui-même n’arrive jamais sur un plateau de télévision sans quelques
formules bien senties dans sa besace.
Samedi, comparé par son concurrent Chris Christie au Barack
Obama inexpérimenté de 2008, Marco Rubio a répondu : « Dire que
Barack Obama ne sait pas ce qu’il fait, c’est juste pas vrai, il sait
exactement ce qu’il fait. » Christie a insisté, Rubio a répété sa
phrase. Christie ne l’a pas manqué : « Nous y voilà, le discours
de 25 secondes appris par cœur » ! Et Rubio, comme groggy, de répéter deux
fois encore : « [Obama] sait exactement ce qu’il fait. »
Toute la presse en a fait des gorges chaudes. « La
sortie de Rubio constitue une manière nouvelle de perdre un débat
télévisé » a commenté Alan Schroeder, professeur de journalisme à
Northwestern University, qui compare le sénateur de Floride à un robot
humanoïde du film Les Femmes de Stepford (1975) : « il
s’est trouvé bloqué en mode détraqué ». On a pu dire parfois qu’une petite
phrase avait remporté une élection présidentielle[1] ;
une petite phrase peut aussi faire perdre une élection.
Michel Le Séac’h
[1] On songe en
particulier à « Vous n’avez pas le monopole du cœur », Voir La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?,
p. 109.
Photo de Marco Rubio par Michael Vadon via Flickr, licence CC BY-SA 2.0