« Car tel est notre bon plaisir », formule attribuée à François Ier et à ses successeurs, est une
fabrication. Mais elle persiste. Même des sources en principe bien informées y contribuent. Tel le château de Chambord, voici quelques jours sur son compte
Twitter.
Chambord n’est pas seul. Dans Les Mots célèbres de
l’histoire (Albin Michel, 2003), par exemple, Daniel Lacotte affirme
péremptoirement que « sans contestation possible, [François Ier] utilise
régulièrement cette expression au bas des édits promulgués ». Diderot, Voltaire, Camille Desmoulins, Robespierre, Marat en avaient dit à peu près autant avant lui.
Jean Bodin est un cas intéressant. « Aussi voyons-nous à la fin des édits et ordonnances ces
mots : “Car tel est notre bon plaisir” », est-il censé avoir
écrit dans Les Six livres de la République. Un bataillon de
bons auteurs citent ce passage[i]. Ils se trompent tous ! On peut le vérifier aisément puisque la
reproduction de l’original est disponible sur Gallica. Voici ce qu’on y lit :
« Aussi
voyons-nous à la fin des édits et ordonnances ces mots : “Car tel est
notre plaisir” ». Le cliché du « bon plaisir » est-il
si puissant que ces auteurs pensent avoir lu l’adjectif là où Jean Bodin n’en
avait pas mis ? En tout cas, le « bon plaisir » est un
mythe.
Au XIXe siècle, l’historien Louis de Mas Latrie est parti à sa recherche dans la masse
des archives disponibles. Sa conclusion est sans appel : « Nulle part, jamais, pas une
seule fois dans cette recherche poursuivie depuis longtemps, je n’ai trouvé la
formule :“ Car tel est notre bon plaisir.” C’est toujours : “Car tel
est notre plaisir”, qui est écrit partout[ii]. »
Internet aidant, le fait est aisément vérifiable de nos jours : le « bon plaisir » est absent des édits de François Ier. L’édit du
Plessis-Macé, par exemple, se termine par cette formule : « car
ainsi nous plaît-il estre fait ».
Aucune subjectivité dans ce plaisir
Entre « bon plaisir » et « plaisir »
tout court, la différence n’est pas seulement de degré. L’adjectif introduit une subjectivité attribuée au monarque : François Ier et ses successeurs
auraient excipé de leur propre caprice. Là encore, c'est faux : « plaisir » vient
du latin placitum, qui signifie chose décidée. Il dénote simplement une
volonté, comme dans la locution « s’il vous plaît ». Le Dictionnaire
de l’Académie française l’avait bien noté dès sa première édition. De même que le Supplément
au Dictionnaire oeconomique du père Chomel, paru en 1743 :
« Car tel est notre bon plaisir, est ce qu’on disait anciennement en
latin quia tale est nostrum placitum. […] le mot placitum est
traduit peu fidèlement du latin, car en latin placitum n’est pas pour
signifier plaisir de fantaisie mais uniquement ce qui a paru bon & a été
approuvé par le dictamen du droit & de la raison. »
Pourquoi une erreur aussi manifeste est-elle aussi persistante ? Chez Voltaire et Diderot, une intention propagandiste est probable. Et depuis 1789, le « bon plaisir » s'inscrit bien dans l’imaginaire politique issu de la Révolution : la subjectivité n’est
pas dans la formule de François Ier mais dans la mémoire des Français. Au point que lorsque Napoléon voudra adopter
une posture monarchique, à partir de 1804, il invoquera son « bon
plaisir » au bas de ses décrets[iii] : l’imaginaire est devenu réalité.
Et que le château
de Chambord se console : il n’est pas seul à propager l’erreur sur l’internet.
« [La volonté du roi] fait force de loi qu'il exprime
par des édits ou des ordonnances qu'il signe de la formule « car tel est notre bon plaisir », a longtemps assuré Wikipédia à l’article
« Royaume de France » [l'article a été corrigé depuis lors].
Michel Le Séac'h
[i]Ainsi Jean Bodin est-il cité notamment par Henri Baudrillart, Jean Bodin et son temps,
Paris, Guillaumin, 1853, p. 271 ; Louis Rougier, Les Paralogismes du
rationalisme, F. Alcan, Paris 1920, p. 499 ; Horst Denzer, Jean
Bodin, Beck, 1973, p. 352 ; Alain Milhou, Pouvoir et
absolutisme royal dans l’Espagne du xvie
siècle, Presses universitaires du Mirail, Toulouse 2000, p. 70 ; Jean
Picq, Une histoire de l’État en Europe, Les Presses de Sciences
Po, Paris 2009 ; Bruno Bernardi, Le principe d’obligation,
Vrin-Éditions de l’EHESS, Paris 2007, p. 89, Simone Goyard-Fabre, Qu’est-ce
que la politique, Bodin, Rousseau et Aron, Paris, Vrin, 1992, p. 93. Le
fac-similé des anciennes éditions est disponible sur Gallica.
[ii]
Bibliothèque de l'école des
chartes. 1881, tome 42. pp. 560-564.
[iii]
Gabriel Demante, « Observations sur la formule "Car
tel est notre bon plaisir dans la chancellerie française",
Bibliothèque de l’École des chartes, année 1893, numéro 54. Voir
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1893_num_54_1_447731,
consulté le 12 octobre 2016.