La rhétorique, ou art de persuader par le discours, occupait une place centrale dans la formation des jeunes de la Grèce antique, puis de Rome. Elle est restée une discipline importante longtemps après : au 19e siècle, dans les lycées français, la classe de 1ère s’appelait encore classe de rhétorique, et cette appellation a perduré dans les usages non officiels jusqu’au milieu du 20e s.
Les adolescents gréco-romains étaient préparés à la rhétorique par des exercices bien calibrés, les progymnasmata. De nombreux traités leur ont été consacrés par des auteurs de l’Antiquité ; presque tous sont perdus. Selon celui d’Aphtonius, rhéteur du 4e siècle, ces exercices étaient au nombre de quatorze : fable, narration, chrie, sentence, réfutation, confirmation, lieu commun, éloge, vitupération, comparaison, éthopée, description, thèse et législation[i].
Le nom de la chrie vient du mot grec chreia, utilité, car l’exercice était considéré comme spécialement utile. Elle « consistait à rappeler un mot, un trait remarquable pour l'appliquer adroitement, à un personnage déterminé ; le mot devait être court, pour mieux paraître en relief et forcer la jeune intelligence à plus d'efforts et de développements »[ii].La chrie dite « de parole », par distinction avec la « chrie d’acte », se distingue de la sentence ou de la maxime principalement par le fait qu’elle se rattache toujours à un personnage désigné. C’est donc un exercice fondé sur une petite phrase.
La pratique de la chrie contribue sans doute à expliquer l’abondance des citations chez beaucoup d’auteurs de l’Antiquité comme Sénèque, lui-même fils de rhéteur. Elle est restée en usage dans les académies protestantes au moins jusqu’au 18e s. « Personne ne me surpassait, dit Goethe, dans les exercices de rhétorique, les chries et autres, et mon père en était si content qu'il me faisait à cette occasion des cadeaux d'argent considérables[iii]. » De nos jours encore, Victor Ferry, formateur qui se présente comme « fondateur de l’Artisanat rhétorique », conseille la pratique d’une chrie modernisée. « Personnellement, je n'aime pas tweeter », dit-il, « mais je m'y suis remis pour pratiquer la chrie[iv]. »
M.L.S.[i] Aphtonius, Sophistae Progymnasmata, trad. latine Rodolpho Agricola et Ionnae Maria Catanæo, Lyon, Ioannes Lertout, 1581, p. 2.
[ii] Émile Amiel, L’Éloquence sous les Césars, Paris, Furne et Cie, 1864, p. 78.
[iii] Cité par Émile Amiel, op. cit.
[iv] Victor Ferry, Douze leçons de rhétorique pour
prendre le pouvoir, Paris, Eyrolles, 2020.
Illustration : Anonyme, La mort de Démosthène, 1805, Nancy, musée des Beaux-Arts (extrait). Photo VladoubidoOo via Wikipedia Commons, licence CC AS 4.0
2 commentaires:
J'ai bein peur que votre exposé complexe soit un chrie dans le désert...
Certes, ce n'est pas d'une cuisante actualité ! Mais cela montre que les rhéteurs antiques accordait une importance particulière à ce que nous appelons aujourd'hui "petites phrases". MLS
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