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16 mai 2022

Jean Castex, un Premier ministre (presque) sans petite phrase

Jean Castex a donc quitté l’hôtel Matignon. Rarement l’expression « petite phrase » aura été aussi peu prononcée à propos d’un personnage si haut placé dans la hiérarchie politique. Et ce n’est sans doute pas un hasard : rarement aussi un Premier ministre aura fait si peu d’ombre à un président.

Les petites phrases accrochées aux basques de Jean Castex ne sont pas seulement rares, elles sont modestes, comme en témoignent ces quelques titres parus dans la presse française :

Ont également été qualifiées de petites phrases, occasionnellement : « Le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c’est de ne pas tomber malade », « Il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikea pour ouvrir des places en réanimation », « Les soignants ne demandent pas d'augmenter le nombre de lits en réanimation mais veulent surtout éviter que les malades arrivent à l'hôpital », « Les vaccinés n’ont plus de chance d’attraper la maladie » (lui-même l’attrapera deux fois), « La véritable variable, ce qui a le plus d'impact, on le sait, c'est fermer les écoles », « Je suis favorable à ce que nous allions plus loin et que nous élargissions les compétences de la collectivité européenne d’Alsace », « Il y a des gens qui rouspètent et il y a des gens qui agissent », « Il ne faut jamais raconter des fadaises ». Rien de tout cela ne semble avoir laissé de trace durable. Et rien ne peint un caractère.

Moins fort que Raffarin

Jean Castex ne restera pas dans l’histoire contemporaine comme « celui qui a dit » ceci ou cela. Hormis Jean-Marc Ayrault, trou noir de la politique, on ne voit pas de Premier ministre plus chiche en formules remarquables.

En particulier, aucune de ses petites phrases ne pourrait être considérée comme « assassine ». Jean Castex a peut-être tué StopCovid ou la campagne « Dedans avec les miens, dehors en citoyen », mais aucune de ses formules un peu remarquées n’était destinée à nuire à un autre homme politique(1). Surtout, aucune n’a pu être prise comme l’expression d’une rivalité avec le président de la République.

Les quelques phrases citées plus haut auraient pu, sans doute, acquérir une bien plus grande notoriété si la presse et l’opinion en avaient décidé ainsi. Si elles ne l’ont pas fait, c’est qu’elles n’ont pas vu chez Jean Castex l’étoffe d’un leader politique. Ce qui n’est pas une critique. Au poste qu’il a occupé pendant deux ans, il faut sans doute du talent et de l’abnégation pour bien montrer qu’on n’ira pas plus haut. Il n’aura pas surpassé Jean-Pierre Raffarin dans cet exercice, mais il aura bien fait le job.

Michel Le Séac’h

(1) À une exception subliminale près. « J'aurai l'occasion de me déplacer plus tard avec le ministre de l'Intérieur qui sera désigné sur ma proposition », avait-il déclaré le lendemain de sa nomination à Matignon, lors d'une visite à un commissariat. Deux ou trois journaux, dont Gala, y avaient vu une « petite phrase » annonçant que Christophe Castaner ne ferait pas partie du gouvernement qu'il était en train de constituer.

05 janvier 2022

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » : Emmanuel Macron perd-il ses nerfs ?

 Le consensus médiatique est clair : « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » est une petite phrase. La locution est employée entre autres par France Culture, Francetvinfo, le Huffington Post, Le Midi libre, France Inter, BFM TV, La Dépêche, Sud Radio, Le Point et jusqu’au Parisien lui-même, celui par qui le scandale est venu.

Cet « emmerder » n’est pas une simple provocation, c’est une politique délibérée, souligne Emmanuel Macron lui-même, répondant aux questions des lecteurs du Parisien : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. » Et il énumère les emmerdements : « Vous n’aurez plus le droit d’aller au restau, vous n’aurez plus le droit de prendre un canon, etc. »

Bien entendu, ces propos déclenchent un tollé dans les médias, les réseaux sociaux et les milieux politiques. Et aussi beaucoup de perplexité. Trois semaines plus tôt, dans son entretien avec TF1 et LCI, le chef de l’État avait assuré regretter ses petites phrases. « Les petites phrases ont disparu de ses interventions depuis de nombreux mois », notait d’ailleurs Grégoire Poussielgue dans Les Échos le 16 décembre 2021. 

Les commentateurs se perdent en conjectures. Les partisans du président de la République cherchent à les orienter vers le mot « emmerder ». Ils tentent un rapprochement avec « Arrêtez d’emmerder les Français », qui est probablement la petite phrase la plus connue du président Pompidou. Les emmerdements prendraient fin si tout le monde était vacciné, donc les non-vaccinés sont des emmerdeurs…

Le glissement sémantique est trop visible pour être efficace. Emmanuel Macron n’appelle pas à cesser d’emmerder les Français, au contraire : il est déterminé à emmerder certains d’entre eux. Ou même à leur dénier la qualité de Français puisqu’il ajoute : « Un irresponsable n’est plus un citoyen » -- déclaration qui n’est pas sans problème dans la bouche du gardien de la Constitution.

Les non-vaccinés ne sont que 10 % de la population. Cherche-t-on à en faire des boucs émissaires ? À attaquer une minorité pour se concilier la majorité, grand classique de la propagande politique ? On a peine à croire qu’Emmanuel Macron pourrait suivre une stratégie d’une faiblesse aussi évidente. Tous les vaccinés sont d’anciens non-vaccinés (voire de futurs non-vaccinés s'ils tardent à se faire injecter la Nième dose obligatoire). Une partie d’entre eux n’ont sauté le pas, justement, que dans l’espoir, en partie déçu, d’éviter les emmerdements. Ils peuvent conserver un certain degré de sympathie pour les non-vaccinés. Dans un pays occupé, si 90 % de la population se tient tranquille, cela ne signifie pas qu’elle est hostile aux 10 % qui résistent. D’ailleurs, le constat est clair : toutes les composantes de l’opposition s’indignent bruyamment. Elles savent bien que les propos du président heurtent la majorité des Français et pas seulement les 10 % de non-vaccinés.

Emmanuel Macron coutumier du fait ?

Faut-il vraiment chercher des hypothèses compliquées ? L’explication pourrait résider en Emmanuel Macron lui-même. Ce ne serait pas la première fois que, sous la pression, il perd ses nerfs. Et il ne serait pas le seul : on a noté la fureur du Premier ministre Jean Castex face à une Assemblée nationale qui retardait le débat sur le passe vaccinal.

On se souvient par exemple de sa sortie du 6 juillet 2015. Il était reçu non par Le Parisien mais par La Provence. Répondant à l’appel du parti Syriza, les électeurs grecs venaient de rejeter par référendum le projet d’accord sur leur dette nationale proposé par l’Union européenne, la BCE et FMI. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, s’était beaucoup investi dans le projet (il voulait éviter de faire « le traité de Versailles de la zone euro »). Ulcéré par le Non grec, il avait lancé : « Le Front national est une forme de Syriza à la française ». C’était apparemment la pire insulte qui lui était venue à l’esprit. La gauche française, pas moins ulcérée, était monté au créneau : qui oserait comparer Syriza (l'acronyme signifie « Coalition de la gauche radicale-Alliance progressiste ») à l’extrême-droite ? Emmanuel Macron, fait rare, avait aussitôt battu en retraite avec un tweet apaisant : « Aucune confusion possible entre le FN et Syriza, issu de la gauche grecque ».

Quand il intervient à brûle-pourpoint et que l’ambiance est un peu chaude, Emmanuel Macron ne maîtrise pas toujours ses paroles. Ainsi lui doit-on :

  • « Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler » (2016)
  • « Il y a des gens qui râlent pour tout, donc râlez » (2017)
  • « Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes » (2017)
  • « S’ils veulent un responsable, qu’ils viennent me chercher » (2018)
  • « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député » (2019)
  • « Vous avez fait le Kamasutra de l'ensauvagement, depuis quinze jours, tous ensemble. Donc je vous laisse à votre Kamasutra » (2020)

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » pourrait bien appartenir à la même veine. Aux psychologues d’expliquer ce qu’il faut bien considérer comme un travers (serait-ce une manifestation de frustration infantile ?). Mais le constat immédiat pourrait être : Emmanuel Macron reste tel qu’en lui-même.

Michel Le Séac’h

P.S. Sur ce sujet, on peut consulter l'entretien de Guillaume Echelard avec Damien Deias paru dans Challenges.

03 novembre 2021

« Le meilleur moyen de soulager l’hôpital… » : une petite phrase à retardement pour Jean Castex

« Le meilleur moyen de soulager l’hôpital c’est de ne pas tomber malade » : cette formule de Jean Castex fait un tabac sur l'internet depuis quelques jours. 20 minutes vient au secours du chef du gouvernement : « À en croire les réseaux sociaux, le Premier ministre, Jean Castex, viendrait de lancer une déclaration totalement absurde »… mais c’est un « fake » !

Une désinformation ? Pas tant que ça. En réalité, Jean Castex a bien prononcé cette phrase, et même deux fois. Seulement, c’était en octobre 2020. Est-elle moins « totalement absurde » pour autant ? Sans doute, si l’on tient compte du contexte : à cette époque, il s’agissait de préconiser le respect des gestes barrières et du port du masque pour lutter contre l’épidémie de covid-19. Mais une petite phrase circule hors contexte. Plus exactement, son véritable contexte est le public qui l’entend.

Or le public en a déjà entendu d’autres de la part de Jean Castex. « Les soignants ne demandent pas d'augmenter le nombre de lits en réanimation... mais veulent surtout éviter que les malades arrivent à l'hôpital », a-t-il ainsi déclaré en novembre 2020. Cela lui avait valu une bronca parmi les agents hospitaliers. De même quand, en mars dernier, il a souligné que « il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikea pour ouvrir des places en réanimation ». « Le meilleur moyen de soulager l’hôpital c’est de ne pas tomber malade » se rattache clairement à la même famille. La phrase est donc crédible, sa cohérence cognitive est irréprochable.

L'heure n'est plus aux « raffarinades »

À tout personnage politique de premier plan, l’opinion publique cherche à accoler une ou plusieurs petites phrases résumant son personnage. S’il ne lui en fournit pas, elle fait avec ce qu’elle trouve. « Jean Castex n’a pas encore trouvé sa petite phrase », notait-on ici l’an dernier. Les Français en ont trouvé une pour lui dans son répertoire. La citation date peut-être d’octobre 2020, mais il y a des chances pour qu’il la traîne avec lui comme Jean-Pierre Raffarin a traîné « la route est droite mais la pente est forte » pendant tout son bail à l’hôtel Matignon.

Jean-Pierre Raffarin n’a pas forcément à s’en plaindre. Lui-même se dit satisfait de ses sorties(1). Il les compare même à la poésie classique chinoise(2) ! Témoignages de bonne volonté et d’ambition limitée, elles lui permettent de collaborer sans heurts pendant trois ans, de 2002 à 2005, avec le président Chirac : « le "mâle dominant" du troupeau n'est pas le Premier ministre », souligne Joseph Daniel(3). On les appelle « raffarinades », par allusion aux « tartarinades » de Tartarin de Tarascon. 

À défaut d’un nom qui rime, Jean Castex possède un accent de circonstance. Le problème, encore une fois, c’est le contexte : les petites phrases appréciées des Français en 2002 ne le sont peut-être plus en 2021.

Michel Le Séac’h

(1) Jean-Pierre Raffarin, Je marcherai toujours à l’affectif, Paris, Flammarion, 2012.
(2) Jean-Pierre Raffarin, Chine - Le grand paradoxe, Paris, Michel Lafon, 2019.
(3) Joseph Daniel, La Parole présidentielle. De la geste gaullienne à la frénésie médiatique, Paris, Le Seuil, 2014.

llustration : capture partielle d’écran, Déclaration du Premier ministre Jean Castex à l’issue du Conseil de défense Covid-19 du 29 janvier 2021, site de l’Élysée via YouTube.

30 mars 2021

« Dedans avec les miens, dehors en citoyen » : le slogan qui a failli devenir petite phrase

Slogans et petites phrases se ressemblent souvent dans leur forme. Surtout quand les secondes sont à l’impératif (« Ralliez-vous à mon panache blanc », « Tuez les tous, dieu reconnaîtra les siens », « N’ayez pas peur »…). Mais les premiers sont mieux cadrés que les secondes. Un slogan est choisi et délibérément répété par une organisation pour favoriser la réalisation de ses objectifs. Une petite phrase… c’est plus compliqué, mais il s’agit d’ordinaire d’une formule attribuée à un personnage désigné, prononcée une fois puis qui vit sa vie dans l’opinion.

Il arrive qu’une petite phrase devienne slogan. Le célèbre « Yes we can » de la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008 est issu d’un discours plus ou moins improvisé prononcé un soir de défaite à l’élection primaire du New Hampshire le 8 janvier de cette année-là[1]. Obama a noté la réaction positive de son auditoire et a fait de cette phrase minimaliste le leitmotiv de sa campagne victorieuse. Qu’un slogan devienne petite phrase serait davantage contre nature.

C’est pourtant ce qui a failli se passer avec le slogan de lutte anti-covid dévoilé le 22 mars par le Premier ministre Jean Castex : « Dedans avec les miens, dehors en citoyen ». Les réseaux sociaux y ont réagi assez systématiquement comme s’ils commentaient une phrase propre au Premier ministre et non un slogan du gouvernement. Ce qui n’est pas étonnant :

  • D’abord parce que Jean Castex l’a dévoilé lui-même. C’est par sa bouche que beaucoup de Français l’ont entendu pour la première fois.
  • Par ailleurs, ce slogan d’inspiration très XXe siècle, si ce n’est années 50, pouvait assez bien correspondre à l’image du Premier ministre. Ressemblance normale si, comme il l’a dit au Parisien, il en est l’auteur.
  • Enfin et surtout, il y a eu ce détournement immédiat et génial : « Dedans avec Durex, dehors avec Castex ». Il attachait irrémédiablement le slogan à l’hôte de Matignon. Et par-dessus le marché, il était bien plus percutant que l’original !

Puis cette attribution de petite phrase a paru retomber assez vite dans l’oubli. Le gouvernement lui-même semble s’être empressé de remiser le slogan au magasin des accessoires. Il ne figure plus sur la page d’accueil de son site ; on peut encore le trouver en rubrique « Covid-19 », mais il faut le chercher. Il paraît absent du site du ministère de la Santé et de la Solidarité. Une seule des treize agences régionales de santé (ARS) l’affiche en page d’accueil à ce jour.


À Jean Castex, on l’a déjà souligné, n’est encore attachée aucune petite phrase, qui marquerait l’opinion durablement. L’occasion s’est présentée, pourtant. Mais « ce n’est pas le moment pour desserrer la bride » ou « il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikea » n’ont pas tenu la distance. Il n’a sans doute pas lieu de s’en réjouir.

Certes, il n’est pas plus mal que les Français renoncent à accrocher à son veston un slogan « sinon incompréhensible, du moins maladroit », comme l’écrit Jean-Philippe Feldman. Mais, favorable ou non, une petite phrase qui marque signale l’appartenance de son auteur aux personnages politiques de premier plan.  On dirait que l’opinion publique refuse cette qualité à Jean Castex.

Michel Le Séac’h

Photo Florian David via Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 4.0


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 121.

02 février 2021

Quand Emmanuel Macron s’exprime sans rien dire

Selon un principe assez largement admis, le président de la République annonce les bonnes nouvelles et le Premier ministre les mauvaises. D’où un étonnement général quand, vendredi 29 janvier, Jean Castex n’a pas annoncé un troisième confinement face au covid-19 mais seulement quelques restrictions supplémentaires.

Dans les jours précédents, des rumeurs souvent attribuées à des membres du gouvernement ou à des proches d’Emmanuel Macron évoquaient pourtant un reconfinement probable. Voire certain : le Journal du Dimanche, pourtant pas tombé de la dernière pluie, s’y était laissé prendre, annonçant en Une un reconfinement imminent.

Les rumeurs semblent avoir redoublé après l’intervention de Jean Castex. Cependant, elles ont changé d’orientation : la décision aurait été imposée par Emmanuel Macron contre l’avis de son Premier ministre et de son ministre de la Santé. Mais au soulagement d’une majorité de Français, qui commençaient à râler sec. Le reconfinement paraissait tellement acquis que le non-reconfinement passe pour un allègement. Quand on a cru au pire, le moins pire semble un mieux. Et c’est au président de la République qu’il faut en être reconnaissant, insistent les « indiscrétions ». « Alors Emmanuel Macron tranche », écrit Le Figaro. « Ce ne sera pas pour cette fois. ‘Une décision de courage et d’intérêt général’ vante un proche du président[i]. »

L’urgence n’était pas là

Le tableau paraît un peu trop léché. Le reconfinement n’était pas vraiment dans les chiffres. Le nombre de nouveaux cas de covid-19 était pratiquement stable en France depuis le 12 janvier. Le nombre de décès, très légèrement ascendant depuis le 8 janvier, était de l'ordre de 430 par jour à la fin du mois, soit guère plus que la moyenne du mois de décembre et beaucoup moins qu’à la veille du premier confinement (près de 1.000 morts par jour).

Fallait-il tenir compte de nouvelles inquiétantes en provenance de l’étranger ? Même pas. Après un pic à près de 1.000 décès par jour vers le 12-13 janvier, le nombre de décès était en net recul en Allemagne, aux alentours de 700 par jour. Le nombre de nouveaux cas avait baissé de moitié entre Noël et la fin janvier. En Espagne, le nombre de nouveaux cas, en forte hausse sur les trois premières semaines de janvier, reculait nettement depuis le 22 janvier. Le nombre quotidien de décès, un peu plus de 300 en moyenne, était très inférieur en fin de mois à ceux du début novembre (plus de 800) et du début avril (plus de 900). L'Italie avait connu une forte reprise de l'épidémie en automne mais le nombre de décès journalier baissait lentement depuis son sommet, environ 740, début décembre. À fin janvier, il était de l’ordre de 450. Les nouveaux cas étaient presque deux fois moins nombreux qu'à la mi-novembre. Au Royaume-Uni, après une flambée alarmante début janvier, les nouveaux cas étaient deux fois mois nombreux à la fin du mois. Le nombre de décès suivait la même pente avec un décalage de quelques jours.

La petite phrase restée dans les limbes

Que se serait-il passé si Emmanuel Macron s’était exprimé lui-même ? Pure conjecture, bien entendu, mais vu l’ambiance, il y a fort à parier qu’on aurait déniché quelque petite phrase à lui reprocher, comme ces « 66 millions de procureurs » extraits voici quelques jours d’un discours sur la recherche en physique quantique. À ne rien dire, tout en faisant dire qu’il a agi, il joue la prudence.

Cela paraît raisonnable. À condition de ne pas en abuser, dirait probablement Francis Fukuyama. Décidément dégrisé quant aux vertus intrinsèques de la démocratie, celui-ci assurait voici quelques mois, dans un article très remarqué de The Atlantic à propos de la lutte contre le covid-19, que « ce qui importe en fin de compte n’est pas le type de régime mais le fait que les citoyens ont ou non confiance dans leurs leaders et que ces leaders dirigent un État compétent et efficace » (« What matters in the end is not regime type, but whether citizens trust their leaders, and whether those leaders preside over a competent and effective state ») [ii]. Pour regagner la confiance des Français, Emmanuel Macron devra tout de même se montrer quelquefois.

Michel Le Séac’h

P.S. Et voilà : dès qu'il a eu la possibilité d'annoncer une bonne nouvelle, dans la soirée du 2 février, Emmanuel Macron s'est empressé de « se montrer » en personne. Il l'a fait de la manière la plus factuelle possible, en laissant la main aux Français. Ils pourront se faire vacciner dans les prochains mois sans y être obligés : il n'est pas question de « 66 millions de vaccinés ». Et le 4 février, Jean Castex, au risque de détricoter à retardement la communication élyséenne, a expliqué n'avoir pas reconfiné parce que la situation sanitaire ne l'exigeait pas.

llustration : capture partielle d’écran, Déclaration du Premier ministre Jean Castex à l’issue du Conseil de défense Covid-19 du 29 janvier 2021, site de l’Élysée via YouTube.


[i] Arthur Berdah, François-Xavier Bourmaud et Mathilde Siraud, « Reconfinement : l’histoire secrète de la décision surprise de Macron », Le Figaro, 1er février 2021.

[ii] Francis Fukuyama, « The Thing That Determines a Country’s Resistance to the Coronavirus », The Atlantic, 30 mars 2020.

 

22 novembre 2020

Jean Castex n’a pas encore trouvé sa petite phrase – ou inversement

Quand un personnage peu connu accède soudain au premier plan, comment le public fait-il connaissance avec lui ? Imagine-t-on que beaucoup de gens le googlent pour lire et analyser ses déclarations passées ? À n’en pas douter, les petites phrases tiennent une grande place dans les premiers contacts entre le nouveau promu et les citoyens. Elles définissent une première impression, et les biais cognitifs (effet d’amorçage, effet de halo…) font le reste.


Ainsi, devenu ministre de l’Économie en 2014 sans carrière politique antérieure, Emmanuel Macron s’est vite fait connaître par les formules à l’emporte-pièce qu’il prononçait ou qu’on lui prêtait. Pour le meilleur ou pour le pire.

Malgré ses 55 ans, Jean Castex était lui aussi peu connu lors de sa nomination comme Premier ministre le 3 juillet 2020. Maire de Prades, commune catalane de 6 000 habitants, et conseiller départemental des Pyrénées-Orientales, il n’avait jamais occupé de fonction électorale au niveau national. Sa carrière politique s’était déroulée dans l’ombre. Il ne semble pas avoir beaucoup recherché la notoriété.

Pas plus que des vaguelettes

Depuis sa nomination à Matignon, il cultive un profil bas dans ses attitudes, ses costumes et ses propos. Au chapitre Castex, la collection de citations célèbres du Parisien ne retient que trois phrases :

  • Je vais appliquer ce que j'ai toujours fait au travail, avec les valeurs qui sont les miennes, et dans le cadre des orientations fixées par le président de la République.
  • Lorsque l'on est comme moi le fils d'une institutrice du Gers, issu de l'école républicaine ... on ne vous propose pas souvent de telles fonctions.
  • On ne peut pas se dérober, quand il s'agit de servir son pays.

De toute évidence, elles relèvent davantage de la langue de bois que des petites phrases. Ponctuellement, quelques déclarations de Jean Castex ont quand même été qualifiées de petites phrases, en particulier celle-ci : « Les soignants ne demandent pas d'augmenter le nombre de lits en réanimation... mais veulent surtout éviter que les malades arrivent à l'hôpital ». Cette déclaration semble avoir suscité une grande émotion, mais seulement au sein d’un public bien particulier, le personnel hospitalier. En dehors de ce « cluster politique », elle a été peu reprise sur les réseaux sociaux. Ses sous-entendus techniques renvoyaient à un débat peu audible pour le grand public.

L’affaire de l’appli StopCovid a été un peu plus remarquée mais n’a pas vraiment donné lieu à une petite phrase, même si certains ont dit que « Jean Castex a tué StopCovid en une phrase ». Quand une journaliste a demandé au Premier ministre s’il avait téléchargé l’appli, il s’est contenté de répondre : « Je ne l’ai pas fait ». Ce n’est pas une formule propice à une reprise sur les réseaux sociaux. De plus, elle concernait une thématique qui laissait l’opinion indifférente puisque 95 % des Français s’étaient pareillement abstenus.

Les Français n’ont pas pris le mors aux dents

Il a fallu plus de quatre mois pour qu’échappe au Premier ministre, le 12 novembre, une formule susceptible de devenir une petite phrase amplifiée par les réseaux sociaux : « Ce n’est pas le moment pour desserrer la bride ». Cette fois, il était en désaccord avec une majorité de l’opinion. Et la métaphore choisie était clairement risquée.

Beaucoup de petites phrases reposent sur des métaphores. Elles exploitent ainsi une sémantique déjà en place. Certaines s’imposent avec force (« Vous n’avez pas le monopole du cœur », « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »…). Mais ce sont les chevaux et les ânes qu’on mène par la bride. S’adresser ainsi aux Français n’était évidemment pas sans danger, surtout à une époque où ils contestent la légitimité des mesures prises par le gouvernement.

Cependant, Jean Castex semble avoir surmonté l’épisode sans casse. Google Trends ne révèle qu’un bref mouvement d’intérêt pour la locution « desserrer la bride » le 12 novembre (supplantée par « lâcher la bride » les jours suivants), sans commune mesure avec les recherches sur « déconfinement » ou « black Friday », par exemple. Ce n’est pas forcément bon signe pour un Premier ministre. À tant cultiver la discrétion, il apparaît peut-être comme quantité négligeable : effet de halo… Le public ne cherche pas à lui accoler de petite phrase. Or il n’y a pas d’homme politique de premier plan sans petite phrase. Jean Castex pourrait bien être en train de passer à côté.

Michel Le Séac’h

Photo Florian David via Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 4.0