Affichage des articles dont le libellé est washington post. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est washington post. Afficher tous les articles

13 décembre 2016

Fake news et petites phrases

Punir les « allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur » qui viseraient à dissuader des femmes d'avorter : tel est l'objectif de la loi « relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse » adoptée voici quelques jours par l'Assemblée nationale. Spécialement visé, l’internet – car c’est là en pratique que s’exerce le militantisme anti-IVG.

Pourquoi borner cette exigence de vérité, sanctions pénales à la clé (deux ans de prison quand même) aux questions relatives à l’IVG ? Pourquoi ne pas punir tout simplement la diffusion d’allégation, indications ou présentations faussées, quelle qu'en soit l'intention ? Justement, le débat fait rage aux États-Unis. Les rumeurs et les bobards ont toujours joué un rôle en politique ; l’internet n’a fait qu’accélérer leur diffusion. On l’a bien vu pendant la campagne présidentielle américaine. Barack Obama s’est publiquement inquiété de la désinformation et des théories du complot circulant sur les réseaux sociaux. La presse écrite, très majoritairement favorable à Hillary Clinton, a critiqué certains sites web pour n’avoir pas fait le ménage dans les messages de leurs utilisateurs concernant la candidate démocrate. Depuis une quinzaine de jours, à la suite du Washington Post, certains journaux affirment même que le gouvernement russe a volontairement répandu des fausses nouvelles sur l’internet pour favoriser l’élection de Donald Trump (le complotisme serait-il en train de changer de bord ?).

L’Oxford English Dictionary vient de valider l’expression « post-truth » (post-vérité), qui désigne « les circonstances dans lesquelles les faits objectifs exercent moins d’influence sur la formation de l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux croyances individuelles ». Les grands de l’internet, Google et Facebook en tête ont annoncé leur intention de priver de publicité les sites qui contiennent des fausses nouvelles. Pendant la campagne électorale américaine, le compte Twitter de Donald Trump était intitulé @realDonaldTrump pour tenter de se distinguer de tous les faux Trump.

Les petites phrases fausses ont parfois l'air plus vraies que nature

Mais en quoi consistent les fake news ? Dans le New York Times, un professeur de philosophie, Michael P. Lynch, a tenté un distinguo entre « mensonge » et « tromperie ». « Mentir », selon lui, « c’est délibérément dire ce que vous pensez faux avec l’intention de tromper votre auditoire. Je peux vous tromper sans mentir (un silence à un moment clé, par exemple, peut être trompeur). Et je peux vous mentir sans tromperie. Cela peut être parce que vous êtes sceptique et ne me croyez pas, mais aussi parce que mon propos se trouve par hasard être vrai. » Cette manière de couper les cheveux en quatre annonce d’intéressants débats à venir !

L’observation des petites phrases pourrait apporter des éléments à ces débats. Une petite phrase qui réussit est largement répétée, mais pas toujours comme elle a été prononcée (d’ailleurs, comme le dit le professeur Lynch, un silence peut être trompeur, or la petite phrase n'en rend pas compte). Il est difficile aujourd’hui de vérifier que Marie-Antoinette a dit, ou pas : « s’ils n’ont plus de pain, qu’ils mangent de la brioche »[1]. Mais il n’est pas difficile de vérifier qu’Emmanuel Macron a dit « la vie d'un entrepreneur est bien plus dure que celle d'un salarié » : la petite phrase ne date que de janvier dernier. Et alors là, surprise : le voyant rouge « fake news » se met à clignoter. En réalité, Emmanuel Macron a dit : « la vie d'un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d'un salarié ». L’omission du mot « souvent » change beaucoup la tonalité de la phrase – s’agirait-il du silence trompeur dont parlait Michael P. Lynch ? Or la première formule (fausse) est dix fois plus fréquente sur l’internet que la seconde (vraie) !

La presse américaine n’est pas à l’abri de ce genre de fantaisies, volontaires ou pas. Washington Post et New York Times en tête, en dépit de leur hostilité aux « fake news », de nombreux journaux ont tronqué une déclaration de Donald Trump (« I will accept the results of the election – if I win »), lui donnant ainsi une tonalité putschiste. Le « sound bite » a fait un tabac sur l’internet. On voit plus aisément une paille dans l’œil du voisin que le fake qui est dans son œil à soi.

Michel Le Séac’h


[1] Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 95.

08 janvier 2016

« Do we want a candidate who could be tied up in court for two years? » : Trump contre Cruz

« Voulons-nous un candidat qui pourrait se retrouver englué devant les tribunaux pendant deux ans ? » À la veille des primaires pour l’élection présidentielle américaine, cette petite phrase de Donald Trump fait sensation.

Elle vise Ted Cruz, aujourd’hui considéré comme le principal rival de Trump dans la course à l’investiture républicaine. Interrogé lundi soir par le Washington Post, Trump a expliqué : « Je n’aimerais pas qu’un obstacle de ce genre se dresse devant lui. Mais beaucoup de gens en parlent et je sais même que certains états regardent cela de très près, le fait qu’il est né au Canada et qu’il a eu un double passeport. » Il n’y a pas qu’en France que la double nationalité est un sujet de débat !

On ne va pas entrer ici dans le fond de l’affaire. En bref, la Constitution américaine dispose que le président des États-Unis doit être citoyen de naissance (« natural-born citizen »). Ted Cruz est né au Canada d’un père cubain et d’une mère américaine. Pourrait-il devenir président ? Les constitutionnalistes ne semblent pas l’exclure. Or, contrairement à l’habitude, cette sortie de Donald Trump n’a pas été accueillie par des quolibets. Au contraire, elle a été relayée par les responsables du Parti républicain. Pourquoi ?

Le journaliste conservateur Rush Limbaugh a son idée sur la question : « l’establishment républicain déteste Cruz. Ils détestent Cruz plus qu’ils ne détestent Trump, car ils se disent que Trump serait plus ou moins malléable, qu’ils auraient une petite chance de travailler avec lui. Mais ils voient Cruz comme un conservateur rigide et inflexible, rien à faire, ils le méprisent. » Les grands journaux comme le Daily News ou le Wall Street Journal, pas davantage séduits par le fondamentalisme chrétien de Ted Cruz, se font un plaisir de reprendre l’interrogation, transformant en petite phrase ce qui aurait pu rester une simple pique.

N.B. : une interrogation n’est pas propice à la naissance d’une petite phrase*. Ici, de toute évidence, la question est rhétorique. Elle signifie simplement : « Cruz n’est pas un bon candidat ». Mais au lieu de le dire directement, elle l’exprime avec toute la puissance d’un sous-entendu.

Michel Le Séac'h
____________________________