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11 octobre 2021

Les petites phrases de Bernard Tapie : une grande place à la première personne

Les petites phrases ont souvent mauvaise presse et l’on ne dit pas de mal des morts – c’est sans doute pourquoi les hommages funèbres rendus à Bernard Tapie depuis une semaine n’ont guère rappelé ses déclarations les plus mémorables.

Pour être juste, 20 minutes a quand même noté avec une touche d’humour noir qu’il avait « préparé le terrain » dès 2017 avec cette déclaration au Monde : « Mourir, ça ne me fait pas chier du tout. La mort, c’est la consécration de la vie. ». Le quotidien ajoute : « ‘’Nanard’’ […] savait que ces deux petites phrases seraient du meilleur effet dans les nécrologies. »

Pour sa part, Cnews a rappelé que « en 1992, c'est lors d'un meeting que Bernard Tapie, bien connu pour ses petites phrases assassines, s'en prendra cette fois aux électeurs du Front national », avec notamment cette formule : « si Le Pen est un salaud, ceux qui votent pour lui sont des salauds ».

On s’étonne quand même de voir si peu rappelées les petites phrases d’un homme qui en était si prodigue. Ouest-France en avait même fait le thème d’un « Quiz » dès 2015. Il y citait :

  • « J’ai menti, mais c’était de bonne foi »
  • « Pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste ? »
  • « Quand vous êtes dans le sens contraire du courant et que vous nagez vite, vous reculez moins que les autres. »
  • « Si moi je veux parler sans grossièreté, je peux le faire, mais ça paraîtra aussi naturel que si Giscard disait : ‘’J’en ai plein les couilles’’ »
  • « Être un bon comptable, ce n’est pas savoir faire une bonne addition, mais trouver un résultat juste. »
  • « La seule chose que je ne referais pas, ce sont des affaires. »

Consécration suprême, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) inclut Bernard Tapie dans sa galerie « Les petites phrases des politiques ». Il y voisine avec Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing, Jean-Marie Le Pen, Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy et une quarantaine d’autres responsables politiques de premier plan. Il y figure pour ces déclarations :

  • « Je suis rentré chez moi hier soir, ma femme m’a fait la fête, comme d’habitude »
  • « J’aurais dû être moins ambitieux »
  • « On peut pas faire les matchs que quand on est sûr de les gagner »
  • « C’est sérieux la politique »

Bernard Tapie a lui-même été un sujet de petite phrase, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Ministre d’un gouvernement socialiste, il en est exfiltré d’urgence à l’annonce de ses premiers démêlés judiciaires. « Tapie n’a jamais été ma tasse de thé », laisse tomber l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy.

« J'étais riche; je ne le suis plus. J'étais à la mode; je ne le suis plus. Je ne maîtrise ni mon calendrier ni mon destin ! » déplore alors Bernard Tapie. Une épreuve qu’il assure prendre avec philosophie : « Les coups sur la nuque, je les reçois avec respect. Dieu me les envoie pour me fortifier. J’avais la grosse tête, il veut me rendre plus humble. Ma seule prière, c’est que Sa volonté soit faite. »

Mais l’épreuve ne dure pas, et l’humilité non plus. La vertu est en proportion inverse de la prospérité. Quand Bernard Tapie rachète La Provence en 2013, il assure : « Je ne vais pas augmenter les journalistes pour qu'ils aillent se payer des putes! ». Et c’est reparti pour un tour !

Les petites phrases de Bernard Tapie présentent une caractéristique intéressante : beaucoup d’entre elles sont à la première personne. C’est relativement rare. Certes, les petites phrases ont pour principal sujet les leaders politiques. Mais ces derniers se décrivent en général en parlant d’autre chose, et souvent sans le vouloir ; Emmanuel Macron a été jugé méprisant pour avoir parlé des Gaulois réfractaires et des gens qui ne sont rien. Normalement, le moi est haïssable. « L’État c’est moi » (Louis XIV) choque en tant qu’affirmation cynique de l’absolutisme royal. « La République c’est moi » (Mélenchon) choque en tant que prétention outrancière d’un simple élu. Mélangeant le sport, la politique et l’argent, Tapie aurait pu dire « Les affaires c’est moi » sans choquer vraiment. Cela suffit à en faire un personnage hors du commun.

Michel Le Séac’h

Illustration : Jeanne Menjoulet, Flickr, licence CC BY 2.0.

31 janvier 2017

« L’État, c’est moi » : quand la petite phrase façonne l’histoire

« L’État, c’est moi » : ces quatre syllabes d’un roi adolescent sont peut-être la citation la plus connue de toute l’histoire de France. Elles représentent l’archétype du mot historique : bref, célèbre, chargé de sens… et apocryphe.

La formule date du printemps 1655. La France a besoin d’argent, il faut augmenter les impôts pour faire face aux dépenses du royaume, en guerre contre l’Espagne. Depuis des années, le parlement de Paris conteste à peu près systématiquement les tours de vis fiscaux ; il est à l’origine de la révolte de la Fronde qui a ébranlé le pouvoir royal quelques années plus tôt. Cette fois encore, il se réunit pour manifester son opposition.

Louis XIV, qui n’a pas 17 ans, accourt aussitôt. Voltaire a décrit cette scène fameuse dans son Siècle de Louis XIV. Le roi se présente vêtu de son habit de chasse, « en grosses bottes, le fouet à la main » et déclare : « On sait les malheurs qu’ont produits vos assemblées ; j’ordonne qu’on cesse celles qui sont commencées sur mes édits. » Apparemment sûr de ses sources, Voltaire précise : « Ces paroles, fidèlement recueillies, sont dans les Mémoires authentiques de ce temps-là : il n’est permis ni de les omettre ni d’y rien changer dans aucune histoire de France.»

« L’État, c’est moi » ne figure pas dans la description de Voltaire mais dans les Mémoires secrets sur le règnes de Louis XIV, la Régence et le règne de Louis XV de l’historien breton Charles Pinot Duclos, qui en tant qu’historiographe royal assure avoir « lu une infinité de mémoires » ‑ mais qui ne dit pas où et quand la phrase aurait été prononcée. La tradition a rapproché l’image de Voltaire et les paroles de Duclos. Reste que les deux ouvrages ont été rédigés pas loin d’un siècle après la scène. Beaucoup d’historiens doutent que celle-ci ait réellement eu lieu.

Mais peu importe : la petite phrase est profondément ancrée dans les mémoires car elle « démontre » à l’évidence le comportement despotique des rois de France (tout comme d’autres formules plus douteuses encore : « ainsi sera car tel est notre bon plaisir »[1], « s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche »[2]…). Pourquoi sait-on que les rois étaient des despotes ? Parce que Louis XIV a dit : « l’État c’est moi » ! Même apocryphe, cette petite phrase a véritablement « fait l’histoire », elle raconte une histoire qu’elle a contribué à fabriquer. Y compris à l’étranger. « L’État c’est moi: the cult of Sarko », titrait en 2009 le quotidien britannique The Independent[3].


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 35.
[3] [3] John Lichfield, « L’Éétat c’est moi: the cult of Sarko », The Independent, 23 octobre 2009, http://www.independent.co.uk/news/world/europe/iltat-cest-moii-the-cult-of-sarko-1807658.html, consulté le 31 janvier 2017.

Portrait de Louis XIV en 1654 par Juste d’Egmont, musée du château d’Ambras à Innsbrück, Wikipedia Commons

28 novembre 2016

La petite phrase n’attend pas le nombre des années

Avis aux jeunes hommes politiques ambitieux : il n’est pas nécessaire de parvenir aux plus hautes responsabilités avant de prononcer des petites phrases impérissables.

Certes, une petite phrase ne se diffuse et n’est retenue par le public que si elle répond à certaines conditions. Celles-ci tiennent entre autres à son contexte. Et l’un des éléments majeurs du contexte est la personnalité de son auteur. Mais cette personnalité peut s’affirmer a posteriori. Il n’est pas indispensable d’être déjà très puissant ou très célèbre au jour de la petite phrase. Voici quelques exemples de petites phrases devenues des citations historiques et parvenues jusqu’à nous.

  • Jésus avait 33 ans quand il a dit « Rendez à César ce qui est à César »[i]. Il dirigeait une petite
    secte minoritaire et contestée dans une province reculée de l’empire romain. Moins d’une semaine plus tard, il serait condamné à mort et exécuté.
  • Henri IV avait 36 ans quand il a dit « Ralliez-vous à mon panache blanc »[ii]. Il avait été désigné par Henri III comme son successeur neuf mois plus tôt mais la Ligue contestait sa légitimité par les armes avec le soutien de l’Espagne. Il lui faudra des années pour en venir à bout et se faire sacrer roi.
  • Louis XIV avait 17 ans quand il a dit « L’État c’est moi »[iii]. Couronné depuis une douzaine d’années déjà, il venait de voir son trône ébranlé par la Fronde et la situation du royaume était mauvaise. Surtout, il était sous la tutelle effective du cardinal Mazarin.
  • Louis Antoine de Saint-Just avait 26 ans quand il a dit « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté »[iv]. Élu au Comité de salut public, il n’avait guère d’autre titre à faire valoir que sa ferveur révolutionnaire. Quelques mois plus tard, au 9 thermidor, elle lui coûterait sa tête.
  • Bonaparte avait 28 ans quand il a dit « Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ». Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, sans doute, mais il n’était encore que commandant de l’armée française d’Orient dans une Première république où une carrière était à la merci d’un coup de sabre.
  • Martin Luther King avait 33 ans quand il a dit « I have a dream »[v]. Jeune pasteur baptiste remarqué pour son militantisme en faveur des droits civiques, il avait le soutien du président John F. Kennedy, mais ce dernier allait être assassiné moins de trois mois plus tard.
  • Valéry Giscard d’Estaing avait 48 ans quand il a dit « Vous n’avez pas le monopole du cœur »[vi]. Il était ministre de l’Économie et candidat à la présidence de la République, mais quinze jours plus tôt encore, rares étaient ceux qui lui donnaient une chance face à François Mitterrand et Jacques Chaban-Delmas.

Michel Le Séac'h


[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 64.
[ii] Idem, p. 29.
[iii] Ibid., p. 43.
[iv] Ibid., p. 62.
[v] Ibid., p. 115.
[vi] Ibid., p. 109.

Illustration : Jésus chassant les marchands du temple (extrait) par Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, musée des Beaux-arts de Rennes, domaine public via Wikimedia