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23 juillet 2025

« J’en ai rien à péter de la rentabilité des agriculteurs » : la petite phrase sauvage de Sandrine Rousseau

 Le 11 juillet, Sandrine Rousseau est interrogée par le site d’extrême-gauche Le Média. Elle exprime son opposition à la loi Duplomb qui, entre autres, rend aux agriculteurs français le droit d’utiliser certains pesticides. Une nécessité pour leur rentabilité ? « J’en ai rien à péter de leur rentabilité ! » s’insurge-t-elle. La députée écologiste est experte dans l’utilisation des petites phrases : cherche-t-elle une fois de plus à faire scandale pour renforcer sa notoriété ?

Cela paraît improbable. D’abord, elle sait qu’elle s’exprime sur un site relativement marginal. Le Média ne livre pas de chiffres d’audience mais compte 173 000 abonnés sur X et 47 200 abonnés à sa chaîne YouTube, Le Média 24-7. La polémique autour de la petite phrase a dopé sa fréquentation sans la porter à des niveaux extraordinaires. Au 22 juillet, l’émission avec Sandrine Rousseau a été vue 27 000 fois sur Le Média 24-7 ; elle a recueilli 1 200 pouces en l’air et 517 commentaires.

Capture d'écran Le Média
Ensuite, Sandrine Rousseau elle-même n’a sans doute pas le sentiment d’avoir agressé une profession. Dans la foulée, elle précise même : « en fait, c’est pas le sujet ». Pour elle, le sujet, c’est que « la rentabilité de l’agriculture par des produits chimiques au détriment des sols, de la biodiversité, de notre santé, c’est pas de la rentabilité en fait, c’est de l’argent sale ». Plus tard, elle s’efforce, plutôt laborieusement, d’établir une distinction entre « rentabilité » et « revenu des agriculteurs ». Il lui faut y revenir plusieurs fois avant de mettre au point, sur Bsky, une formule expressive : « La rentabilité c’est un sujet d’agrobusinessman, le revenu c’est un sujet d’agriculteur ».

Qu’elle le veuille ou non, Sandrine Rousseau a émis une petite phrase « sauvage »(1) : une formule qui lui a échappé et s’est trouvé un public. Lequel n’est pas celui auquel Sandrine Rousseau pensait s’adresser. Son « j’en ai rien à péter » en témoigne. Le langage de cette universitaire est d’ordinaire plus classique. Un mot grossier employé exceptionnellement et délibérément peut rendre une déclaration remarquable, comme lorsque Emmanuel Macron déclare : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ». Mais encore une fois, le sujet de Sandrine Rousseau n’est pas la rentabilité des agriculteurs. Il est probable qu’elle adopte un langage relâché dont elle pense, à tort ou à raison, qu’il correspond au média dans lequel elle s’exprime.

Des retombées imprévues

Quand la petite phrase, reprise par d’autres médias, en particulier CNews, première chaîne d’information de France, touche d’autres publics que celui des militants d’extrême-gauche ou des électeurs écologistes, il en va autrement. Pour les agriculteurs, la rentabilité est bel et bien un sujet ! Leur pathos écorché considère la petite phrase comme violemment négative car aggravée par un logos grossier. Lequel peut correspondre, tout en l’accentuant, à l’ethos d’une femme politique pas très bien connue mais généralement considérée comme extrémiste. Et comme les Français ont très majoritairement une image positive des agriculteurs et sont conscients de leurs difficultés économiques, ils réagissent négativement à la formule de Sandrine Rousseau. Une grande partie des médias rendent compte de ses propos, parfois en les qualifiant expressément de « petite phrase », comme dans Gala ou le Huffington Post. Les recherches en ligne sur son nom redémarrent, atteignant en plein été un niveau sans précédent depuis un an.

Il est probable que la polémique contribue aussi à l’un des phénomènes politiques les plus notables de ces derniers mois : le succès de la pétitition « Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective », déposée le 10 juillet par une étudiante de 23 ans, qui recueille 1,5 million de signatures en dix jours. Au 23 juillet, elle en est à 1 743 260 signatures. Cela en fait en fait de très loin le texte le plus massivement soutenu des deux mille et quelques pétitions déposées sur le site ad hoc de l’Assemblée nationale.

Michel Le Séac’h

(1) Sur la distinction entre petites phrases domestiques et petites phrases sauvages, voir Michel Le Séac’h, Petites phrases : des microrhétoriques dans la communication politique, p. 125 s.

À lire aussi :

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01 janvier 2017

« On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes » : l’investissement-image de Vladimir Poutine

« I always knew [V. Putin] was very smart » (j’ai toujours su que V. Poutine était très intelligent) a déclaré avant-hier Donald Trump dans un tweet repris urbi et orbi. Cet hommage explicite du président-élu américain au président en exercice russe porte à son sommet la réputation de ce dernier. Mais la principale qualité qu’on lui reconnaît en général n'est pas tant l’intelligence que la détermination. Il le doit pour une part à une déclaration de 1999 : « On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Cette petite phrase est de très loin la plus connue de Vladimir Poutine, en France comme dans le monde entier.

 Elle remonte au 24 septembre 1999. Poutine, nouveau premier ministre du président russe Eltsine, tenait conférence de presse à Astana, au Kazakhstan. Des journalistes l’avaient interrogé sur les raids menés depuis trois semaines par l'aviation russe contre la Tchétchénie. Poutine avait réitéré la position déjà exprimée par le Kremlin : ils étaient destinées à lutter contre le terrorisme.

L'argot russe le plus grossier

La formule de Poutine citée par l’agence de presse russe Interfax (« Vy menja izvinite, v tualete pojmaem – my ix i v sortire zamochim ») avait été traduite ainsi à l’époque : « Nous poursuivrons les terroristes partout. (…) Si on les prend dans les toilettes, eh bien, excusez-moi, on les butera dans les chiottes. » Curieusement, tualete et sortire sont deux synonymes issus du français, l’un convenable, l’autre vulgaire. Mais « i v sortire zamochim », approximativement rendu par « nous les buterons dans les chiottes », appartient sans conteste à l’argot russe le plus grossier, en vigueur dans les cercles mafieux des années 1990 – ainsi qu’au goulag, selon l’ancien dissident Vladimir Boukovski.

La saillie de Vladimir Poutine avait provoqué un bond immédiat de sa popularité en Russie mais avait été peu remarquée ailleurs à l’époque (les Russes eux-mêmes sont surpris aujourd’hui quand on leur dit qu’elle date du siècle dernier). D’abord, son sens n’est pas totalement clair. Au terme d’une analyse savante et détaillée, un universitaire français, le professeur Rémi Camus, en a proposé trois interprétations différentes. Mais surtout, à 46 ans, Vladimir Poutine était alors un personnage peu connu qui avait fait l’essentiel de sa carrière dans l’ombre, comme agent du KGB puis comme adjoint au maire de Saint-Pétersbourg.

La formule est présente le 29 janvier 2000 dans un dossier de Libération sur l’ascension de Poutine grâce à la guerre en Tchetchénie. « ‘S'il le faut, nous irons buter les terroristes jusque dans les chiottes’, lâche-t-il un jour », écrit l’auteur de l’article, Véronique Soulé. Mais elle ne fait que de rares apparitions dans la presse française avant 2011.

Une réplique à la Michel Audiard

« On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes » semble dater de septembre 2011 ; cette version, apparemment de source AFP, paraît alors dans Le Point et Le Figaro. Elle s’éloigne nettement de la formule d’origine (« Nous poursuivrons les terroristes partout. (…) Si on les prend dans les toilettes, eh bien, excusez-moi, on les butera dans les chiottes. »). Mais elle est débarrassée de tout détail inutile et dynamisée par le pronom « on ». Bien qu’étranger à la langue russe, il accroît la sonorité de la phrase et en quelque sorte la francise : on la croirait sortie d’un film de Michel Audiard.

Sous cette forme « optimisée », la petite phrase connaît désormais un succès croissant. Surtout après les attentats du Stade de France et du Bataclan en novembre 2015. Elle devient alors « virale » sur les réseaux sociaux. Seize ans après avoir été prononcée (sous une autre forme…), la petite phrase apparaît comme un mot d’ordre pour l’opinion française ; la popularité du président russe fait un bond, comme le montre le fort pic de recherches sur son nom enregistré par Google Trends dans la semaine suivant les attentats (graphique ci-dessous). Aujourd’hui, Google en recense plus de 20 000 occurrences sur le web français, loin devant toute autre version.

Google Trends : recherches sur « Poutine » en France au cours de l'année 2015

Interrogé en 2011, Vladimir Poutine disait avoir d’abord regretté son langage grossier. Ce n’est pas ainsi qu’un premier ministre doit s’exprimer, lui avait-on fait savoir à l’époque. Pourtant, sa petite phrase s’est révélée à retardement un excellent investissement dans son image internationale. Conclusions : On ne sait jamais à l’avance quel sera le destin d’une petite phrase, elle échappe à son auteur et acquiert une vie propre. Et une grossièreté placée à bon escient, à l’instar du « Merde ! » du général Cambronne, peut avoir un effet puissant(1).

Michel Le Séac’h

Illustration : photo de Vladimir Poutine par Lhooqvsjoconda, CC 4.0 via Wikimedia Commons
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(1) Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 206.

12 janvier 2016

« Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne » : Christiane Taubira après bien d’autres

En 1983, Jean-Pierre Chevènement est ministre de la Recherche et de la Technologie. En désaccord avec une politique gouvernementale qu’il juge trop à droite, il déclare : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne ». Et il démissionne. Il récidivera en 1991, hostile à l’intervention de la France en Irak alors qu’il est ministre de la Défense.

Sa formule est devenue l’une des petites phrases les plus connues de la vie politique française contemporaine. Google en recense des dizaines de milliers d’occurrences et, consécration, elle figure dans l’Histoire de la Vème république pour les Nuls de Nicolas Charbonneau et ‎Laurent Guimier. Elle est systématiquement rappelée par la presse et les milieux politiques chaque fois qu’un ministre manifeste un désaccord avec le gouvernement. Et cela quelle que soit l’issue : démission, résipiscence ou limogeage. On l’a citée ces dernières années à propos de Rama Yade, de Cécile Duflot, de Delphine Batho, d’Arnaud Montebourg et de quelques autres.

Depuis quinze jours, c’est le tour de Christiane Taubira. Son cas n’est pas foncièrement différent, même si elle déploie une interprétation originale du scénario : elle l’ouvre et la ferme alternativement sans démissionner ni être renvoyée. La jurisprudence Chevènement a été rappelée par Alexandre Sulzer dans L’Express, Jean-Baptiste Jacquin dans Le Monde, Grégoire Biseau dans Libération, Jérôme Sainte Marie interviewé par Eléonore de Vulpillières dans Le Figaro, et bien d’autres encore.

Le succès de cette petite phrase tient sûrement à sa bonne adéquation avec la culture des milieux politiques et à la fréquence des circonstances propices à sa répétition, donc à sa mémorisation. Quant à sa forme, on peut noter :
  1. Qu’elle a été spontanément simplifiée et raccourcie par la postérité, « si ça veut l’ouvrir », pas indispensable, ayant été remplacé par le plus bref « ou ».
  2. Qu’elle contient une répétition interne (« ça… ça »), élément souvent favorable à la pérennisation d’une petite phrase.
  3. Que la présence d’un mot grossier (« gueule ») ne lui nuit pas, au contraire : comme l’ont montré Cory R. Scherer et Brad J. Sagarin, une obscénité légère exerce un effet positif sur la persuasion[1].
Michel Le Séac’h

Photo : Guillaume Paumier, Wikimedia Commons, CC-BY-SA-2.5
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[1] Cory R. Scherer et Brad J. Sagarin, "Indecent Influence: The Positive Effect of Obscenity on Persuasion", Social Influence, 1, n°2, juin 2006, https://doi.org/10.1080/15534510600747597