27 mai 2025

Un vaste espace entre langue de bois et petites phrases pour les porte-parole du gouvernement

Interrogée par Sonia Mabrouk sur CNews le 20 mai, Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, a déclaré que « le macronisme, probablement, trouvera une fin dans les mois qui viennent ». Qualifiée de « petite phrase » par LCP, Europe1, BFMTV ou Le Parisien, cette sortie a irrité les proches du président de la République, François Bayrou, Gabriel Attal, le secrétaire d’État Hervé Berville, Aurore Bergé… Sans s’excuser vraiment, Sophie Primas a voulu calmer le jeu. « Ce n’était ni l’objectif ni la volonté de lever un tel tollé », a-t-elle assuré trois jours plus tard à Apolline de Malherbe sur BFM TV. « J’ai dit quelque chose de factuel, c’est que le mandat du président Emmanuel Macron va se terminer au début de l’année 2027 ». Son explication a été plus ou moins acceptée.

Le factuel ne fait pas petite phrase. Celle-ci suppose un sous-entendu. Le problème, c’est quand les auditeurs entendent quelque chose que l’orateur n’a pas voulu dire. Là où Sophie Primas dit avoir parlé du calendrier constitutionnel, Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance, a entendu une « offensive brutale de la droite réactionnaire ». La petite phrase est dans le delta entre deux intentions possibles d’une même formulation.

À réécouter la phrase de la porte-parole du gouvernement ‑ « le macronisme, probablement, trouvera une fin dans les mois qui viennent » ‑ on soupçonne quand même qu’elle n’était pas si innocente. Le mandat présidentiel s’achèvera à date fixe dans près de deux ans ; si l’on parle des « mois qui viennent », a priori, ce n’est pas du mandat qu’il est question. D’autant plus qu’il s’achèvera sûrement et non « probablement ». Mais les subtilités adverbiales sont rarement perçues par les auditeurs. Le logos des petites phrases n’est pas tant modulé par un éventuel adverbe que par l’ethos de la personne qui le prononce. Or la locutrice « était jusqu'à présent une illustre inconnue », estime Pieyre-Alexandre Anglade.

Différentes incarnations pour une même fonction

Était… Il est probable que la notoriété de Sophie Primas a fait un bond. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’une des réactions les plus vives et les plus rapides à sa petite phrase a été celle de Prisca Thévenot. Elle-même ancienne porte-parole du gouvernement, elle a pu apprécier le double paradoxe de cette fonction, inhérent aux deux pôles opposés de la communication politique : la langue de bois et la petite phrase. 

D’une part, le porte-parole du gouvernement est là en principe pour informer ; pourtant, il doit exceller dans la langue de bois, autrement dit, l’art de ne rien dire tout en faisant semblant de dire quelque chose. (Jean-François Copé, qui a occupé le poste de 2002 à 2007, en a tiré un livre  : Promis, j’arrête la langue de bois*.) À l’inverse, le porte-parole du gouvernement ne manque pas d’occasions de signifier plus qu’il ne dit. 

Cette double compétence n’est pas donnée à tout le monde, et si l’on repense aux prédécesseurs de Sophie Primas, Christophe Castaner (mai 2017‑novembre 2017), Benjamin Griveaux (novembre 2017‑mars 2019), Sibeth Ndiaye (mars 2019‑juillet 2020), Gabriel Attal (juillet 2020‑mai 2022), Olivia Grégoire (mai 2022‑juillet 2022), Olivier Véran (juillet 2022‑janvier 2024), Prisca Thévenot (janvier 2024‑septembre 2024), Maud Brégeon (septembre 2024‑décembre 2024), on se dit que les gouvernements d’Emmanuel Macron n’ont pas toujours eu la main heureuse.

* Paris, Hachette Littérature, 2006.

M.L.S.

Illustration : UMP Photos, 17 janvier 2015, réunion des nouveaux adhérents (recadrée) licence CC BY-NC-ND 2.0

05 mai 2025

De la descendance des petites phrases

La durée de vie utile d’une petite phrase est généralement brève. Nancy Freeman Regalado, professeur émérite à New York University, l’a parfaitement exprimé :

« La petite phrase politique naît d'une circonstance et finit le plus souvent avec elle. Rien de plus éphémère que la petite phrase politique : elle ne dure pas comme la locution, création anonyme d'usage courant ; son autorité ne s'accroît pas avec le temps et la répétition comme celle du proverbe. Passagère comme le slogan, elle n'est pas forcément créée pour porter un programme politique. Elle est révélatrice cependant des grandes questions qui occupent les esprits à un moment particulier : elle exprime une mentalité ; elle peut menacer un pouvoir, faire crouler un régime. Mais, à moins de devenir un "mot historique"[…], la petite phrase du moment passe avec son temps.[i] » 

Nancy Freeman Regalado n’est pourtant professeur ni de sciences du langage ni de sciences politiques : c’est une spécialiste mondialement reconnue de la littérature médiévale[ii] ! Le passage ci-dessus est extrait d’un article en français dans lequel elle étudie « une petite phrase à résonance politique, qui semble avoir eu cours dans les couloirs du palais de Philippe le Bel, […] entre les pages de cinq textes datant de 1313 à 1359 : "Porchier mieus estre ameroie que Fauvel torchier" » (mieux vaut être porcher que servir Fauvel ‑ un mauvais maître).


Le cas n’est pas unique. Le linguiste suisse André Burger (1896-1985) a de son côté étudié un passage de la Chanson de Roland où Ganelon « ne répond que par une petite phrase, Veir dites, jol sai bien, qui, sous son apparence banale, est chargée d'un sens terrible »[iii]. Des petites phrases au Moyen-âge, bien avant la radio-télévision et les campagnes électorales modernes ? L’anachronisme apparent paraît tout aussi délibéré que sous la plume de Patrick Brasart, spécialiste de la littérature du 18e siècle à Paris 8, auteur de la première publication académique en français explicitement consacrée aux petites phrases : « Petites phrases et grands discours (Sur quelques problèmes de l'écoute du genre délibératif sous la Révolution française) » [iv]. Autrement dit, si la locution « petite phrase » est contemporaine, la microrhétorique est de tous les temps.

Comme le souligne Mme Freeman Regalado, la petite phrase est « révélatrice des grandes questions qui occupent les esprits à un moment particulier ». Autrement dit, elle correspond au pathos d’un public à un certain moment. Or le temps passe : les contextes évoluent, les actualités s’enchaînent, une polémique chasse l’autre. Dans les sociétés démocratiques, la noria des leaders et des élections appellent un flux constant de déclarations. Les médias audiovisuels et l’internet favorisent cette tendance. Le sort naturel de la petite phrase est l’oubli. L’être humain est un « avare cognitif », selon l’expression de Susan T. Fiske et Shelley E. Taylor. Il se passe tant de chose autour de nous que nous devons nous en remettre à des raccourcis, en politique comme dans les autres domaines de la vie, et que nous nous en débarrassons quand il ne nous est plus utile de les connaître.

Cependant, note expressément Nancy Freeman Regalado, une petite phrase peut se transformer en « mot historique ». Elle en donne comme exemple « le mot qu'on attribue à Marie-Antoinette en 1789 ‑ "Qu'on leur donne donc de la brioche !" » ‑ et l’on pourrait songer aussi bien à des mots attribués à Louis XIV (« l’État c’est moi »), à Henri IV (« Ralliez-vous à mon panache blanc ») ou même à Jésus (« Rendez à César ce qui est à César »). 

Le mot historique n’est d’ailleurs pas la seule descendance possible des petites phrases. Les plus fortes d’entre elles peuvent muter vers d’autres formes de phrases sans texte : maximes, aphorismes, sentences, dictons, proverbes, adages, lieux communs, etc. Leur logos demeure mais leur ethos s’estompe : l’identité de leur auteur devient moins significative. C’est le cas par exemple pour des quasi-dictons comme « Il faut savoir terminer une grève », « Si c’est flou, il y a un loup » et même « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

M.L.S.

Illustration : Philippe le Bel entouré de sa cour en 1286, par Jean Fouquet.


[i] Nancy Freeman Regalado, « Le porcher au palais : Kalila et Dimma, le Roman de Fauvel, Machaut et Boccace », Études littéraires, vol. 31, n°2, hiver 1999, https://id.erudit.org/iderudit/501238ar, consulté le 20 octobre 2023.
[ii] Voir Eglal Doss-Quinby, Roberta L. Krueger et E. Jane Burns, dir., Cultural Performances in Medieval France: Essays in Honor of Nancy Freeman Regalado, Boydell & Brewer, 2007, https://www.jstor.org/stable/10.7722/j.ctt169wfdd
[iii] André Burger, « Les deux scènes du cor dans la Chanson de Roland », in La Technique littéraire des chansons de geste, Librairie Droz, 1959, p. 115. Voir aussi André Burger, « Le rire de Roland », Cahiers de Civilisation médiévale, année 1960, 3-9, p. 2-11.
[iv] Patrick Brasart, « Petites phrases et grands discours (Sur quelques problèmes de l'écoute du genre délibératif sous la Révolution française) ». Mots, septembre 1994, n°40, p. 106-112.