La locution profane la plus souvent
associée au pape François, décédé ce lundi, est probablement « petites
phrases ».
Les papes ont toujours disposé de moyens d’expression nombreux : sermons, bulles, encycliques… Mais Jorge Bergoglio aura montré un talent particulier dans l’utilisation des formules concises qui marquent un public. En douze ans de pontificat, elle ont été nombreuses. On a retenu, par exemple :
- « Nous ne pouvons pas devenir des chrétiens amidonnés qui discutent de théologie en prenant le thé » (2013)
- « Le confessionnal n’est pas une teinturerie qui ôte les taches des péchés, ni une séance de torture où l’on inflige des coups de bâton » (2013)
- « L'euthanasie est un non à Dieu, la volonté de décider soi-même du terme d'une vie. » (2014)
- « Certains croient, excusez-moi du terme, que, pour être bons catholiques, ils doivent être comme des lapins » (2015)
- « Nous sommes tous des migrants » (2016)
- L’avortement, « c’est comme avoir recours à un tueur à gages pour résoudre un problème » (2018)
- « Au siècle dernier, tout le monde était scandalisé par ce que faisaient les nazis pour veiller à la pureté de la race. Aujourd'hui nous faisons la même chose en gants blancs » (2018)
- « Les personnes homosexuelles ont droit à être dans une famille, ce sont des enfants de Dieu, elles ont droit à une famille » (2020)
- « Il faut opposer au populisme le popularisme » (2021)
- « Soyez les champions de la fraternité, les semeurs de fraternité et vous serez les moissonneurs de l’avenir, car le monde n’aura d’avenir que dans la fraternité ! » (2022)
Un public bienveillant
Les petites phrases marquent un public. Mais
le public fait un tri. Les fidèles ne se sont pas trop laissés marquer par certaines
déclarations susceptibles de mal tourner. «L'avortement n'est pas un mal
mineur, c'est un crime», en est un exemple. Ce jugement radical de 2016,
réitéré sous d’autres formes, aurait pu (dû ?) lui aliéner au pape une
bonne partie des catholiques ; ils ont préféré ne pas trop s’en soucier. De
même qu’ils ne se sont pas trop attardés sur sa quasi-négation de l’enfer, une
audace théologique : « Le Seigneur
est bon. Il sauvera tout le monde. Ça il ne faut pas le dire trop fort. »
Les Français en particulier ne paraissent
pas lui avoir tenu rigueur d’avoir déclaré en janvier 2015 : «
Si un ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est
normal ». Cette opinion bien éloignée du « tendez la joue gauche »
(Matthieu 5:38-45) paraît exonérer les auteurs du massacre de Charlie Hebdo,
commis la semaine précédente. Ce n’est pas une simple étourderie puisque le
pape ajoutait : « On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi
des autres, on ne peut la tourner en dérision. » Les Français ne se sont
pas scandalisés non plus de l’entendre déclarer à plusieurs reprises, avant un
déplacement de 2023 : « Je vais à Marseille, pas en France »,
prélude à son refus d’assister à la réouverture de Notre-Dame-de-Paris.
Microrhétorique papale
Certains ont estimé que, chez le pape François,
l’usage des formules concises et frappantes témoignait de son côté « latino ».
Or il était manifestement délibéré. Ainsi
que le notait La Vie en 2021, « c’est
une tradition à laquelle le pape François déroge rarement : la petite phrase
aussi sibylline que polémique prononcée sur un ton badin lors de la conférence
de presse donnée dans l’avion de retour d’un voyage apostolique. »
La construction de ses petites phrases met
en évidence leur caractère de microrhétorique.
Comme ses prédécesseurs, il bénéficiait de
l’ethos du chef de l’Église ; il l’a cultivé en veillant toujours à
rappeler son rôle prééminent en s’exprimant de manière assertive, voire à l’impératif.
Son logos soigné frappait les esprits : il procédait par phrases
brèves, le plus souvent au présent, employait abondamment la première personne
du pluriel, et surtout utilisait les métaphores avec un art consommé (« comme
des lapins », « tueurs à gage », « chrétiens amidonnés »…).
Enfin, il savait fort bien jouer avec le pathos de publics spécifiques,
comme la Curie romaine, dont il dénonçait en 2014 les quinze « maladies ».
Ainsi, pendant la totalité de son
pontificat, comme
disait Pascal Praud dès 2015 sur RTL, François aura été « un pape de petites
phrases ».
Michel Le Séac’h
Photo : visite officielle du pape
François au Luxembourg, le 26 septembre 2024 par GilPe via Wikimedia,
sous licence CC BY-SA 4.0
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