06 janvier 2018

« Ce que vous pouvez faire pour votre pays » : Emmanuel Macron dans les pas de Kennedy ?

La communication d’Emmanuel Macron serait-elle à la remorque de celle des présidents américains ? Il avait déjà recyclé une phrase célèbre de Donald Trump en lançant : « Make our planet great again ». En a-t-il fait autant avec une phrase de John Fitzgerald Kennedy dans ses vœux à la nation, au soir du 31 décembre ?

« Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays », a-t-il déclaré vers le milieu de ce discours de 18 minutes. Nombre de commentateurs y ont vu une référence au discours inaugural du président Kennedy en 1961 : « Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country' » (ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays). « C'est l'une des phrases présidentielles les plus connues », a noté Guillaume Tabard dans Le Figaro. « En reprenant les célèbres mots de Kennedy, Emmanuel Macron savait qu'on ne retiendrait que cette exigence de sa longue homélie de vœux ».

Le président de la République était-il aussi conscient de cette filiation que le pense Guillaume Tabard ? Probablement. Il a doublé son discours officiel de 18 minutes à la télévision par une allocution abrégée de 2 minutes diffusée via Twitter. Il a pris soin d'y reprendre la phrase : « Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour la France ». Et même, alors que le temps lui était chichement compté, il l’a répétée (« chaque matin, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour la France »), afin que nul n’en ignore.

D’ailleurs, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait déjà utilisé cette phrase dans un discours d’août 2015. Elle avait été totalement éclipsée par un autre passage du discours qui avait fait polémique. Il a clairement de la suite dans les idées.

Pas vraiment du Kennedy dans le texte

Cependant, la force de la formule de Kennedy venait pour une bonne part de sa construction en chiasme (ou en antimétabole, dirons les puristes ; n’entrons pas dans ce débat) : les mêmes mots y étaient répétés en ordre inversé : ce que votre pays peut faire pour vous/ce que vous pouvez faire pour votre pays. Pour des raisons encore mal connues, les répétitions de toutes sortes exercent un effet puissant sur le cerveau humain[1]. La poésie utilise cet effet depuis l’Antiquité et la politique sait aujourd’hui en jouer (« travailler plus pour gagner plus »…).

Emmanuel Macron y a renoncé. Coupant court à l’introduction rhétorique « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous », il a sauté directement à la partie opérationnelle de la phrase : « Demandez vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Il est vrai que ce que la concision de l’anglais fait tenir en moins de vingt syllabes (ce qui est déjà beaucoup pour une petite phrase) en réclame une trentaine en français. Ainsi abrégée, la phrase du président de la République n’aurait rien eu de remarquable si elle n’avait pas, justement, rappelé celle de Kennedy.

Mais pourquoi avoir introduit ce « chaque matin » qui n’était pas dans la phrase de Kennedy ? Cette clause n’ajoute aucune idée, aucun sens supplémentaire. Elle alourdit la formule sans rien lui apporter et l’éloigne de son modèle. Certains médias, comme L’Obs, ignorent purement et simplement ces deux mots en trop. Décidément, Emmanuel Macron a encore des progrès à faire en matière de petites phrases. Sur ce plan là au moins, l’imitation des présidents américains peut lui faire accomplir des progrès.

Et après tout, il y a de l’admiration dans l’imitation. Tenez, Kennedy lui-même… « Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country' » est généralement tenu pour la plus célèbre de ses petites phrases, qui sont nombreuses. On a soutenu qu’elle n’était pas de lui mais de son speechwriter Ted Sorensen, qui lui-même disait s’être inspiré d’Abraham Lincoln et de Winston Churchill. Or, dans un livre paru en 2011, Jack Kennedy: Elusive Hero, Chris Matthews, lui-même ancien speechwriter du président Jimmy Carter, assure que la formule est due en réalité à feu George St John, directeur de Choate School… où John Kennedy fut lycéen. De ses leçons, il avait au moins retenu cela.

John F. Kennedyt, photo White House Press Office, domaine public, via Wikipedia



[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 220-222.

25 novembre 2017

Les petites phrases ré-oralisées avec Kieku ?

Depuis l’invention de la presse, et a fortiori celle des médias sociaux, les petites phrases se transmettent principalement par écrit. Pourtant, leur origine orale, et même sonore, ne fait guère de doute. L’expression anglo-saxonne « sound bite » en est témoin.

Les petites phrases vont-elles être ré-oralisées ? Kieku Labs, start-up finlandaise dont le nom signifie « cocorico », a inventé le « minicast » destiné à propager de courts extraits audio enregistrés sur smartphone. Selon ses promoteurs, Kieku doit « aider producteurs et auditeurs à se trouver mutuellement par des connexions sociales. Ainsi, des abonnements permettent à chacun de suivre les auteurs et les sujets qu’il aime. Tout le monde peut donc participer aux débats. » Cela revient à rendre collaboratif le média centenaire qu'est la radio. Un système d’intelligence artificielle propose aussi d’analyser les préférences des auditeurs pour leur servir ce qui devrait les intéresser. D’un clic, on peut recommander à ses amis les passages qu’on aime. Ce qui évoque bien sûr une sorte de Twitter audio.

Les fondateurs de Kieku y voient un moyen de bâtir des communautés et d’échanger des conseils et des témoignages à l’aide d’enregistrements pouvant atteindre deux minutes. Du témoignage à l’opinion, il n’y a pas loin : la politique aura vite sa place. La brièveté des messages incitera sans doute à trouver des expressions marquantes. Les utilisateurs pourraient formaliser des émojis sonores (« ouais ! », « bof ! », « super ! », etc.) pour commenter les minicasts qu’ils partageront et indiquer succinctement leur approbation ou leur réprobation. « Les médias pourraient aussi reprendre les opinions, commentaires et citations des minicasters à la télévision, à la radio et en ligne », note une dirigeante de Kieku.

Créé en 2016, Kieku suscite un intérêt certain en Finlande, or le pays de Nokia n’est pas manchot en matière de nouvelles technologies. Son avenir reste à écrire, bien sûr. Mais si les petits cochons ne le mangent pas, il pourrait devenir un acteur significatif dans le paysage des petites phrases.

MLS

Photo appli Android Kieku par Aatu Horus, Kieku

23 novembre 2017

« Il faut retourner dans son pays » : Emmanuel Macron sur une ligne de fracture

Le plus souvent, Emmanuel Macron ne calcule pas ses petites phrases. Il en a donné un nouvel exemple mardi. Alors qu’il visitait les Restaurants du cœur à Paris, une Marocaine s’est plainte à lui de ne pouvoir obtenir de « papiers » pour rester en France, où elle était entrée avec un visa de commerce. Voici l’essentiel de la réponse du président de la République :

« On peut pas accueillir tous les gens qui viennent sur des visas ou  de commerce ou d'étudiant et qui restent après. Donc, après, il faut retourner dans son pays, je vous le dis franchement. […]. Je ne peux pas donner des papiers à tous les gens qui n'en ont pas. [...]  Si vous n'êtes pas en danger etc., il faut retourner dans votre pays. Et au Maroc, vous êtes pas en danger. On prend notre part mais on peut pas prendre toute la misère du monde comme disait Michel Rocard. »

Vite désigné comme petite phrase par Le Point, M6 et quelques autres, « Il faut retourner dans son pays » (ou « dans votre pays ») a suscité de nombreux échanges dans les médias sociaux. RTL ou France Info ont plutôt souligné la reprise d’une formule de Michel Rocard, elle aussi qualifiée de petite phrase[i] : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Emmanuel Macron l’avait déjà citée fin juin, en se rangeant à la version remaniée après coup par son auteur.

Et, comme il y a cinq mois, une claire division apparaît sur les réseaux sociaux : pour les uns, le président est condamnable parce qu’il a dit ça, pour d’autres il est louable… parce qu’il a dit ça. (Pour être juste, il faudrait mentionner une frange non négligeable qui nuance : il serait louable ‑ s’il agissait en conséquence.) Il est rare que les internautes discutent du fond de la position présidentielle, que ce soit vis-à-vis des migrants en général ou de cette femme en particulier. Ou même qu'ils y voient un simple rappel au droit des visas. Le plus souvent, sans autre forme de procès, ils sautent directement à la conclusion : sa déclaration range le président du côté de la lumière ou des ténèbres.

Au sein d’une société, une grande partie des petites phrases sont des attributs attachés soit à des héros, soit à des méchants. « Ralliez-vous à mon panache blanc » et « les chambres à gaz sont un détail » en sont deux exemples représentatifs. Le fait qu’une même petite phrase puisse être rangée dans les deux catégories à la fois dénote une sérieuse division de la société.


[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, 2015, Eyrolles, Paris, p. 101.

Photo d’Emmanuel Macron : OFFICIAL LEWEB PHOTOS, Flickrcc-by-2.0.

13 novembre 2017

Ce qu’ils disent vraiment, de Cécile Alduy (et ce qu’elle n’écrit pas vraiment)

Avant de commenter Ce qu’ils disent vraiment – les politiques pris aux mots, de Cécile Alduy, j’ai longuement tergiversé. Cet ouvrage paru au début de l’année et appuyé sur une grosse base de données de 1.300 textes politiques a été accueilli par des louanges à peu près unanimes. Pouvais-je décemment me montrer plus critique ? Car du point de vue qui m’intéresse, celui des petites phrases, le livre s’avère décevant.

Sauf omission, la locution « petite phrase » y figure quatre fois. Il n’ignore donc pas la catégorie mais lui accorde peu de place. Quatre fois en 400 pages : y a-t-il vraiment si peu de petites phrases dans ce que les politiques disent « vraiment » ? De plus, ces quatre occurrences donnent lieu systématiquement à des commentaires dépréciatifs :

  • Pour clarifier les enjeux et les termes du débat, il convient de dégager, derrière l’écume des petites phrases reprises par les journalistes, les structures profondes et la vision du monde et de la société française des principales figures qui façonnent le débat politique. (p. 17)
  • Ce livre […] entend éclairer [les campagnes électorales] en mettant au jour la logique profonde et les tendances lourdes de la paroles politique de ces dernières années, au delà des « coups de com’ » et petites phrases de campagne. (p. 20)
  • En lissant polémiques éphémères et variables contextuelles, cette étude entend dépasser l’écume des petites phrases médiatiques pour faire émerger les lames de fond qui ont traversé le champ politique français. (p. 21)
  • En fait, François Fillon est un identitaire calme : il a exactement les mêmes positions que Nicolas Sarkozy sur l’assimilation, sur la politique migratoire [...] mais il n’en fait ni une obsession, ni une priorité, ni un prétexte à petites phrases pour créer du « buzz » médiatique. » (p. 197)
Les petites phrases font une cinquième apparition sur la quatrième de couverture, reprise par les sites web de plusieurs libraires dont Amazon : « Cette enquête sémantique, stylistique et rhétorique dévoile derrière l’écume des petites phrases la structure profonde de la vision du monde des politiques. » La cause est donc entendue : si elles font bien partie du discours politique, les petites phrases ne sont qu’écume que le vent emporte. Délégitimées d’emblée, elles ne sont à aucun moment étudiées en tant que telles. Cécile Alduy ne précise même pas ce qu’elle entend par « petites phrases ».

Pour ma part, je me réfère volontiers à cette définition de l’Académie française : « Formule concise qui sous des dehors anodins vise à marquer les esprits ». Marquer les esprits, n’est-ce pas le but même du discours politique ? Et certains propos y parviennent. Qu’ont vraiment dit François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande ? Posée aujourd’hui à des électeurs moyens, une telle question ramènerait sans doute beaucoup de « laisser du temps au temps », d’« abracadabrantesque »(1), de « travailler plus pour gagner plus »(2), de « ça va mieux ». À ce compte-là, il serait à peine exagéré de dire que l’écume, ce serait plutôt tout ce qui n’est pas petite phrase !

Cécile Alduy n’est pourtant pas passée loin. Car si son travail a pour étendard une grosse base de données, elle voit bien qu’un comptage automatique des mots utilisés par les politiques n’est pas très instructif et que l’intérêt de son livre réside en réalité dans ce qu’elle appelle « une analyse discursive et littéraire fine », c’est-à-dire en fin de compte un commentaire de texte à l’ancienne – un peu convenu quelquefois, mais toujours avec élégance : la cafétéria de Stanford n’est pas le Café du Commerce. Le fait, par exemple, que le mot « liberté » soit le 12ème le plus employé par François Fillon, le 16ème par Marine Le Pen, le 40ème par Alain Juppé, le 51ème par François Hollande et le 199ème par Jean-Luc Mélenchon n’apprend pas grand chose en soi – sauf peut-être en ce qui concerne le dernier, mais Cécile Alduy, qui ne cache pas son admiration pour lui, conteste vivement qu’il éprouve « un penchant pour l’autoritarisme ».

Ce que le « ça va mieux » de François Hollande dit vraiment

À titre d’exemple de la rencontre ratée de justesse entre Cécile Alduy et les petites phrases, prenons le « ça va mieux » de François Hollande. Cette formule d’aspect anodin a marqué les esprits. Europe 1, Les Échos, Libération ou L’Obs, entre autre, l’ont explicitement qualifiée de « petite phrase ». Bien entendu, elle vole sous le seuil de détection des logiciels. Elle ne figure pas, et pour cause, dans la liste des substantifs les plus fréquents chez le candidat et le président Hollande (p. 256 du livre). Cécile Alduy s’est néanmoins penchée sur ce « ça va mieux » : « il ne pouvait que heurter de plein fouet le ressenti de nombreux Français », estime-t-elle. « Au lieu de prendre le pouls de la France, le président lui impose un ressenti qui n’est justement pas le sien au quotidien » (p. 252). Il « ne parle plus la langue de la gauche, ni celle de ses concitoyens » (p. 253). Autrement dit, « il n’est plus des nôtres », il est devenu un étranger. Il n’a pas été « pris aux mots », au contraire : ses mots n’ont pas pris.

Un autre pas de deux inachevé concerne François Fillon et sa célèbre question rhétorique : « Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ? ». Là encore, chez BFM TV, Marianne, Ouest France ou Le JDD, des commentateurs y ont vu explicitement une petite phrase, parfois qualifiée d’« assassine »  c’est dire quelle puissance on lui attribue. Cécile Alduy lui accorde de l'importance puisqu'elle la cite à trois reprises, p. 38, 56 et 192 de son livre (en trois versions et à deux dates différentes, mais là n'est pas l’important). Elle la présente chaque fois comme une attaque contre Nicolas Sarkozy, rejoignant ainsi la quasi-totalité des commentateurs. Or Nicolas Sarkozy n’est pas nommé dans cette phrase, ni autour d’elle. Ce que François Fillon a « vraiment » dit n’est pas ce qu’il a dit ! Les auditeurs ne l’ont pas « pris aux mots », ils l'ont pris aux sous-entendus. Il serait difficile de ne pas considérer cette sortie comme une petite phrase. Difficile aussi de soutenir qu'elle n'a été qu'une écume sans influence sur la campagne électorale. Il est vrai que Cécile Alduy n’a assisté qu’à la moitié de l’histoire : son livre est paru quelques jours avant que la mise en examen de François Fillon ne transforme la petite phrase assassine en petite phrase suicidaire.

Des sciences du langage aux sciences politiques

Dès l’introduction de son livre, Cécile Alduy fait une analyse du mot « burkini » qui contient des indices sur le fonctionnement des petites phrases. « Un mot, en politique, est toujours plus que ce qu’il dénote : il ‘signifie’ bien plus que la chose qu’il désigne », écrit-elle. Que signifie le mot burkini ? « Maillot de bain couvrant l’ensemble du corps et les cheveux », répond-elle. Non, cela, c’est justement « la chose qu’il désigne ». En réalité, concède-t-elle quelques lignes plus bas, il signifie « la présence et la visibilité de l’islam en France ». Le néologisme burkini, formé sur deux mots anodins, bikini et burqa, marque les esprits. Même prononcé seul, il peut avoir du sens. Tout comme le mot « détail », anodin parmi les anodins, signifie peu de choses isolément mais beaucoup plus quand on le rapproche de Jean-Marie Le Pen : il devient alors l’abréviation d’une petite phrase. Dans la bouche d’un homme politique, un seul « burkini » signifie probablement plus que mille « démocratie », mille « laïcité » ou mille « peuple », ce que les logiciels lexicographiques ne verront pas.

En définitive, une petite phrase est rarement détectable à l’état brut dans les mots des politiques, ne serait-ce que parce qu’elle est souvent involontaire. Elle ne marque les esprits qu’à partir du moment où elle est repérée comme telle et reprise par la presse et les médias sociaux. Répétée, elle est mémorisée. Il ne s’agit plus alors seulement de ce que les politique « disent vraiment » mais de ce qui en est compris et retenu (qui s’écarte souvent de ce qui a réellement été dit). Et c’est bien l’important dans un contexte de campagne électorale. Isolément, les sciences du langage sont myopes ; elles ne deviennent clairvoyantes qu’à partir du moment où elles donnent la main aux sciences politiques.

Michel Le Séac’h

Ce qu’ils disent vraiment – les politiques pris aux mots, de Cécile Alduy, Paris, Seuil, 2017. ISBN 978-2-02-131016-0. 400 pages, 21 €. Disponible en version numérique.
____________________
(1) Voir Michel Le Séac'h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 83.
(2) Idem, p. 66.

25 août 2017

« Les Français détestent les réformes » : encore une petite phrase imprudente d’Emmanuel Macron

« Les Français détestent les réformes » : à peine prononcée devant la communauté française de Bucarest, la formule d’Emmanuel Macron était qualifiée de « petite phrase », par exemple par Laurent Neumann sur BFM TV. Ce n’est pas usurpé : il s’agit bien d’une « formule concise qui sous des dehors anodins vise à marquer les esprits ».

Quelques-uns retiennent plutôt la phrase immédiatement précédente dans le discours du chef de l’État : « la France n’est pas un pays réformable », encore plus radicale mais plus impersonnelle et à la syntaxe négative, ce qui n’est pas favorable[1]. Emmanuel Macron, lui, aurait probablement préféré que la presse sélectionne : « la France n'est elle-même que quand elle mène des combats qui sont plus grands qu'elle ». Mais cette formule était sûrement trop longue, trop obscure et peut-être pas assez en phase avec l’opinion publique, ou du moins avec celle des journalistes.

Quant à la phrase qui « résume » ses aspirations pour la France, scandée d’un coup de poing sur le lutrin, on voit au premier coup d’œil qu’elle n’avait aucune chance d’être considérée comme « petite » : « Se transformer en profondeur pour retrouver le destin qui est le sien, retrouver la capacité à emmener l'Europe vers de nouveaux projets, être à la hauteur du combat qui aujourd'hui est le nôtre dans un monde en train d'éclater, où les régimes autoritaires émergent, où ce qui a été pendant des décennies le camp de l'Occident est en train de se fracturer, où le doute s'est installé, ça c'est un combat, ça c'est un combat qui fait rêver les Français. »

Emmanuel Macron a montré qu’il pouvait mieux faire

Du temps où il était ministre de l’Économie, en janvier 2016, Emmanuel Macron affirmait son refus des petites phrases. Il voulait les remplacer par l’explication. « Les petites phrases, c’est parfois l’univers dans lequel nous vivons les uns et les autres », notait-il pourtant. Espérait-il changer d’univers si aisément ? Il n’avait sans doute pas compris que la presse et le public continueraient de puiser dans ses propos des raccourcis qu’il n’avait pas voulu y mettre. Il a pu le constater au cours de sa campagne électorale : à défaut de petites phrases de culture, il a eu des petites phrases sauvages, comme la colonisation « crime contre l’humanité » ou l’humiliation de la France adversaire du mariage pour tous.

Depuis le « libéralisme valeur de gauche » jusqu'aux kwassa-kwassas qui « pêchent peu et amènent du Comorien » en passant par « le traité de Versailles de la zone euro », les « fausses idées » des 35 heures ou la « vie d’un chef d’entreprise bien souvent plus dure que celle d’un salarié », la liste des petites phrases à risque d’Emmanuel Macron est déjà longue pour un dirigeant aussi jeune.

Insuffisance professionnelle de ses communicants ? Le président de la République aura en tout cas intérêt à veiller à cet aspect de sa communication. Tous les espoirs lui sont permis : il a déjà montré avec « make our planet great again » qu’il savait exploiter les petites phrases… quand elles étaient de quelqu’un d’autre !

Michel Le Séac’h



[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles 2015, p. 223-224.

Illustration : extrait d’un écran de Francetvinfo

12 août 2017

La « ligne rouge » d’Obama prolongée jusqu’à Trump

Donald Trump, le 8 août, promet à la Corée du Nord des représailles terribles au cas où elle continuerait à menacer les États-Unis. Aussitôt, le thème de la « ligne rouge » resurgit. « Trump vient de fixer sa propre ‘ligne rouge’ infranchissable – et la Corée du Nord l’a franchie instantanément », titre NBC News. Les guillemets à « ligne rouge » peuvent donner l’impression que l’expression est de Donald Trump. Elle renvoie en fait à son prédécesseur à la Maison Blanche[1].

Voici presque exactement cinq ans, le 20 août 2012, Barack Obama déclare à propos de la guerre civile en Syrie : « Une ligne rouge serait franchie si nous constations le déplacement ou l’utilisation d’une certaine quantité d’armes chimiques  ». Cette petite phrase – une formule brève, détachable, relativement anodine mais pleine de sous-entendus menaçants – s’adresse-t-elle vraiment aux belligérants ? En tout cas, elle frappe l’opinion américaine. Très souvent condensée dans son élément le plus significatif (« red line »), elle véhicule l’image d’un chef d’État énergique et déterminé.

Un an plus tard exactement, des armes chimiques sont effectivement utilisées en Syrie. Barack Obama accuse formellement le gouvernement de Bachar el Assad. La ligne rouge est donc franchie. So what? Barack Obama ne prend pas les décisions radicales que sa « ligne rouge » semblait annoncer. Son image en est aussitôt affectée. Il tente de recadrer ses propos de 2012, affirmant qu’il n’a fait que résumer la position de la communauté internationale à l’époque (« I didn’t set a red line. The world set a red line »).

Mais si la « red line » de 2012 était une erreur, celle de 2013 est une faute. On ne se débarrasse pas aussi facilement d’une petite phrase : une fois qu’elle a marqué l’opinion, il appartient à cette dernière de l’oublier ou pas. Or toute nouvelle mention tend à la rendre moins oubliable… La ligne rouge de Barack Obama a un côté sparadrap du capitaine Haddock : elle colle à son image. Et désormais, son sens s’est inversé : au lieu d’un président énergique, elle signale un président faible. De nombreux commentateurs, comme le professeur David Rothkopf, ont analysé la perte de crédibilité qu’Obama s’était ainsi auto-infligée.

Donald Trump n’a pas qualifié de « red line » son avertissement à la Corée. Certains commentateurs le font pour lui[2]. Pour le mettre en valeur par rapport à son prédécesseur ? Ou plutôt pour le pousser dans le même corner ? Cette petite phrase en deux mots, pourrait alors signifier quelque chose comme : « Barack Obama était peut-être un président inconséquent, mais Donald Trump ne vaut pas mieux ». Cette ligne n’est d’ailleurs pas réservée aux partisans de Barack Obama : on la retrouve aussi dans la bouche de Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du Sud et candidat malheureux à la candidature présidentielle face à Donald Trump.

Michel Le Séac'h


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles 2015, p. 142.
[2] Ce n’est pas la première fois. L’expression « red line » a déjà été appliquée à des déclarations ou des décisions de Donald Trump à propos de la Syrie. 

Photo [cc] Gage Skidmore via Wikipedia Commons

09 juillet 2017

« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : Emmanuel Macron dédouane Michel Rocard

Lors de la réunion préparatoire du G20 à Berlin, le 29 juin 2017, Emmanuel Macron a cité Michel Rocard. Selon le communiqué officiel allemand, il a déclaré : « Michel Rocard hat in Frankreich einmal gesagt: Man kann nicht die gesamte Misere der Welt auf sich nehmen, aber jeder muss seinen Anteil übernehmen. » Ce qui en langue rocardienne d’origine doit signifier : « Michel Rocard disait un jour : La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle doit en prendre sa part. » La presse française a peu relevé cette déclaration. Il s’agit pourtant d’un marqueur politique.

« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », qui date de 1989, est assurément l’une des petites phrases politiques les plus célèbres de la fin du 20e siècle[i]. À première vue, c’est un truisme. Selon la Banque mondiale, 767 millions de personnes vivent dans une extrême pauvreté, dont la moitié en Afrique subsaharienne. Les accueillir toutes propulserait la densité de la population française au-delà de 1 240 personnes par km² : moins que Monaco, la bande de Gaza ou le Vatican, mais bien plus que le Bangladesh. Pourquoi, alors, cette simple évidence est-elle devenue petite phrase ?

Une petite phrase est ce qu’en fait le public

Sans doute parce que, reprise à droite et à l’extrême-droite, elle a vite été comprise comme « halte à l’immigration ! » voire comme « les immigrés dehors ! ». Elle a pris un sens implicite qui n’était probablement pas dans l’intention de son auteur : une petite phrase n’en fait qu’à sa tête – ou plutôt elle est ce qu’en fait le public. Par contrecoup, la formule de Michel Rocard, alors premier ministre de François Mitterrand, est devenue scandaleuse à gauche. Dans Le Monde diplomatique, le journaliste Thomas Deltombe y a vu une « tache indélébile », un exemple type de ces « ces ‘petites phrases’ compromettantes qui trottent dans toutes les têtes, et que les journalistes — toujours prompts à jouer leur rôle de contre-pouvoir, comme on sait… — aiment à rappeler. » La même petite phrase est appréciée des uns et honnie des autres, dans les deux cas au nom d’une signification qu’on lui prête au second degré. Ce qui dénote au minimum une césure culturelle : il y a bien un « peuple de droite » et un « peuple de gauche ».

Michel Rocard a tenté de redresser le tir. En 1996, il a publié dans Le Monde une tribune libre intitulée : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde mais elle doit en prendre fidèlement sa part ». Il y sous-entendait, dans une de ces explications obscures dont il avait le secret, que sa déclaration, au « destin imprévisible », avait été tronquée. Il a réitéré sa tentative en 2009. Objectivement, les deux formules sont parfaitement compatibles : l’une dit que la France ne peut accueillir 100 % de la misère du monde, l’autre qu’elle doit en accueillir davantage que 0 %. Subjectivement, elles sont radicalement différentes : l’une est comprise comme une condamnation de l’immigration, l’autre comme un plaidoyer pour l’accueil des migrants.

Division au sein de la gauche

Réécrire sa phrase d'origine était a priori une tentative baroque de la part de Michel Rocard. En effet, une vidéo de l’INA permet à quiconque de vérifier ce qu'il a réellement dit. Et pas seulement une fois puisqu’il a répété sa phrase en janvier 1990 dans un discours officiel : « Je l'ai déjà dit et je le réaffirme : " nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde " ».

Néanmoins, à cette époque où l’on ne parlait pas encore de fake news, beaucoup ont affecté de croire l’ancien premier ministre sur parole. Et même, note Thomas Deltombe, « on entendra de nombreux journalistes conspuer ceux qui osent reprendre la phrase rocardienne ‘hors de son contexte’ ». Au-delà de la presse, « la gauche reprend en chœur » la partie ajoutée de la phrase, indique Geoffroy Clavel dans le Huffington Post au lendemain de la mort de Michel Rocard, en juillet 2016.

Ce n’est pourtant pas totalement exact. Il est vrai que la droite a continué à citer la petite phrase dans sa version d’origine, à l’instar d’Alain Juppé sur TF1 le 25 août 2015. Mais à la césure gauche/droite s’est ajoutée une cassure à l’intérieur de la gauche entre ceux qui, voulant bien faire, font mine de croire à la rectification, et les adversaires de Michel Rocard pour qui sa formule d’origine révélait la noirceur du personnage. C’est à gauche que la tentative de transformation de la petite phrase a été le plus énergiquement dénoncée, par exemple par Pascal Riché dans Le Nouvel Observateur ou Juliette Deborde dans Libération. Inversement, Michel Rocard est cité ainsi qu’il le souhaitait par le Dicocitations du Monde. Et donc désormais par le président de la République. 

Michel Le Séac’h



[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 101-103.

Photo : Michel Rocard à la conférence du MEDEF 2008, par Olivier Ezratty via Wikipedia

03 juin 2017

« Make our planet great again » : la petite phrase d’Emmanuel Macron, un snowclone qui tombe à pic

Emmanuel Macron ne s’était pas signalé au cours de sa campagne présidentielle par des petites phrases spécialement remarquables. Certaines sorties auraient même pu lui coûter cher en des circonstances moins favorables. Il vient de rattraper son retard d’un seul coup, le 1er juin 2017, avec une petite phrase… en anglais. En quelques heures « Make our planet great again » a fait le tour de la Terre et a battu le record de partages sur Twitter en France. Dans la foulée, le président de la République s’est même offert une deuxième petite phrase : « Il n'y a pas de plan B car il n'y a pas de planète B ».

Les petites phrases en langue étrangère ne sont pas inconnues en France[i]. Mais, de « Vae Victis » à « Yes we can » et de « No pasaran » à « Ich bin ein Berliner », en général, elles viennent d’ailleurs. Les rares petites phrases en langue étrangère d’hommes politiques français ne sont guère enviables : on songe au « What do you want… » de Jacques Chirac en Israël ou au « The yes needs the no to win » de Jean-Pierre Raffarin. Emmanuel Macron n’est décidément pas un homme politique ordinaire…

La force de « Make our planet great again » n’est cependant pas dans sa signification, ni dans l’identité de son auteur : elle est dans son origine et dans le choix du moment. Il s’agit d’un « snowclone », un détournement d’une formule très connue préexistante. Et quelle formule ! le slogan de Donald Trump au cours de sa campagne présidentielle victorieuse de l’an dernier, « Make American great again ». Jeudi dernier, alors que le président américain venait d’annoncer son intention de sortir de l’Accord de Paris sur le climat, le président français a repris la balle au bond en réutilisant ses propres paroles, le soir même, dans une déclaration solennelle.

Les trois bonnes fées de la communication s’étaient donc penchées sur le berceau de cette petite phrase :
  • Au niveau du contenu, elle prenait appui sur un texte déjà très connu.
  • Au niveau du contexte, elle portait sur un sujet d’intérêt brûlant pour la presse internationale, commenté par un responsable de premier plan
  • Au niveau de la culture, elle exploitait la défaveur de Donald Trump dans une grande partie de l’opinion française, américaine et mondiale.
La presse française a largement salué ce qu’elle a parfois appelé une « punchline » ou un « coup de com » « mais pas un coup improvisé », a souligné Christophe Barbier sur BFM TV, qui estime que la formule était mijotée depuis plusieurs jours. Et en effet, si la mise en scène était impeccable, le texte n’était pas très original. En réalité, le slogan de Donald Trump (qui a pris soin de le déposer, alors qu’il avait déjà été utilisé par Ronald Reagan sous la forme « Let’s make America great again ») a fait l’objet de nombreux détournements.

« Make Europe great again » a été largement utilisé au cours de la campagne électorale allemande par les partisans de Martin Schulz. Plaisantins et opportunistes ont imaginé, entre autres, « Make coal great again », « Make gin great again », « Make emoji great again », « Make the Internet great again » et même « Make periods great again », nom d’un site web créé par le fabricant de tampons hygiéniques Lola ! « Make Earth great again » est devenu le titre d’un web-sermon du pasteur James Hein et d’une affiche mettant en scène Donald Trump et Vladimir Poutine. Ainsi était-il amplement démontré que « Make America great again » était propice aux recyclages. Encore fallait-il saisir la bonne occasion, ce qu’Emmanuel Macron a remarquablement réussi.

Google Trends révèle un courant de recherches antérieur au 1er juin 2017 sur
des phrases comme "Make our planet great again" ou "Make the world great again"


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[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 113 et s.

25 mai 2017

Des petites phrases pour les nouveaux candidats aux élections législatives ?

On se bouscule aux portes de l’Assemblée nationale. Interdiction du cumul des mandats et défaveur des partis traditionnels aidant, une foule de jeunes députés vont entrer à l’Assemblée nationale le mois prochain. Les vocations ne manquent pas : En Marche ! aurait reçu 19 000 demandes d’investiture. Tous partis confondus, 7 882 candidats se présentent aux prochaines élections législatives. Beaucoup de novices sont en train de faire leurs premières armes en communication politique.

Si vous êtes l’un d’eux, les petites phrases peuvent-elles faire partie de votre arsenal ? Bien sûr. « Rendez à César ce qui est à César » est une réplique prononcée par un homme de 33 ans, dirigeant d’un obscur groupuscule local[1]. Deux millénaires plus tard, elle est probablement la petite phrase la plus célèbre de tous les temps ; en tout cas, c’est la parole de Jésus-Christ la plus souvent citée sur le web. Le cas n’est pas unique : la petite phrase n’attend pas le nombre des années.

Vous trouverez beaucoup d’exemples et de remarques utiles dans mon livre, La Petite phrase (Eyrolles, 2015). Mais déjà, n’oubliez pas ces principes élémentaires :

1. Vous parlez pour un public

L’important n’est pas ce que vous avez à dire mais ce que votre public doit entendre. Or il n’est pas prêt à tout entendre. Il est sourd à certaines choses : celles-ci sont « inaudibles ». Et comme une petite phrase fonctionne à l’aide de sous-entendus, ce qu’elle ne dit pas expressément doit se trouver déjà dans l’esprit des auditeurs. Cela permet de dire beaucoup en peu de mots. Et aussi d’invoquer un sentiment de connivence : vous et votre public, vous êtes « sur la même longueur d’onde ». Ce qui suppose que vous le connaissiez bien, que vos mots soient les siens.

Si vous n’êtes pas certain d’être en phase avec votre public, évitez les petites phrases qui risqueraient d'être comprises de travers. Si vous voulez jouer la sécurité, contentez-vous de la langue de bois – des formules admises par tous. Ainsi, ce que vous direz ne sera pas retenu contre vous. Ne sera pas retenu du tout, d’ailleurs : ce que vous aurez dit sera oublié et vous serez jugé sur votre bonne mine.

Bien entendu, votre public n’est pas forcément homogène : vous pouvez vous adresser différemment à des publics ciblés (les citoyens d’une commune, les partisans d’une cause, les adhérents d’un parti, les praticiens d’un métier, etc.).

2. Une petite phrase utile doit être reprise

Si vous avez pris le soin de concevoir une petite phrase, ne l’abandonnez pas à son sort. Elle ne s’inscrira dans l’esprit du public qu’à condition de circuler et d’être répétée.

Vous avez évidemment une politique de présence sur les réseaux sociaux. Utilisez-les pour diffuser votre petite phrase : faites en un tweet, le titre d’un billet de blog, une publication sur Facebook, etc. Demandez à votre équipe de la reprendre afin qu’elle soit lue un grand nombre de fois. Lancez des discussions autour d’elle.

Si vous rédigez un communiqué de presse, mettez-y votre petite phrase en valeur. Faites-en un titre, un sous-titre, la première phrase de votre texte ou la dernière. Composez la en italiques, soulignez la. Reprenez la en exergue.

3. Persévérez

Le 18 juin ne marquera pas forcément la fin de vie de votre petite phrase. Si elle est puissante, si elle reflète un aspect essentiel de votre personnalité ou de vos convictions, répétez la encore. Faites-en une sorte de devise ou de slogan personnel. Répétition rime avec mémorisation.

« Carthago delenda est », martelait Caton l’Ancien à la fin de tous ses discours, un siècle et demi avant Jésus-Christ : on s’en souvient encore. Et Carthage a été détruite ! On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Et n’oubliez pas que parmi les publics auxquels vous vous adressez, il y a ceux qui sélectionneront les candidatures la prochaine fois. On se souvient plus facilement de ceux dont on a une phrase en mémoire (sauriez-vous qui était Caton sans « Carthago delenda est » ?). Votre petite phrase de 2017 pourrait être votre sésame pour 2022.

Michel Le Séac’h
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[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 64.

Buste de Caton l’ancien : photo Patrizio Torlonia, Wikimedia Commons

18 mai 2017

« En même temps » : du tic de langage à la petite phrase chez Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron, on le sait, a des tics de langage, dont le plus fréquent est « en même temps ». La locution adverbiale figurait deux fois dans sa déclaration de candidature du 16 novembre 2016 (à 4:03 et 5:05).

Longtemps avant qu’Emmanuel Macron ne se présente à l’élection présidentielle, ces « en même temps » avaient pu être repérés dans ses interventions publiques. Trois fois dans un seul discours sur les taxis devant l’Assemblée nationale le 28 janvier 2015, par exemple. Ils ont ponctué à maintes reprises sa campagne électorale au point de susciter quelques moqueries. Emmanuel Macron lui-même en a plaisanté lors de son grand meeting de Bercy, le 17 avril : « Excusez-moi, vous avez dû le noter, j'ai dit en même temps. Il paraît les amis que c'est un tic de langage. »

Emmanuel Macron n’est pas le premier à cultiver cette locution : Albert Camus, qu’il cite volontiers, en faisait grand usage. « En même temps » figure quarante-cinq fois dans L’Homme révolté, dix fois dans La Chute, vingt-trois fois dans L’Exil et le royaume, etc. Mais sous la plume de Camus, elle signifie le plus souvent « simultanément ». Or, dans un sens figuré et plus populaire, elle peut signifier aussi « cependant », « en revanche », « d’un autre côté ».

Quel sens a-t-elle chez Emmanuel Macron ? Il s’en est expliqué lui-même le 17 avril à Bercy (c’est moi qui souligne) :

« Je continuerai à utiliser 'en même temps' dans mes phrases mais aussi dans ma pensée, parce que en même temps ça signifie simplement que l'on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement d'une société. »

Explicitement, les « en même temps » d’Emmanuel Macron renvoient ainsi à une résolution des contradictions. Le président de la République pense pouvoir satisfaire tout le monde à la fois au lieu de trancher en faisant des mécontents. Ces trois mots seraient représentatifs d’un mode de gouvernement. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs éditorialistes les aient traités comme une petite phrase, sur France Culture, dans L’Obs, Le Point, Challenge, La Croix, L’Express, etc. Avec une tonalité généralement négative. « Sous vos airs polis, vous avez dit beaucoup de choses et leurs contraires », lui disait Alba Ventura sur RTL. Ce jeune président serait aussi capable qu’un vieux politicien de tout promettre à tout le monde.

Pour Emmanuel Macron, le risque est clair : transformé en petite phrase dans l’esprit du public, « en même temps » pourrait brosser en trois mots le portrait d’un président conciliant… ou d’un dirigeant imprécis et indécis. Ou les deux en même temps (simultanément), selon les publics.

En même temps (cependant), la chance sourit à Emmanuel Macron : il ne semble pas que cette idée plutôt négative ait marqué l’électorat à ce jour. Google Trends ne révèle pas une envolée des recherches sur « en même temps » au cours des derniers mois. Sans doute la petite phrase n’a-t-elle pas dépassé le stade des médias, elle ne s’est pas inscrite dans l’esprit du public. Mais le risque demeure, car les bases sont posées. Une décision gouvernementale conflictuelle pourrait transformer la locution adverbiale en petite phrase toxique. Le président de la République aurait tout intérêt à la bannir désormais de son vocabulaire.

Michel Le Séac’h