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30 janvier 2016

« Résister c’est partir », la demi-petite phrase de Christiane Taubira

En oratrice de talent, Christiane Taubira a émaillé de plusieurs formules bien frappées la conférence de presse organisée au ministère de la Justice dans la foulée de sa démission du gouvernement mercredi dernier : « Je choisis d’être fidèle à moi-même, à mes engagements, à mes combats, à mon rapport aux autres », « je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur », « nous ne devons concéder [au terrorisme] aucune victoire » et même « nous ne livrerons pas le monde aux assassins d'aube », citation approximative d’Aimé Césaire. Pourtant, à quelques exceptions près comme Le Monde, Sud-Ouest ou Europe1, les médias y ont rarement puisé leurs titres.

En revanche, beaucoup se sont focalisés, l’instar de L’Humanité, du Dauphiné ou du quotidien francophone algérien El Watan, sur un tweet posté par l’ex-Garde des Sceaux : « Parfois, résister c’est partir ». Et le web a fait un triomphe à cette formule. Pourquoi ? Probablement parce que les déclarations de Christiane Taubira au ministère de la Justice rendaient compte d’un débat intellectuel à la première personne alors que son tweet se donne des allures de règle heuristique : il prescrit une attitude valable pour tous.

La formule retenue par la presse et le web n'est cependant qu’un extrait du tweet d'origine. Son contenu complet était : « Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit. » La première de ces trois phrases avait de bons atouts pour devenir une petite phrase reprise par les médias et mémorisée par l’opinion : énonciatrice, elle reposait sur le redoublement[1] d’un verbe d’action fort renvoyant à une composante majeure de la culture historique contemporaine, la Résistance (« Résister c’est partir », écrit Léon Blum dans ses Mémoires à propos de la situation de juin 1940).

En revanche, elle avait un handicap presque rédhibitoire : elle évoquait deux attitudes contradictoires : rester et partir. Une petite phrase ne s’inscrit dans les esprits que si elle apporte une réponse et une seule, elle ne doit jamais susciter la perplexité. Les médias, et les internautes plus encore, ont donc spontanément raccourci la déclaration de Christiane Taubira en ne gardant que la partie conforme à sa prescription implicite.

Cette petite phrase sera-t-elle pérenne pour autant ? Le Premier ministre a fait de son mieux pour l’éviter. J’y reviendrai.

Michel Le Séac'h