Affichage des articles dont le libellé est la France est en guerre. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est la France est en guerre. Afficher tous les articles

15 décembre 2015

« Le FN peut conduire à la guerre civile » : à coups de petites phrases, Manuel Valls creuse son sillon guerrier

Le 14 novembre, Manuel Valls avait été le premier dirigeant français à dire : « Nous sommes en guerre ». La déclaration de guerre étant l’acte suprême du politique, le premier ministre avait-il tenté de préempter par cette petite phrase une position qui aurait dû être celle du président de la République, ainsi que je l’avais envisagé ici ? En tout cas, François Hollande avait repris la main le lendemain en attaquant son discours devant le Congrès par une formule explicite : « La France est en guerre ».

Ce n’était pas la première fois que Manuel Valls brandissait l’épée. Le 28 juin 2015, déjà, il avait évoqué une « guerre de civilisation » au cours d’un « Grand rendez-vous » d’Europe 1, Le Monde et iTélé. J’y avais vu, déjà, une manière de prendre date en vue de l’élection présidentielle ; « Le jour ou Manuel Valls parla de ‘guerre de civilisation’ », avait d’ailleurs titré Libération.

Le premier ministre creuse son sillon guerrier. « Il faut être à la hauteur des enjeux (...) surtout parce que nous vivons avec cette menace terroriste, parce que nous sommes en guerre, parce que nous avons un ennemi, Daech, l'État islamique, que nous devons combattre et écraser en Irak, en Syrie et demain sans doute en Lybie », a-t-il déclaré vendredi dernier à Léa Salamé, qui l’interrogeait sur France Inter.

Mais ce n’est pas cette phrase qui a le plus retenu l’attention des commentateurs. Quelques minutes plus tard, Manuel Valls ajoutait : « il y a une option qui est celle de l'extrême droite qui au fond prône la division et cette division peut conduire à la guerre civile ». L’idée était étrange : puisque plusieurs des terroristes du 13 novembre étaient français, la déclaration de guerre du 14 novembre était aussi un constat de guerre civile. Mais dans la foulée d’une dépêche AFP, de nombreux médias ont aussitôt fait de cette phrase une petite phrase, par exemple :
  • Régionales. Pour Valls, le FN peut conduire «à la guerre civile» ‑ Le Parisien
  • Manuel Valls : le Front national "peut conduire à la guerre civile" – Sud-Ouest
  • Le Front national peut conduire à la "guerre civile", selon Manuel Valls ‑ RTL
  • Valls : le FN "peut conduire à la guerre civile" – Le Point
En pleine campagne électorale, une mise en cause aussi vive d’un parti politique légal ne pouvait évidemment passer inaperçue. Et Manuel Valls, qui prépare ses interventions avec soin, ne pouvait l’ignorer. Après ses petites phrases du 28 juin et du 14 novembre, celle du 11 décembre apparaît comme un nouveau petit caillou blanc (ou rouge sang ?) délibérément semé.

Michel Le Séac'h

Photo © Rémi Jouan, CC-BY-SAGNU Free Documentation LicenseWikimedia Commons

17 novembre 2015

« La France est en guerre » : François Hollande frappe plus fort que Manuel Valls

Entre les attentats du 13 novembre et le discours de François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès, près de soixante heures se sont écoulées : les assistants du président de la République ont eu le temps nécessaire pour calibrer son intervention. L’incipit de cette adresse, « La France est en guerre », a donc été soupesé et choisi avec soin. Étant donné la solennité de son contexte, la certitude qu’il serait abondamment repris par les médias et l’état d’émotion de l’opinion publique, il avait tout pour marquer les esprits. En d’autres termes, pour devenir une « petite phrase ».

Alors, pourquoi avoir choisi une formule aussi forte* que « La France est en guerre » ? Le président de la République avait déjà employé le mot « guerre » samedi 14, au sortir d’un conseil de défense : «  c'est un acte de guerre qui a été préparé, organisé, planifié de l’extérieur et avec des complicités intérieures que l’enquête permettra d'établir ». Mais il plaçait ainsi la France dans le rôle passif d’une victime, non dans celui d’un belligérant.

Déjà, cette formule n’était pas sans risque : les communicants du président de la République en étaient sûrement conscients, elle rappelait très fort celle de George W. Bush devant le Congrès américain le 20 septembre 2001 : « le 11 septembre, des ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays » ‑ un acte de guerre lui aussi planifié de l’extérieur. Être comparé à George W. Bush n’est probablement pas un impératif prioritaire pour un président socialiste.

G.W. Bush avait réagi à l’attaque du 11 septembre en déclarant la « guerre contre la terreur ». Dès le 16 novembre François Hollande a accentué le parallélisme en déclarant « La France est en guerre ». Outre le risque de comparaison, la formule ouvrait un risque de polémique politique intérieure. Déclarer la France en guerre, et devant le Parlement encore, revenait à piétiner symboliquement l’article 35 de la Constitution : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Pourquoi avoir choisi d’ouvrir un discours aussi solennel par une phrase aussi extrême que « La France est en guerre » ?

Selon certains commentateurs, la formule du 14 novembre («  c'est un acte de guerre qui a été préparé… », etc.) aurait été imposée par Manuel Valls. Le Premier ministre avait en tout cas saisi la balle au bond au 20H de TF1 le soir même : « Ce que je veux dire aux Français, c’est que nous sommes en guerre. Le président de la République l’a dit avec force ce matin. Oui, nous sommes en guerre. », etc. Une déclaration autrement plus martiale que celle de François Hollande le même jour.

Il est probable que les sondeurs de l’Élysée se sont penchés le 15 novembre sur l’impact respectif des deux déclarations du 14. Depuis des mois déjà, les communicants de François Hollande étaient conscients que l’état de guerre pouvait être pour lui une planche de salut électorale. Même l’opposition le reconnaissait. « Décrié et souvent indéchiffrable sur le front intérieur, François Hollande recueille l'approbation pour sa détermination lorsqu'il endosse l'uniforme du chef de guerre » écrivait ainsi Alain Barluet dans Le Figaro en octobre 2014. Il était impossible d’abandonner ce terrain au Premier ministre. À Versailles, François Hollande a montré que le chef de guerre, c’est lui.

Michel Le Séac'h
_____________
* ...et chargée d'un sens plus large encore, comme il sied à une petite phrase. « "La France est en guerre." C'est par ces mots, dont la froide simplicité n'est pas proportionnelle à la lourde charge qu'ils portent, que Hollande, sàolennel, a débuté son allocution devant le Congrès », note ainsi Erik Emptaz à la Une du Canard enchaîné ce mercredi [note ajoutée le 18 novembre].

Photo François Hollande en 2012 : Toufik-de-planoiseWikimedia CommonsCC-BY-SA-3.0