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16 janvier 2017

« Le 49.3 », une petite phrase numérique imposée par la presse à Manuel Valls ?

Une petite phrase n’est pas nécessairement faite de mots. C’est une « formule concise », or rien n’est plus concis qu’une formule mathématique ; le « E=mc2 » d’Albert Einstein renferme tout l’univers dans trois lettres, un chiffre et un signe. « Le 18 brumaire, « les 30 glorieuses », « les 200 familles », « le 11 septembre », « les 35 heures » fonctionnent comme des petites phrases : sous des dehors anodins, ces expressions évoquent instantanément une mémoire collective. Et aussi « 1789 », « mai 68 » ou « c’est reparti comme en 14 »[1].

En ira-t-il de même du 49.3 ? « Le » 49.3, c’est bien entendu le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, qui permet au gouvernement d’engager sa responsabilité devant le Parlement. Ce nombre double (on prononce « quarante-neuf trois », le point, qui peut aussi être un tiret, reste muet) sera-t-il une petite phrase de la campagne présidentielle de 2017 ? La question peut se poser depuis le 15 décembre. Manuel Valls, candidat à la primaire du Parti socialiste, était reçu par Patrick Cohen sur France Inter. Une revue de la presse dans les heures qui ont suivi cet entretien montre que les médias se sont surtout intéressés à cette annonce : « Je proposerai de supprimer purement et simplement le 49.3. »

Improvisation malheureuse ?

Était-ce l’effet recherché par Manuel Valls ? Probablement pas. L'article 16 de la Constitution, sur les pouvoirs exceptionnels du président de la République, a été dans les années 1960 un cheval de bataille de François Mitterrand. Puis ce dernier s'est aperçu que ce sujet qui passionnait les politiciens de la 4e République n'était plus de mise depuis que la 5e avait instauré l'élection du président au suffrage universel. Son lointain successeur sait bien que ces questions intéressent peu les électeurs.

Le 49.3 n’est arrivé que vers la fin de l’émission de France Inter, en réponse à une question de Patrick Cohen. Et la phrase de Manuel Valls était une bévue évidente. En effet, il venait d’exclure expressément la loi de finances de sa proposition, « parce que la nation a besoin d’un budget ». Or, qu’on relise l’article 49.3 (voir ci-dessous) : le vote de la loi de finances est bien son cas de figure essentiel. Manuel Valls ne songeait pas à supprimer « purement et simplement » le 49.3 mais seulement sa dernière phrase ! Et il a fallu une remarque de Patrick Cohen pour qu’il semble s’apercevoir que cette suppression exigerait une révision constitutionnelle.

Au cours de l’émission, Manuel Valls avait d’abord expliqué les raisons de sa candidature : faire gagner la gauche, rassembler les citoyens, humaniser la mondialisation... Puis, en une dizaine de minutes, il avait évoqué plusieurs points de son programme en insistant surtout sur son intention de rétablir la défiscalisation des heures supplémentaires – un sujet concret qui concerne de manière directe et quotidienne une fraction importante de l’électorat. Il avait aussi glissé deux ou trois petites phrases potentielles du genre « On a parlé de droit d’inventaire, moi je veux parler du droit d’inventivité » ou « je propose une renaissance démocratique ». Peine perdue…

Petite phrase vite oubliée

Que s’est-il passé ? Parmi les différents thèmes abordés par Manuel Valls, la suppression de l’article 49.3 a vite fait l’objet d’une dépêche AFP soulignant la divergence entre sa déclaration et sa pratique gouvernementale (il a utilisé six fois l’article 49.3 à l’occasion de deux textes différents, la loi Macron et la loi El Khomri). Cet angle clairement défavorable à l'ex premier ministre a été repris par plusieurs journaux de premier plan comme Le Monde ou Le Point. « Je proposerai de supprimer purement et simplement le 49.3. » est ainsi apparu comme le point essentiel de l’entretien pour les médias.

Mais le public n'a pas suivi. Comme le montre le graphique Google Trends ci-dessous, les recherches sur « 49.3 » (en bleu) ou « 49-3 » (en rouge) ont été considérablement moins nombreuses dans la semaine du 11 au 17 décembre que dans la deuxième semaine de mai 2016, à l’époque du vote de la loi Travail. Est-ce le sujet qui laisse l’opinion indifférente, ou bien est-ce le candidat ? On ne saurait le dire. Toujours est-il que, même si elle est massivement choisie par la presse, une petite phrase ne marque pas forcément le public.



 Article 49.3 de la Constitution
« Le premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
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[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 148.

Photo : [c] Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

17 novembre 2015

« La France est en guerre » : François Hollande frappe plus fort que Manuel Valls

Entre les attentats du 13 novembre et le discours de François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès, près de soixante heures se sont écoulées : les assistants du président de la République ont eu le temps nécessaire pour calibrer son intervention. L’incipit de cette adresse, « La France est en guerre », a donc été soupesé et choisi avec soin. Étant donné la solennité de son contexte, la certitude qu’il serait abondamment repris par les médias et l’état d’émotion de l’opinion publique, il avait tout pour marquer les esprits. En d’autres termes, pour devenir une « petite phrase ».

Alors, pourquoi avoir choisi une formule aussi forte* que « La France est en guerre » ? Le président de la République avait déjà employé le mot « guerre » samedi 14, au sortir d’un conseil de défense : «  c'est un acte de guerre qui a été préparé, organisé, planifié de l’extérieur et avec des complicités intérieures que l’enquête permettra d'établir ». Mais il plaçait ainsi la France dans le rôle passif d’une victime, non dans celui d’un belligérant.

Déjà, cette formule n’était pas sans risque : les communicants du président de la République en étaient sûrement conscients, elle rappelait très fort celle de George W. Bush devant le Congrès américain le 20 septembre 2001 : « le 11 septembre, des ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays » ‑ un acte de guerre lui aussi planifié de l’extérieur. Être comparé à George W. Bush n’est probablement pas un impératif prioritaire pour un président socialiste.

G.W. Bush avait réagi à l’attaque du 11 septembre en déclarant la « guerre contre la terreur ». Dès le 16 novembre François Hollande a accentué le parallélisme en déclarant « La France est en guerre ». Outre le risque de comparaison, la formule ouvrait un risque de polémique politique intérieure. Déclarer la France en guerre, et devant le Parlement encore, revenait à piétiner symboliquement l’article 35 de la Constitution : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Pourquoi avoir choisi d’ouvrir un discours aussi solennel par une phrase aussi extrême que « La France est en guerre » ?

Selon certains commentateurs, la formule du 14 novembre («  c'est un acte de guerre qui a été préparé… », etc.) aurait été imposée par Manuel Valls. Le Premier ministre avait en tout cas saisi la balle au bond au 20H de TF1 le soir même : « Ce que je veux dire aux Français, c’est que nous sommes en guerre. Le président de la République l’a dit avec force ce matin. Oui, nous sommes en guerre. », etc. Une déclaration autrement plus martiale que celle de François Hollande le même jour.

Il est probable que les sondeurs de l’Élysée se sont penchés le 15 novembre sur l’impact respectif des deux déclarations du 14. Depuis des mois déjà, les communicants de François Hollande étaient conscients que l’état de guerre pouvait être pour lui une planche de salut électorale. Même l’opposition le reconnaissait. « Décrié et souvent indéchiffrable sur le front intérieur, François Hollande recueille l'approbation pour sa détermination lorsqu'il endosse l'uniforme du chef de guerre » écrivait ainsi Alain Barluet dans Le Figaro en octobre 2014. Il était impossible d’abandonner ce terrain au Premier ministre. À Versailles, François Hollande a montré que le chef de guerre, c’est lui.

Michel Le Séac'h
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* ...et chargée d'un sens plus large encore, comme il sied à une petite phrase. « "La France est en guerre." C'est par ces mots, dont la froide simplicité n'est pas proportionnelle à la lourde charge qu'ils portent, que Hollande, sàolennel, a débuté son allocution devant le Congrès », note ainsi Erik Emptaz à la Une du Canard enchaîné ce mercredi [note ajoutée le 18 novembre].

Photo François Hollande en 2012 : Toufik-de-planoiseWikimedia CommonsCC-BY-SA-3.0