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08 mars 2022

« Pas de ressasser la France de notre enfance » : la petite phrase qui pollue la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron

En 2016, la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron avait été spécialement terne. Au lieu d’y glisser une petite phrase qui aurait été une sorte de devise pour le quinquennat, il l’avait articulée sur ce simple énoncé, confirmé dans un tweet et dans la communication d’En Marche ! : « Je suis candidat à la présidence de la République ». Ce qui ne faisait aucun doute depuis des semaines. Un coup pour rien, donc.

Depuis lors, le président de la République a pu apprécier à plusieurs reprise la portée des petites phrases, souvent comme victime (« Je traverse la rue, je vous trouve du travail »), quelquefois comme héros (« Make our planet great again »), à l’occasion comme lanceur d’alerte (« l’OTAN est en état de mort cérébrale », redevenu d’une cuisante actualité). Conscient de leur puissance, veille-t-il à l’exploiter, à l’instar des candidats américains avec leurs « sound bites », en profitant de l’appétence des citoyens pour ces formules brèves et marquantes ?

Autrement dit : a-t-il introduit dans sa Lettre aux Français du 3 mars 2022, coup d’envoi de sa campagne électorale, une formule appelée à marquer celle-ci, voire le futur quinquennat ? 

À la recherche de LA petite phrase 

Les « spin doctors » veillent à mettre en évidence leurs « sound bites » afin qu’électeurs et médias ne risquent pas de passer à côté. Ils les signalent aux journalistes, ils leur consacrent des tweets, ils postent des extraits vidéo sur YouTube, ils les reprennent sur la page d’accueil de leurs sites web, etc. Telle que la Lettre aux Français a été publiée, par exemple sur le site de campagne avecvous.fr, plusieurs passages courts sont rendus spécialement visibles par une composition en gras.

Quelques-uns portent sur le passé (« Nous avons fait face avec   dignité et fraternité »…), ce qui n’est jamais favorable à une petite phrase. Le futur (« Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants ») l’est à peine davantage. Deux ou trois promesses électorales (« Nous lutterons contre les inégalités »…) relèvent des banalités de circonstance.

Restent deux phrases plus remarquables :

  • Défendre notre singularité française implique enfin de promouvoir une certaine manière d’être au monde.
  • En chaque lieu, j’ai perçu le désir de prendre part à cette belle et grande aventure collective qui s’appelle la France.

Après « l’art d’être français », qui a fait long feu, Emmanuel Macron compterait-il jouer de la « singularité française » ? À côté de cette formule, mais pas en gras, on note aussi : « inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière ». L’ajout de la singularité européenne rend la « singularité française » moins spécifique, donc moins apte à fonctionner comme une petite phrase.

Quant à la « belle et grande aventure collective qui s’appelle la France », sa noblesse appuyée rappelle cette formule du général de Gaulle : « combien c'est beau, combien c'est grand, combien c'est généreux, la France ». C’était la péroraison de son discours du 4 juin 1958 à Alger. Elle était manifestement destinée à marquer les esprits. Mais l’homme politique propose et l’opinion dispose. Ce qui, devant l’Histoire, a été majoritairement retenu du discours gaullien, c’est en fait sa première phrase : « Je vous ai compris ». Une phrase maintes fois citée comme un exemple chimiquement pur de duplicité politicienne.

Pourrait-il y avoir un « Je vous ai compris » dans la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron ? Plutôt que de la duplicité, on remarquerait plutôt une franchise courageuse : « il nous faudra travailler plus », « reconquête productive par le travail »

Cependant, les réseaux sociaux, eux, ont clairement « élu » une autre phrase :

« L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants,
pas de ressasser la France de notre enfance. »

Elle n’est pas composée en caractère gras. Ce n’est donc pas, a priori, une tentative de « sound bite ». Pourtant, sa construction, avec sa quasi-rime interne « la France de nos enfants/la France de notre enfance » et le contraste entre « bâtir » et « ressasser », la prédestinait à devenir une petite phrase. Et ça n’a pas loupé. De toute la déclaration, cette phrase est la plus répétée – « ressassée » même – y compris par les partisans du président candidat. Par exemple, sur Twitter, par Éric Woerth et Elisabeth Moreno (voir tweet ci-dessous). Tout le reste, si soigneusement pesé fût-il, tend à passer au second plan.


On imagine mal que les communicants de l’Élysée n’aient pas prévu le phénomène. Quelle pourrait être leur tactique ? La seule logique envisageable est celle de la petite phrase « assassine » destinée à attaquer un ou plusieurs adversaires sans les nommer, Elle viserait, suppose-t-on, Éric Zemmour. Cela pourrait être une manière détournée de l’adouber comme l’adversaire principal du président sortant, en postulant qu’il serait aussi l’adversaire de second tour le moins dangereux.

Mais il arrive qu’une petite phrase assassine se retourne contre son auteur. D’abord, elle offre à l’adversaire un angle d’attaque évident, qu’Éric Zemmour s’est empressé de saisir. Ensuite, adopter une posture morale est dangereux si sa sincérité peut être mise en doute. « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » a probablement aidé François Fillon à obtenir sa désignation comme candidat en 2016 mais l’a tout aussi probablement aidé à perdre l’élection en 2017.

Une provocation d'Emmanuel Macron ?

Et puis, « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance » présente plusieurs faiblesses intrinsèques, soulignées par les réseaux sociaux :

  • Pour une bonne partie des Français, l’enjeu est plutôt de bâtir la France de leur propre avenir immédiat.
  • Dans sa bouche d’un président qui n’a pas d’enfant, « nos enfants » paraît décalé, voire insincère.
  • Emmanuel Macron a si souvent vanté le « en même temps » qu’on perçoit mal pourquoi la France de nos enfants ne pourrait être en même temps la France de notre enfance.
  • La singularité française telle que vantée dans la déclaration est « un art de vivre millénaire ». La France de notre enfance, donc, mais aussi celle de nos aïeux. Comment la défendre tout en sous-entendant que celle de nos enfants devrait être différente ?

Cette petite phrase paraît donc au minimum déplacée, au maximum carrément dangereuse pour le candidat. Une erreur tactique de ses communicants ? On pourrait envisager une autre hypothèse, celle d’une provocation délibérément introduite dans le texte par Emmanuel Macron lui-même. Il lui est arrivé plus d’une fois de glisser dans des discours pourtant tirés au cordeau une petite phrase agressive qui a pourri l’ambiance. Qu’on songe par exemple à « Jojo avec un gilet jaune », « nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs » ou même « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ».

Auquel cas, retenir « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance » comme LA petite phrase de la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron serait tout à fait légitime : c’est elle qui représenterait le mieux sa personnalité.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie partielle d'écran Twitter
 

À lire :

Les petites phrases d’Emmanuel Macron

Une analyse détaillée par Michel Le Séac’h


12 septembre 2021

Michel Barnier : « Qui imagine la Cour de justice européenne mise en examen ? »

D’une seule phrase, Michel Barnier a soulevé jeudi dernier une énorme agitation dans les milieux politiques et médiatiques. Personne n’a parlé de « petite phrase », pourtant. Et pour cause. Cette phrase, prononcée lors d’une journée parlementaire des Républicains, la voici :

Nous ne pouvons pas faire tout cela sans avoir retrouvé notre souveraineté juridique, en étant menacés en permanence d'un arrêt ou d'une condamnation de la Cour de justice européenne ou de la Convention des droits de l'homme, ou d'une interprétation de notre propre institution judiciaire.

Une phrase de 45 mots peut pouvait difficilement être qualifiée de « petite ». Et celle-ci ne semble pas avoir ému le grand public. Mais que les commentaires des spécialistes se soient focalisés sur elle a de quoi surprendre. Le message important, a priori, était le « faire tout cela » : ce que le candidat à la présidence de la République s’engage à réaliser s’il est élu. En l’occurrence, un moratoire de l’immigration comprenant une quinzaine de mesures : durcir les conditions du regroupement familial, distribuer des cartes vitales biométriques, renforcer Frontex, etc.

Ces mesures avaient déjà été avancées par Michel Barnier dans une tribune du 28 juillet 2021. L’une d’elles était ainsi libellée : « Loi constitutionnelle pour garantir la primauté du droit français en la matière. » C’est-à-dire, en douze mots, exactement la même chose que le 9 septembre en quarante-cinq. La bouffée d’indignation de ces derniers jours pourrait donc bien être le fruit d’une réflexion plutôt qu’une réaction spontanée.

Les positions sont, dépêche AFP aidant, assez stéréotypées :

  • Stupéfaction à Paris et Bruxelles après les critiques de Barnier contre la justice européenne – Le Parisien
  • La classe politique divisée après les critiques de Michel Barnier contre la justice européenne – Le Figaro
  • Michel Barnier provoque la consternation en Europe – Les Échos
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier consternent Bruxelles – Challenges
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier sèment la consternation à Bruxelles – Le Monde
  • Les propos de Michel Barnier contre la justice européenne créent la stupéfaction – Ouest-France

On note que ces réactions sont « bruxelloises », alors que l’avertissement de Michel Barnier vise tout autant le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État français. Évidemment, si un ancien commissaire européen est capable de contester aussi ouvertement la suprématie du droit européen, les autres candidats à la présidence pourraient surenchérir. Le risque est clair pour des institutions européennes déjà fragilisées par le Brexit et les attitudes de certains pays d’Europe de l’Est.

Les partisans de la supranationalité, alertés par les propos du 28 juillet, auraient pu la jouer lénifiante : « les institutions européennes respectent la souveraineté juridique des États membres dans le cadre prévu par les Traités », etc. Au contraire, ils ont saisi la première occasion explicite pour déclencher un tir de barrage. Et non contents de contester la proposition, ils attaquent l’homme lui-même. « Cela le discrédite complètement », proclame par exemple Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste. De là à penser qu’ils tapent fort pour tenter de dissuader d'éventuels imitateurs…

 Se montrer ferme ou pas

L’épisode contient aussi une leçon pour Michel Barnier en tant que candidat à la présidence. Expert ès milieux européens, il ne pouvait ignorer ni le caractère scandaleux de l’expression « primauté du droit français » ni la virulence de ces milieux envers les contestataires. Dès la révélation de ses intentions, c’est-à-dire dès le 28 juillet, il aurait dû s’attacher à leur donner une forme plus visible afin d’imposer sa marque, d'afficher une autorité intellectuelle.

François Fillon, lui aussi, savait bien qu’il allait scandaliser une partie de son propre camp en lançant, fin août 2016, son fameux « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? ». Une question rhétorique, largement qualifiée de petite phrase, elle. Les critiques avaient été vives mais l’ancien Premier ministre, lui aussi réputé terne et pondéré, avait acquis une stature.

À retardement, Michel Barnier cherche à présenter sa position au grand public le 9 septembre avec ce tweet : « Il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH. » Même si les sigles sont ésotériques pour beaucoup, la position se veut claire et déterminée : Michel Barnier est à l’offensive.

Cependant, devant la vivacité des réactions, l’ancien commissaire européen retire son tweet ! Il lui substitue celui-ci : « Restons calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera qu’à la politique migratoire. » Ses adversaires restent maîtres du terrain de la twittosphère. Son geste de soumission, ou au moins de conciliation, a sûrement ses raisons mais risque d’obérer la suite d'une campagne présidentielle.

Michel Le Séac’h

Illustration : Michel Barnier en 2017, photo The Jacques Delors Institute, licence CC B Y 2.0 via Wikimedia Commons

18 septembre 2018

« Je traverse la rue » : la flèche de l’image d’Emmanuel Macron s’égare

Le président de la République est le personnage le plus important vers lesquels les citoyens puissent se tourner. On espère de lui, en tant que leader, un rôle protecteur et un guidage dans la bonne direction. On attend ses oracles et l’on cherche à le connaître ; les petites phrases résument sa pensée. S’il n’en fournit pas lui-même, on en trouvera pour lui.

Emmanuel Macron semble avoir du mal à intégrer cette constante de la communication politique. Bien entendu, il lui arrive de proposer délibérément des formules calibrées pour frapper l’opinion. Certaines fonctionnent (« Make our planet great again »). D’autres sont plus laborieuses (« Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays »). Mais dans l’ensemble, ces petites phrases ne sont probablement pas assez congruentes avec ses attitudes et ses comportements. Souvent, les médias et les citoyens préfèrent picorer à leur gré dans ses expressions publiques.

Au hasard ? Sûrement pas. Ces petites phrases successives sont ce que leurs sélectionneurs retiennent du chef de l’État. Emmanuel Macron est un personnage complexe dont l’image politique n’est pas encore figée. Les petites phrases choisies sont donc disparates, elles passent par des flambées soudaines puis disparaissent plus ou moins vite. Mais elles dessinent peu un peu un portrait en patchwork. Elles forment une « flèche de l’image » progressivement révélée.

L’orientation de cette flèche a de quoi inquiéter les communicants présidentiels. Le dernier épisode en date semble confirmer qu’elle vole dans une direction dangereuse. « Je traverse la rue, je vous trouve un emploi », réponse d’Emmanuel Macron à un jeune chômeur qui visitait l’Élysée ce dimanche à l’occasion des Journées du patrimoine, a remporté un succès énorme.


Cette formule anodine était en concurrence avec des centaines d’autres prononcées publiquement ce jour-là par le président de la République. Elle n’était pas vraiment « détachable », elle ne signifie pas grand chose hors de son contexte. Pourtant, elle été reconnue très vite comme une « petite phrase » par de nombreux médias comme Le Midi libre, Paris Match, Gala, RTL, Sud Radio ou LCI. Elle a été reprise des milliers de fois sur les réseaux sociaux, souvent sur un ton moqueur – témoin le hashtag #TraverseLaRueCommeManu lancé sur Twitter.

Or son interprétation générale n’est pas douteuse : le président manque d’empathie, pour le dire diplomatiquement. Venant après le « pognon dingue » ou « les Français détestent les réformes », le fait même qu'elle ait été retenue par les acteurs de l'opinion dénote une dégradation progressive de l'image du président -- image qu'elle contribue en même temps à façonner. S'il continue à alimenter ce cercle vicieux, Emmanuel Macron devra se préparer sérieusement à traverser la rue.

Illustration : copie partielle d’un écran BFM TV

Michel Le Séac’h

15 avril 2018

Emmanuel Macron pratique le tweet et en même temps refuse la petite phrase

Emmanuel Macron n’a décidément pas trouvé le bon filon pour les petites phrases. Son intervention devant la Conférence des évêques de France, lundi dernier, en donne une nouvelle illustration.

Une petite phrase suppose un alignement des planètes : (1) une formule concise prononcée ou écrite par un personnage en vue, (2) relayée par la presse et les réseaux sociaux, (3) qu’un public plus ou moins large mémorise plus ou moins durablement. Comment l’homme politique désigne-t-il aux médias le passage d’un discours dont il voudrait faire une petite phrase ?

D’abord, il confère à une formule un caractère de « détachabilité », grâce aux moyens détaillés par le professeur Dominique Maingueneau dans La Phrase sans texte[1]. Il peut la répéter, au fil de plusieurs discours (« Delenda est Carthago ») ou d’un seul (« I have a dream »). Il peut la désigner explicitement à un journaliste ami ou complice. Aujourd’hui, il dispose aussi d’un outil technologique : le tweet, ou plus exactement le livetweet. En tweetant une phrase aussitôt qu’on l’a prononcée, on la désigne clairement à l’attention des médias et du public.

Qu’a dit le président de la République le 9 avril ? Voici le début de son homélie :

Je vous remercie vivement, Monseigneur, et je remercie la Conférence des Evêques de France de cette invitation à m’exprimer ici ce soir, en ce lieu si particulier et si beau du Collège des Bernardins, dont je veux aussi remercier les responsables et les équipes.

Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer.

« Sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer » : cette formule alambiquée de plus de trente mots avait peu de chances de devenir une petite phrase. Mais en même temps (comprenez « simultanément »), les services du président de la République diffusaient ce tweet plus concis : « le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer »


Une partie de la presse a explicitement vu dans cette formule une « petite phrase », à l’instar du JDD ou du Parisien. Comme il était prévisible, une polémique est aussitôt née sur le « lien entre l’Église et l’État » dans un pays où la séparation de l’Église et de l’État remonte à plus d’un siècle. L’entourage du président de la République s’en est offusqué. « Les réactions sont quasi pavloviennes », estime Benjamin Griveaux, « Une partie de la classe politique française condamne un discours de plus d’une heure en 140 signes dans un tweet. » N’est-il pas étrange que le porte-parole du gouvernement manifeste une telle incompréhension de la communication présidentielle ?

Si Emmanuel Macron a cru devoir transformer en tweet une phrase de son discours, c’est évidemment qu’il lui attachait une importance particulière. Il ne peut reprocher aux commentateurs d'en faire autant. Pratiquer le tweet et refuser la petite phrase, c’est vouloir une chose et son contraire en même temps.



Michel Le Séac’h


[1] Dominique Maingueneau, La Phrase sans texte, Paris, Armand Colin, 2012.

25 novembre 2017

Les petites phrases ré-oralisées avec Kieku ?

Depuis l’invention de la presse, et a fortiori celle des médias sociaux, les petites phrases se transmettent principalement par écrit. Pourtant, leur origine orale, et même sonore, ne fait guère de doute. L’expression anglo-saxonne « sound bite » en est témoin.

Les petites phrases vont-elles être ré-oralisées ? Kieku Labs, start-up finlandaise dont le nom signifie « cocorico », a inventé le « minicast » destiné à propager de courts extraits audio enregistrés sur smartphone. Selon ses promoteurs, Kieku doit « aider producteurs et auditeurs à se trouver mutuellement par des connexions sociales. Ainsi, des abonnements permettent à chacun de suivre les auteurs et les sujets qu’il aime. Tout le monde peut donc participer aux débats. » Cela revient à rendre collaboratif le média centenaire qu'est la radio. Un système d’intelligence artificielle propose aussi d’analyser les préférences des auditeurs pour leur servir ce qui devrait les intéresser. D’un clic, on peut recommander à ses amis les passages qu’on aime. Ce qui évoque bien sûr une sorte de Twitter audio.

Les fondateurs de Kieku y voient un moyen de bâtir des communautés et d’échanger des conseils et des témoignages à l’aide d’enregistrements pouvant atteindre deux minutes. Du témoignage à l’opinion, il n’y a pas loin : la politique aura vite sa place. La brièveté des messages incitera sans doute à trouver des expressions marquantes. Les utilisateurs pourraient formaliser des émojis sonores (« ouais ! », « bof ! », « super ! », etc.) pour commenter les minicasts qu’ils partageront et indiquer succinctement leur approbation ou leur réprobation. « Les médias pourraient aussi reprendre les opinions, commentaires et citations des minicasters à la télévision, à la radio et en ligne », note une dirigeante de Kieku.

Créé en 2016, Kieku suscite un intérêt certain en Finlande, or le pays de Nokia n’est pas manchot en matière de nouvelles technologies. Son avenir reste à écrire, bien sûr. Mais si les petits cochons ne le mangent pas, il pourrait devenir un acteur significatif dans le paysage des petites phrases.

MLS

Photo appli Android Kieku par Aatu Horus, Kieku