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28 novembre 2016

La petite phrase n’attend pas le nombre des années

Avis aux jeunes hommes politiques ambitieux : il n’est pas nécessaire de parvenir aux plus hautes responsabilités avant de prononcer des petites phrases impérissables.

Certes, une petite phrase ne se diffuse et n’est retenue par le public que si elle répond à certaines conditions. Celles-ci tiennent entre autres à son contexte. Et l’un des éléments majeurs du contexte est la personnalité de son auteur. Mais cette personnalité peut s’affirmer a posteriori. Il n’est pas indispensable d’être déjà très puissant ou très célèbre au jour de la petite phrase. Voici quelques exemples de petites phrases devenues des citations historiques et parvenues jusqu’à nous.

  • Jésus avait 33 ans quand il a dit « Rendez à César ce qui est à César »[i]. Il dirigeait une petite
    secte minoritaire et contestée dans une province reculée de l’empire romain. Moins d’une semaine plus tard, il serait condamné à mort et exécuté.
  • Henri IV avait 36 ans quand il a dit « Ralliez-vous à mon panache blanc »[ii]. Il avait été désigné par Henri III comme son successeur neuf mois plus tôt mais la Ligue contestait sa légitimité par les armes avec le soutien de l’Espagne. Il lui faudra des années pour en venir à bout et se faire sacrer roi.
  • Louis XIV avait 17 ans quand il a dit « L’État c’est moi »[iii]. Couronné depuis une douzaine d’années déjà, il venait de voir son trône ébranlé par la Fronde et la situation du royaume était mauvaise. Surtout, il était sous la tutelle effective du cardinal Mazarin.
  • Louis Antoine de Saint-Just avait 26 ans quand il a dit « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté »[iv]. Élu au Comité de salut public, il n’avait guère d’autre titre à faire valoir que sa ferveur révolutionnaire. Quelques mois plus tard, au 9 thermidor, elle lui coûterait sa tête.
  • Bonaparte avait 28 ans quand il a dit « Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ». Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, sans doute, mais il n’était encore que commandant de l’armée française d’Orient dans une Première république où une carrière était à la merci d’un coup de sabre.
  • Martin Luther King avait 33 ans quand il a dit « I have a dream »[v]. Jeune pasteur baptiste remarqué pour son militantisme en faveur des droits civiques, il avait le soutien du président John F. Kennedy, mais ce dernier allait être assassiné moins de trois mois plus tard.
  • Valéry Giscard d’Estaing avait 48 ans quand il a dit « Vous n’avez pas le monopole du cœur »[vi]. Il était ministre de l’Économie et candidat à la présidence de la République, mais quinze jours plus tôt encore, rares étaient ceux qui lui donnaient une chance face à François Mitterrand et Jacques Chaban-Delmas.

Michel Le Séac'h


[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 64.
[ii] Idem, p. 29.
[iii] Ibid., p. 43.
[iv] Ibid., p. 62.
[v] Ibid., p. 115.
[vi] Ibid., p. 109.

Illustration : Jésus chassant les marchands du temple (extrait) par Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, musée des Beaux-arts de Rennes, domaine public via Wikimedia

18 octobre 2015

« Ralliez-vous à mon panache blanc » : une leçon de leadership en six mots

Si l’on me demande quelle est ma préférée parmi les petites phrases analysées dans mon livre*, je réponds que j’ai un faible pour : « Ralliez-vous à mon panache blanc ».

Le 15 mars 1590, Henri iv affronte à Ivry une armée catholique bien supérieure en nombre. Avant la bataille, il donne ses dernières instructions à ses soldats : si dans le tumulte de la bataille ils ne savent que faire, qu’ils le cherchent des yeux et fassent comme lui. « Ralliez-vous à mon panache blanc ! » conclut-il en baissant la visière de son casque.

La force de cette formule réside d’abord dans son évocation visuelle : on imagine les troupes tournoyant autour d’une cascade de plumes de cygne. Or, si le panache désigne Henri iv à ses soldats, il le désigne aussi à l’ennemi. Le mot prend avec lui son sens figuré : il ne désigne plus seulement le plumet mais la bravoure. En six mot seulement, Henri iv délivre une leçon de leadership : le vrai chef montre l’exemple, il paie de sa personne.

Et ce n’est pas tout ! « Ralliement » signifie regroupement mais aussi changement de camp. « Ralliez-vous à mon panache blanc » peut être compris comme une formule d’ouverture, une offre d’apaisement. Il n’est pas question ici de soumission à une personne mais de consentement à l’union autour d’un symbole sacerdotal : le blanc est la couleur traditionnelle de la fonction souveraine en Occident. La formule d’Ivry présage l’édit de Nantes et la fin de la guerre civile.

Enfin, la petite phrase d’Henri iv est riche en références historiques. Le panache du roi apparaît pour la première fois sous la plume du poète-ambassadeur Guillaume du Bartas, mort peu après la bataille (on n’est pas certain qu’il y ait participé), sous la forme suivante :
Un horrible panache / Ombrage sa salade
Une « salade » était un casque de forme ronde. Plus intéressant est l’horrible panache (c’est-à-dire, dans le français de l’époque, le panache effrayant). Il rappelle clairement le portrait d’Hector dans les traductions anciennes de L’Iliade : « L’orgueil est sur son front, un horrible panache flotte sur sa tête ; sous lui, une jeunesse intrépide appelle le carnage et la mort. »

Depuis les débuts de la Renaissance, Homère, « prince des poètes », jouit d’un prestige immense. En 1572, Ronsard a marché sur ses traces en publiant les premiers chants de La Franciade. Il y attribue la création de la France à un Troyen nommé Francion, ou Francus**. Or Francion est le fils d’Hector ! Son « horrible panache » dépeint Henri iv comme le descendant à la fois de l’un des plus prestigieux héros de l’Antiquité grecque et du fondateur de la monarchie française, il légitime son titre royal.

D’épopée en épopée, Voltaire s’emparera à son tour du panache d’Henri iv dans La Henriade. Puis les royalistes et légitimistes le brandiront après la Révolution. Le roi qu’ils réclament au 19e siècle, le comte de Chambord, porterait lui aussi le nom d’Henri. Leur insistance agace même Chateaubriand, pourtant monarchiste lui-même, qui refuse d’apparaître comme un « un rabâcheur de panache blanc et de lieux communs à la Henri iv »***.

Allez donc chercher dans les déclarations des hommes politiques contemporains des petites phrases aussi chargées de sens que celle-là !

Michel Le Séac'h
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** Ronsard a évoqué le panache d’Hector dans son sonnet Jamais Hector aux guerres n'était lâche. Dans La Franciade, il décrit aussi un héros « qui d’un panache ombrage son armet » ; il s’agit de Charles Martel.
*** François-René de Chateaubriand, De la Restauration et de la monarchie élective, Paris, Le Normant fils, 1831, p. 28.

Henri iv par Frans Pourbus Le Jeune, domaine public