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26 avril 2022

Les « illettrées de Gad », la petite phrase qui a présidentialisé Emmanuel Macron

Emmanuel Macron poursuit donc son parcours politique phénoménal – mais où ce parcours a-t-il commencé ? Pierre Leroux et Philippe Riutort le décrivent d’abord comme une célébrité obtenue de longue date, et pas seulement sur le terrain purement politique : « la visibilité d’Emmanuel Macron s’est construite à travers une exposition médiatique intense, variée et très individualisée qui débute bien avant que [son] entreprise politique (…) soit visible et officialisée »(1).

Ses chances initiales d’accéder au pouvoir étaient « très faibles », estiment Leroux et Riutort, et « la plus grande partie du travail de mise en visibilité dont il a été l’objet a répondu à des logiques extérieures à sa personne et à son travail proprement politique ». Les particularités de sa vie personnelle intéressent la presse people dès sa nomination comme secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2012. Ce décalage est finalement un avantage, selon les deux auteurs : « dans la période qui précède la campagne présidentielle proprement dite, Emmanuel Macron n’a pas été, comme ses concurrents, soumis à un contrôle de la conformité de ses prises de positions au lourd catalogue référentiel politique d’un camp ou d’un parti. Il a pu se laisser porter par l’intérêt positif des médias sans le contrarier et éventuellement en l’exploitant. »

« En fin de compte, nul ne sait quand a commencé la campagne d’Emmanuel Macron », concèdent donc Leroux et Riutort. Notons cependant que son arrivée au ministère de l’Économie le 26 août 2014 l’avait inscrit nettement dans le champ politique. Sans garantir la suite pour autant. Il avait 36 ans ; Laurent Fabius nommé ministre du Budget à 34 ans et Premier ministre à 37 ans, n’a pu assouvir ses ambitions élyséennes.

De la célébrité à la présidentiabilité

Mais sa nomination a mis Emmanuel Macron sous les projecteurs, lui donnant l’occasion d’une petite phrase – involontaire sans doute, remarquable sûrement. Interrogé par Europe 1 quelques jours plus tard, il parle du coût du permis de conduire. Cela le conduit, de fil en aiguille, à l’un de ses dossiers brûlants : Gad, un gros abattoir breton en difficulté. « Il y a dans cet abattoir une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées », déclare-t-il. « On leur explique qu’elles n’ont plus d’avenir à Gad et qu’elles doivent aller travailler à 60 km. Ces gens-là n’ont pas le permis de conduire. On va leur dire quoi ? »

  • Première malchance : l’attention ne se concentre pas sur le sujet évoqué, ni sur le souci social et technocratique qui inspire le ministre, mais sur un mot extrait de sa déclaration, l’adjectif « illettrées ». Il suscite un tollé immédiat parmi le personnel de Gad (pas plus illettré que la moyenne nationale au demeurant).
  • Deuxième malchance : le même jour, dans l’après-midi, Emmanuel Macron se rend à l’Assemblée nationale pour la première fois en tant que ministre. L’opposition s’empare à grand tapage du thème qu’il vient de lui offrir. La presse et les réseaux sociaux emboîtent le pas. De nombreuses personnalités bretonnes s’indignent.
  • Troisième malchance : quelques jours plus tôt, Valérie Trierweiler a publié Merci pour ce moment, où elle règle ses comptes avec son ancien amant, François Hollande. « Le président n’aime pas les pauvres », y assure-t-elle. « Lui, l’homme de gauche, dit en privé ‘’les sans dents’’, très fier de son trait d’humour ». Le président de la République dément, l’expression demeure néanmoins. « L' expression ‘’sans-dents’’ fait partie de ces petites phrases qui restent associées aux grandes figures politiques », assure encore aujourd’hui Wikipedia. Les « illettrées » et les « sans-dents », le président et son ministre, font bien la paire. Thomas Raguet a analysé les deux formules ensemble, comme représentatives de deux personnages de gauche, dans le documentaire « Petites phrases, grandes conséquences » diffusé sur LCP en février 2021 (avec pour contreparties de droite « le bruit et l’odeur » de Jacques Chirac et le « nettoyage au Kärcher » de Nicolas Sarkozy).

Une catastrophe absolue pour l’image du jeune ministre, donc ? Eh bien, ce n’est pas si sûr. Les réactions à sa formule lui assurent une visibilité. Mieux, elles attestent de son importance politique. Une phrase lambda ne devient « petite phrase » que parce qu’elle émane d’un haut personnage – et elle contribue réciproquement à sa notoriété. « Le leadership politique est toujours associé, d'une façon ou d'une autre, à la célébrité », souligne, au voisinage de Leroux et Riutort, le professeur Christian Le Bart, qui note expressément le rôle des petites phrases dans la célébrité d’Emmanuel Macron(2). Les réactions des députés et de la presse valent pour lui brevet d’importance politique. Mieux encore : ses propos sont rapprochés de ceux du chef de l’État, échelle de comparaison qui fait de lui un présidentiable potentiel.

Et puis, le tapage inspire la presse. Quand elle tient un sujet, elle l’exploite. Désormais, mue par le biais de confirmation, elle recherche dans les propos du ministre d’autres traces de son mépris pour le peuple. Et elle ne tarde pas à en trouver, à nouveau condensées dans des petites phrases : « le bus pourra bénéficier aux pauvres », « il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », « la vie d’un entrepreneur est souvent plus dure que celle d’un salarié », « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler », etc. Les réseaux sociaux, prompts à s’emparer de tout motif d’indignation, sont sur la même ligne. On parle du ministre. En mal, mais on en parle.

Emmanuel le méprisant

Les « illettrées de Gad » sont en quelque sorte l’« Alea jacta est » d’Emmanuel Macron(3). Avec son adjectif malheureux, il a franchi par inadvertance un Rubicon invisible. En s’en prenant aux pauvres, il a violé un tabou social. Et il a révélé un trait de caractère fondamental, réel ou supposé : il est méprisant. Cela lui confère un positionnement à part dans un champ politique où l’on veille ardemment à camoufler tout sentiment de cet ordre sous des précautions oratoires.

Mais toute publicité est-elle bonne à prendre ? Le mépris n’est-il pas un vice rédhibitoire pour un homme politique ? Les sondages de ces dernières semaines engagent à ne pas répondre oui trop vite. Ceux qui pourraient envisager qu’il y ait de la haine sociale chez certains électeurs de Jean-Luc Mélenchon ou du racisme chez certains électeurs de Marine Le Pen ne pourront pas exclure qu’un sentiment de mépris envers le peuple ne trouble pas le cœur de cible électoral d’Emmanuel Macron.

Michel Le Séac’h


(1) Pierre Leroux et Philippe Riutort,« Construire la célébrité en politique : la "pré-campagne" d'Emmanuel Macron », chap. 7 de Selfies & stars: Politique et culture de la célébrité en France et en Amérique du Nord, dir. François Hourmant, Mireille Lalancette et Pierre Leroux, Rennes, PUR, 2019.

(2) Christian Le Bart, « La fabrique des personnalités politiques », chap. 2 de Selfies & stars: Politique et culture de la célébrité en France et en Amérique du Nord, dir. François Hourmant, Mireille Lalancette et Pierre Leroux, Rennes, PUR, 2019.

(3) Michel Le Séac’h, Les petites phrases d’Emmanuel Macron, Paris, Librinova, 2022.

Photo d’Emmanuel Macron : OFFICIAL LEWEB PHOTOSFlickrcc-by-2.0.

20 avril 2022

Débat Macron–Le Pen : petite phrase ou programme ?

Avant le débat télévisé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ce 20 avril, une grande partie de la presse revient sur les débats d’entre-deux-tours précédents. Un article d’Olivier Bénis et Noémie Lair (France Inter, 18 avril) résume l’esprit général : « Petites phrases, grands moments : ces scènes qui ont marqué les débats d'entre-deux-tours de la présidentielle ».

Les petites phrases, journalistes et hommes politiques affectent de les mépriser. Pourtant, le fait est que ce sont elles qui marquent ces débats. Elles s’inscrivent durablement dans le paysage politique français. « Vous n’avez pas le monopole du cœur »(1) : la riposte de Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand en 1974 est restée fameuse. Certains lui attribuent même la victoire électorale du premier sur le second !

On n’a pas oublié non plus :

  • « C’est quand même ennuyeux que vous soyez devenu l’homme du passif » de François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing, 1981
  • «Vous avez tout à fait raison monsieur le Premier ministre», de François Mitterrand à Jacques Chirac, 1988
  • « Mieux vaut cinq ans avec Jospin que sept ans avec Chirac », de Lionel Jospin à Jacques Chirac, 1995
  • « Non, je ne me calmerai pas », de Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy, 2007
  • « Moi président », de François Hollande à Nicolas Sarkozy, 2012 (2)

Toutes ces sorties ont été qualifiées de « petites phrases » par une partie de la presse. Elles ne portent pas sur des programmes de gouvernement. Avec elles, l’affrontement entre deux responsables politiques se situe sur le terrain du caractère et du comportement. Le programme est sans doute un exercice de style incontournable. Mais il fait un peu penser à la ballade du duel de Cyrano de Bergerac. Ce qu’on en retient au bout du compte, c’est « À la fin de l’envoi, je touche » !

On note que les petites phrases les plus marquantes ne viennent pas forcément du vainqueur de l’élection. Mais elles sont une sorte de bilan du duel : c’est là qu’Untel a « gagné », c’est là qu’Unetelle a « perdu ». Sans qu’il soit besoin de comparer rationnellement des programmes, la petite phrase s’impose d’elle-même, « faisant comprendre aux journalistes, aux états-majors et à la France entière que l’élection était presque gagnée ou quasiment perdue »(3).

Ce genre de petites phrases ne date sûrement pas de l’apparition de la télévision. Celle-ci a seulement permis à des nations entières d’assister aux empoignades verbales. Comme des tribus paléolithiques assemblées autour de deux prétendants. On peut y voir un retour en arrière. Ou l’expression d’une réalité de tous les temps : le leadership est affaire de personnes et non de programmes. (Et, puisque dans l’espèce humaine, l’alpha est généralement un mâle, les femmes sont sans doute désavantagées dans cet exercice.)

Michel Le Séac’h

(1) Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 109.

(2) Idem, p. 59.

(3) Sorj Chalandon, « Des hauts et débats », Le Canard enchaîné, 6 janvier 2021.

Illustration : Clard, Pixabay

16 février 2021

« Petites phrases, grandes conséquences » : François Hollande et Emmanuel Macron au crible de LCP

Après la droite (des citations de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy), la gauche : LCP est revenu lundi 15 février sur des petites phrases de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Ce deuxième volet est intitulé « La gauche contre le peuple ». « Si le protégé a trahi son mentor, tous deux ont en commun d’avoir été pris en défaut par leurs petites phrases, accusés de mépris envers les plus pauvres », estime d’emblée le documentaire de Thomas Raguet.

La phrase de François Hollande est assez inhabituelle en son genre puisqu’on ne l’a jamais entendue dans la bouche de son auteur supposé. On ne la connaît que par un témoignage de son ex, Valérie Trierweiler, auteure de Merci pour ce moment (Les Arènes, 2014). Un livre que le documentaire présente comme « trois cents pages de règlement de comptes privés ». Cette phrase n’est d’ailleurs qu’une simple formule[1] : « les sans-dents ».

Pourquoi l’avoir tenue pour représentative de la pensée de François Hollande ? Pour accomplir les promesses du titre du documentaire, peut-être. « Moi je n’ai jamais entendu Hollande parler comme ça », affirme cependant Bernard Poignant. Ancien député socialiste du Finistère, il est sûrement, parmi les témoins du documentaire, celui qui connaît le mieux l’ancien chef de l’État.

Quant à la puissance de cette formule, elle ne fait aucun doute. Elle est bien expliquée par le sémiologue[2] Denis Bertrand : « l’expression ‘sans-dents’ a la force des expressions figuratives, c’est-à-dire qu’elle donne à voir. Elle énonce un thème, la pauvreté, non pas avec un concept comme la misère mais avec une image. » Une image qu’on peut comprendre de différentes manières : « la connotation, dans le contexte de François Hollande, c’est une connotation compassionnelle, alors que changée de contexte, ça devient une connotation méprisante ».

Le choix du mépris

Mais qui décide de la connotation d’une petite phrase ? « Si les mots ont été prononcés en privé, l’expression dans sa bouche est crédible », estime Thomas Raguet. Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po, va même plus loin : « si les leaders de gauche se mettent à parler comme ça, c’est peut-être pas par hasard ». Il évoque « une forme de mépris de classe », choisissant ainsi de confondre les deux « connotations » possibles de la phrase : la « connotation méprisante » appartiendrait directement à l’auteur de la petite phrase et pas seulement au public.

Centré sur les « sans-dents », le documentaire ne présente pas comme une petite phrase la citation a priori la plus fameuse de François Hollande : « mon ennemi, c’est la finance ». Il la considère comme un « programme ». Elle lui sert à contraster les intentions de la campagne présidentielle de 2012 et la formule propagée plus tard par Valérie Trierweiler. Il y aurait pourtant eu beaucoup à en dire, notamment pour sa déformation devenue presque systématique.

Car la déclaration exacte du candidat socialiste est : « Je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. ». Pourtant, même des experts s’y trompent. « On verra ce qu'il restera de cette expression : ‘mon ennemi, c’est la finance’ », note Pascal Perrineau, tandis que Marilyse Lebranchu, ancienne ministre, évoque « la fameuse phrase ‘mon ennemi, c’est la finance ». La mutation de l’adversaire en ennemi, notamment, aurait pu révéler beaucoup sur la mécanique intrinsèque des petites phrases.

Nous sommes tous des illettrées

Emmanuel Macron était en principe conscient de la force des mots. « J'arrive tout auréolé d'une réputation qui m'est faite dans la presse », déclarait-il à l’Assemblée nationale le 27 août 2014, le lendemain de sa nomination au ministère de l’Économie. « Jugez-moi sur les actes et sur les paroles. » Pour ce qui est d’être jugé sur des paroles, il a été servi. « À coups de petites phrases, il dresse le portrait d’une certaine France un pays de gaulois réfractaires où les jeunes devraient avoir comme ambition de devenir milliardaires plutôt qu’être enclins à la fainéantise », résume le documentaire.

Lequel, pourtant, s’intéresse principalement à un mot (plutôt qu’à une phrase au sens grammatical) bien éloigné de ce tableau : « illettrées ». Reçu par Europe 1, Emmanuel Macron évoque le cas de Gad, un gros abattoir breton en faillite. Plus de deux mille salariés risquent de perdre leur emploi : « il y a dans cet abattoir une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées ! On leur explique qu'elles n’ont plus d’avenir à Gad et qu’elles doivent aller travailler à 60 km ! Ces gens n'ont pas le permis ! On va leur dire quoi ? » Dans la bouche du technocrate qu’était encore Emmanuel Macron trois semaines plus tôt, c’est un constat (pas forcément exact, d’ailleurs) qui lui sert à illustrer les difficultés de sa tâche.

De la bouche du ministre, la formule est reçue tout différemment sur le terrain. « Moi j’ai ressenti comme un deuxième coup de bâton à un moment où on n’en avait pas besoin », déclare Olivier Le Bras, alors délégué syndical de Gad. Ses collègues sont sur la même ligne. Ils prennent la déclaration du ministre comme une offense personnelle : « il nous parle comme si on était des moins que rien », « il nous insulte presque », « des choses comme il a dit, ça ne se dit pas ». Ce sentiment se répand même au-delà du personnel de Gad. « Je suis d’ici », s’émeut Marylise Lebranchu. « Les deux pieds dans cette terre qui est très touchée par la crise de l’agro-alimentaire et de Gad en particulier. Le matin, j’entends cette phrase comme un coup énorme et pour moi un coup dans le dos. La phrase, elle est d’une violence inouïe. »

Là encore, c’est la collision entre ces deux « connotations » antagonistes qu’il aurait été intéressant d’analyser. Mais le documentaire préfère prendre la petite phrase dans un sens compatible avec son titre. « Il y a toute une vérité d’Emmanuel Macron qui se dit dans ses petites phrases », commente Pascal Perrineau d’un air entendu. « Je pense pas que ce soit volontaire, le fait qu’il sorte des petits trucs comme ça. Quoique… », soupèse avec plus de réserve une ancienne ouvrière de Gad, Joëlle Crenn.

Emmanuel Macron manque de métier

Quelques autres formules d’Emmanuel Macron (« la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler », « je traverse la rue, je vous trouve du travail », « on dépense un pognon dingue ») sont convoquées au passage pour parfaire le tableau d’un président « contre le peuple » ‑ c’est-à-dire pour parler de lui et non des petites phrases. À moins justement que ça ne soit la même chose...

Mais c’est Bernard Poignant qui reformule le mieux le problème d’Emmanuel Macron. « Erreur de jeunesse, si je puis dire » estime-t-il à propos des « illettrées ». « Un vieux de la vieille en politique n’aurait pas parlé comme ça. Il aurait dit : ‘dans cette entreprise que j’ai visitée il y a des gens qui sont attachés à leur travail qui le font avec un grand professionnalisme mais il y a un certain nombre pour qui il faudrait une formation complémentaire de ceci cela’. Mais le mot illettré ça donnait l’impression qu’il traitait une entreprise d’illettrée. Et… ah bien, ça lui revient dans la gueule, quoi. »

Et le vieux notable socialiste d’enfoncer le clou : « Emmanuel Macron, c’est quelqu’un qui n’a pas fait d’élection locale. On a tous connu ça quand on est élu local. Vous devez apprendre à leur parler, à ces personnes. Qu’est-ce qu’aurait fait un Mitterrand ? ‘Je vous comprends, jeune homme, je vous comprends – et à un conseiller : prenez note, écrivez-moi, je vous aiderai. Voilà. Parce que il y a du travail’. » Déprimante leçon : à défaut de régler les problèmes, la langue de bois évite qu’ils ne se retournent contre vous.

Débat

Le débat qui a suivi le documentaire s’est efforcé de quitter le terrain du commentaire politique pour revenir au sujet des petites phrases. Il associait Laurianne Rossi, députée LREM venue du P.S., Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof et Renaud Dély, éditorialiste à France Info. Ce dernier a contesté discrètement le choix des « sans-dents » pour caractériser François Hollande. « Mon ennemi c’est la finance » lui aurait paru plus représentatif. « C’est cet extrait qui va rester et le porte jusqu’à l’Élysée », estime-t-il. « C’est le marqueur qui va coller à François Hollande tout au long de son quinquennat… qui va en quelque sorte plomber le quinquennat, plutôt que les sans-dents qui est une phrase privée, une trahison personnelle. »

Bruno Cautrès a cherché à mieux qualifier la mécanique des petites phrases : « Ce que je trouve intéressant dans ces petites phrases, c’est leur côté performatif, comme disent les linguistes. La phrase fait exister les choses. » Il a aussi mis le doigt sur le sujet capital de l’intrication entre petite phrase et leader : « Mon hypothèse est que dans la crise des Gilets jaunes, le détonateur a été allumé en juillet quand Emmanuel Macron a dit : s’ils veulent un responsable qu’ils viennent me chercher. Comme aller chercher le roi à Versailles. »

Les deux parties du documentaire sont disponibles sur LCP jusqu’au 7 janvier 2023. Il sera intéressant de les revoir après l’élection présidentielle de 2022 !

Michel Le Séac’h

Illustration : capture partielle d’un écran LCP


[1] Au sens qu’Alice Krieg-Planque donne à ce mot ; voir « La notion de ‘’formule’’ en analyse du discours, Cadre théorique et méthodologique », Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté. 2009.

[2] Ainsi le documentaire le présente-t-il. On n’entrera pas dans le distinguo entre « sémiologue » et « sémioticien », mais Denis Bertrand est professeur de sémiotique générale à l’Université Paris VIII.

13 novembre 2017

Ce qu’ils disent vraiment, de Cécile Alduy (et ce qu’elle n’écrit pas vraiment)

Avant de commenter Ce qu’ils disent vraiment – les politiques pris aux mots, de Cécile Alduy, j’ai longuement tergiversé. Cet ouvrage paru au début de l’année et appuyé sur une grosse base de données de 1.300 textes politiques a été accueilli par des louanges à peu près unanimes. Pouvais-je décemment me montrer plus critique ? Car du point de vue qui m’intéresse, celui des petites phrases, le livre s’avère décevant.

Sauf omission, la locution « petite phrase » y figure quatre fois. Il n’ignore donc pas la catégorie mais lui accorde peu de place. Quatre fois en 400 pages : y a-t-il vraiment si peu de petites phrases dans ce que les politiques disent « vraiment » ? De plus, ces quatre occurrences donnent lieu systématiquement à des commentaires dépréciatifs :

  • Pour clarifier les enjeux et les termes du débat, il convient de dégager, derrière l’écume des petites phrases reprises par les journalistes, les structures profondes et la vision du monde et de la société française des principales figures qui façonnent le débat politique. (p. 17)
  • Ce livre […] entend éclairer [les campagnes électorales] en mettant au jour la logique profonde et les tendances lourdes de la paroles politique de ces dernières années, au delà des « coups de com’ » et petites phrases de campagne. (p. 20)
  • En lissant polémiques éphémères et variables contextuelles, cette étude entend dépasser l’écume des petites phrases médiatiques pour faire émerger les lames de fond qui ont traversé le champ politique français. (p. 21)
  • En fait, François Fillon est un identitaire calme : il a exactement les mêmes positions que Nicolas Sarkozy sur l’assimilation, sur la politique migratoire [...] mais il n’en fait ni une obsession, ni une priorité, ni un prétexte à petites phrases pour créer du « buzz » médiatique. » (p. 197)
Les petites phrases font une cinquième apparition sur la quatrième de couverture, reprise par les sites web de plusieurs libraires dont Amazon : « Cette enquête sémantique, stylistique et rhétorique dévoile derrière l’écume des petites phrases la structure profonde de la vision du monde des politiques. » La cause est donc entendue : si elles font bien partie du discours politique, les petites phrases ne sont qu’écume que le vent emporte. Délégitimées d’emblée, elles ne sont à aucun moment étudiées en tant que telles. Cécile Alduy ne précise même pas ce qu’elle entend par « petites phrases ».

Pour ma part, je me réfère volontiers à cette définition de l’Académie française : « Formule concise qui sous des dehors anodins vise à marquer les esprits ». Marquer les esprits, n’est-ce pas le but même du discours politique ? Et certains propos y parviennent. Qu’ont vraiment dit François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande ? Posée aujourd’hui à des électeurs moyens, une telle question ramènerait sans doute beaucoup de « laisser du temps au temps », d’« abracadabrantesque »(1), de « travailler plus pour gagner plus »(2), de « ça va mieux ». À ce compte-là, il serait à peine exagéré de dire que l’écume, ce serait plutôt tout ce qui n’est pas petite phrase !

Cécile Alduy n’est pourtant pas passée loin. Car si son travail a pour étendard une grosse base de données, elle voit bien qu’un comptage automatique des mots utilisés par les politiques n’est pas très instructif et que l’intérêt de son livre réside en réalité dans ce qu’elle appelle « une analyse discursive et littéraire fine », c’est-à-dire en fin de compte un commentaire de texte à l’ancienne – un peu convenu quelquefois, mais toujours avec élégance : la cafétéria de Stanford n’est pas le Café du Commerce. Le fait, par exemple, que le mot « liberté » soit le 12ème le plus employé par François Fillon, le 16ème par Marine Le Pen, le 40ème par Alain Juppé, le 51ème par François Hollande et le 199ème par Jean-Luc Mélenchon n’apprend pas grand chose en soi – sauf peut-être en ce qui concerne le dernier, mais Cécile Alduy, qui ne cache pas son admiration pour lui, conteste vivement qu’il éprouve « un penchant pour l’autoritarisme ».

Ce que le « ça va mieux » de François Hollande dit vraiment

À titre d’exemple de la rencontre ratée de justesse entre Cécile Alduy et les petites phrases, prenons le « ça va mieux » de François Hollande. Cette formule d’aspect anodin a marqué les esprits. Europe 1, Les Échos, Libération ou L’Obs, entre autre, l’ont explicitement qualifiée de « petite phrase ». Bien entendu, elle vole sous le seuil de détection des logiciels. Elle ne figure pas, et pour cause, dans la liste des substantifs les plus fréquents chez le candidat et le président Hollande (p. 256 du livre). Cécile Alduy s’est néanmoins penchée sur ce « ça va mieux » : « il ne pouvait que heurter de plein fouet le ressenti de nombreux Français », estime-t-elle. « Au lieu de prendre le pouls de la France, le président lui impose un ressenti qui n’est justement pas le sien au quotidien » (p. 252). Il « ne parle plus la langue de la gauche, ni celle de ses concitoyens » (p. 253). Autrement dit, « il n’est plus des nôtres », il est devenu un étranger. Il n’a pas été « pris aux mots », au contraire : ses mots n’ont pas pris.

Un autre pas de deux inachevé concerne François Fillon et sa célèbre question rhétorique : « Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ? ». Là encore, chez BFM TV, Marianne, Ouest France ou Le JDD, des commentateurs y ont vu explicitement une petite phrase, parfois qualifiée d’« assassine »  c’est dire quelle puissance on lui attribue. Cécile Alduy lui accorde de l'importance puisqu'elle la cite à trois reprises, p. 38, 56 et 192 de son livre (en trois versions et à deux dates différentes, mais là n'est pas l’important). Elle la présente chaque fois comme une attaque contre Nicolas Sarkozy, rejoignant ainsi la quasi-totalité des commentateurs. Or Nicolas Sarkozy n’est pas nommé dans cette phrase, ni autour d’elle. Ce que François Fillon a « vraiment » dit n’est pas ce qu’il a dit ! Les auditeurs ne l’ont pas « pris aux mots », ils l'ont pris aux sous-entendus. Il serait difficile de ne pas considérer cette sortie comme une petite phrase. Difficile aussi de soutenir qu'elle n'a été qu'une écume sans influence sur la campagne électorale. Il est vrai que Cécile Alduy n’a assisté qu’à la moitié de l’histoire : son livre est paru quelques jours avant que la mise en examen de François Fillon ne transforme la petite phrase assassine en petite phrase suicidaire.

Des sciences du langage aux sciences politiques

Dès l’introduction de son livre, Cécile Alduy fait une analyse du mot « burkini » qui contient des indices sur le fonctionnement des petites phrases. « Un mot, en politique, est toujours plus que ce qu’il dénote : il ‘signifie’ bien plus que la chose qu’il désigne », écrit-elle. Que signifie le mot burkini ? « Maillot de bain couvrant l’ensemble du corps et les cheveux », répond-elle. Non, cela, c’est justement « la chose qu’il désigne ». En réalité, concède-t-elle quelques lignes plus bas, il signifie « la présence et la visibilité de l’islam en France ». Le néologisme burkini, formé sur deux mots anodins, bikini et burqa, marque les esprits. Même prononcé seul, il peut avoir du sens. Tout comme le mot « détail », anodin parmi les anodins, signifie peu de choses isolément mais beaucoup plus quand on le rapproche de Jean-Marie Le Pen : il devient alors l’abréviation d’une petite phrase. Dans la bouche d’un homme politique, un seul « burkini » signifie probablement plus que mille « démocratie », mille « laïcité » ou mille « peuple », ce que les logiciels lexicographiques ne verront pas.

En définitive, une petite phrase est rarement détectable à l’état brut dans les mots des politiques, ne serait-ce que parce qu’elle est souvent involontaire. Elle ne marque les esprits qu’à partir du moment où elle est repérée comme telle et reprise par la presse et les médias sociaux. Répétée, elle est mémorisée. Il ne s’agit plus alors seulement de ce que les politique « disent vraiment » mais de ce qui en est compris et retenu (qui s’écarte souvent de ce qui a réellement été dit). Et c’est bien l’important dans un contexte de campagne électorale. Isolément, les sciences du langage sont myopes ; elles ne deviennent clairvoyantes qu’à partir du moment où elles donnent la main aux sciences politiques.

Michel Le Séac’h

Ce qu’ils disent vraiment – les politiques pris aux mots, de Cécile Alduy, Paris, Seuil, 2017. ISBN 978-2-02-131016-0. 400 pages, 21 €. Disponible en version numérique.
____________________
(1) Voir Michel Le Séac'h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 83.
(2) Idem, p. 66.

29 novembre 2016

Martine Aubry déteste les petites phrases – du moins celles des autres

La plus récente condamnation des petites phrases vient d’où on ne l’attendait pas : « Les petites phrases, c’est ce que je déteste », a déclaré Martine Aubry ce week-end. Organisatrice à Bondy d’un Carrefour des gauches et de l'écologie, elle faisait allusion à une déclaration de Claude Bartolone : « Je souhaite que Valls participe à la primaire, je souhaite que Hollande participe à la primaire ».

Telle était alors la tension supposée entre les deux premiers personnages de l’État que cette prise de position du quatrième ne pouvait que compliquer la situation. Agacée, la maire de Lille a commenté : « Il a le droit de dire ce qu'il veut, chacun a son opinion, les petites phrases c’est ce que je déteste, voilà, je n'envoie jamais des scud contre les gens, je me bats sur des idées, voilà. »

Martine Aubry et Claude Bartolone.
Mais c'était en 2011...
Admettre la liberté de parole tout en la contestant dans le même mouvement, n’est-ce pas l’occasion d’invoquer ce précepte fameux : « Quand c’est flou, il y a un loup » ? Il est de Martine Aubry elle-même ! Circonstance aggravante, il était dirigé contre… François Hollande. Candidats à la primaire de la gauche avant l’élection présidentielle de 2012, tous deux venaient de s’affronter dans un débat. Martine Aubry poursuivait le débat par médias interposés. « Je ne veux pas être dans la dévalorisation, je n'ai pas besoin, moi, de dénigrer, de dévaluer, de dénoncer », avait répondu François Hollande, qui lui aussi « n’envoie jamais de scud ».

Ce loup n’est pas une petite phrase unique dans la bouche de Martine Aubry, classée l'an dernier au 11e rang de notre palmarès des personnages politiques associés à une petite phrase. D’elle, on retient aussi :

  • « Que M. Blondel m'explique enfin sa position sur les 35 heures, je ne la sens pas. » (1998)
  • « Quand Nicolas Sarkozy nous donne des leçons de maîtrise budgétaire, c'est un peu M. Madoff qui administre quelques cours de comptabilité. » (2010)
  • « Mais oui mais bon, elle est un petit peu impatiente la Ségolène. » (2011)
  • « Macron ? Comment vous dire… ras-le-bol. » (2015)
  • « Je ne suis pas Monsieur Estrosi, je prends mes responsabilités. » (2016)
Faut-il voir dans ces petites phrases des débats d’idées qui volent haut ou des « scud contre les gens » qui volent bas ? La question peut en tout cas se poser.

Michel Le Séac’h
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24 octobre 2016

« Ça va mieux » : la petite phrase pas assez crédible de François Hollande

François Hollande est plus réputé pour ses petites blagues (« Gouverner c’est pleuvoir »….) que pour ses petites phrases[1]. Il s’essaie néanmoins à celles-ci. Gérard Davet et Fabrice Lhomme racontent dans Un président ne devrait pas dire ça… (Stock) la genèse de son « ça va mieux », qu’ils qualifient eux-mêmes de « petite phrase ». La formule date du 14 avril dernier. Le président de la République cherchait à défendre son bilan au cours de l’émission Dialogues citoyens sur France 2.

Ce n’était pas une parole en l’air : elle avait été pensée avec soin. Davet et Lhomme assurent que le président de François Hollande l’avait testée auprès d’eux dès le mois de juin 2015 puis, à quatre reprises, lors d’un même entretien en octobre 2015. « Avec le recul, il est permis de se demander si, bien involontairement, on ne lui a pas permis, ce jour-la, de synthétiser son discours positif en une formule », conjecturent-ils.

Ils reproduisent ensuite le commentaire livré par François Hollande lui-même : « Je ne l'improvise pas, je l'avais préparée, nous confirme-t-il quelques semaines plus tard. On dit : "Comment ça va ?" Et on répond : "ça va mieux." J'ai eu conscience que cela pouvait heurter, une formule comme celle-là, notamment pour beaucoup, la majorité peut-être, qui considèrent que ça ne va pas forcement mieux pour eux. Ce n’est pas "vous allez mieux", qui là aurait été inopportun, c'est "ça", quelque chose de plus global, de plus impersonnel. La politique, c'est un message. Un slogan Le meilleur slogan, c'est celui qu'on trouve tout seul, qui correspond à ce que l’on ressent. »

Une petite phrase sert à marquer les esprits. Tel était bien l’objectif de François Hollande, cité à nouveau par Davet et Lhomme : « Qu'est-ce qu'on retiendra de cette émission ? Le "ça va mieux", se félicite-t-il encore. Et le fait est que c'était un point de départ Ce que je voulais, c'est que cette émission corresponde à une séquence. » Mais avait-il vraiment lieu de s’en féliciter ?

Une petite phrase bien répétée mais mal acceptée

Pour qu’une petite phrase s’impose dans l’opinion, il faut d’abord qu’elle soit répétée. François Hollande le sait : dans les semaines suivantes, il a repris la sienne à plusieurs reprises, par exemple le 17 mai sur Europe 1, et l’a fait propager par ses proches et le parti socialiste. Cela n’a pas échappé à BFM TV, qui y a vu « une phrase-clé de la stratégie du Président » et même « le nouvel axe de campagne de François Hollande ».« Cette phrase s’est muée en leitmotiv gouvernemental », notait à son tour Europe 1 début septembre.

François Hollande a en revanche oublié une autre condition : pour qu’une petite phrase s’impose, il faut aussi qu’elle soit compatible avec l’état d’esprit du public. Comme le révèle son commentaire à Davet et Lhomme (voir plus haut), il savait que sa formule allait choquer. Il est quand même allé au casse-pipe la fleur au fusil ! La dissonance cognitive est fatale. Là était bien le défaut originel du « ça va mieux » : un sondage BVA révélait fin mai que 84 % des Français n’y croyaient pas. Peut-on à l’aide d’une petite phrase inverser un tel score, même avec l’aide de faits objectifs ? « Retrouver collectivement le goût de l'avenir, ce n'est pas dire aux Français qu'ils ont une perception fausse de leur présent », soulignait à juste titre Emmanuel Macron dans un entretien avec le Journal du Dimanche début septembre.

Il s’en est même fallu de peu que la petite phrase devienne une « petite antiphrase ». « La phrase "Ça va mieux" est-elle devenue un slogan contre le président de la République ? » demandait rhétoriquement Marie-Pierre Haddad sur le site de RTL. « Les Français ne sont pas de son avis. Quelques instants après son intervention à la télévision, le hashtag #Cavamieux est apparu sur les réseaux sociaux. La phrase a été détournée par les internautes qui se sont empressés de rappeler les débordements dus à la loi Travail avec la photo d'un CRS frappant au ventre une femme, mais aussi les chiffres du chômage. Fabrice Luchini qui se définit comme quelqu'un de "centre droit",  confie dans un entretien au Journal du Dimanche qu'"il faut qu'Hollande arrête de dire que ça va mieux, parce que les gens ne le vivent pas comme ça". »

Heureusement pour François Hollande, cet effet négatif n’a pas été très prononcé – tout simplement parce que sa petite phrase n’a guère été remarquée au-delà du cénacle des commentateurs politiques. Google Trends (ci-dessous) ne révèle qu’une faible hausse des recherches sur l’expression « ça va mieux » dans les semaines suivant le 14 avril, avec un point culminant seulement un mois plus tard et un net recul ensuite. Lui qui déplore n’avoir « pas eu de bol », il a plutôt eu de la chance de s’en tirer cette fois à si bon compte.


Michel Le Séac'h 


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, Paris, 2015, p. 59 s.

02 septembre 2016

Petites phrases et politique-fiction : Philippulus fait parler les présidentiables

Les petites phrases ont leur place dans la politique-fiction. Tout au long du mois d’août, Philippulus a imaginé dans Le Figaro les premiers jours du prochain président de la République. En plusieurs versions, selon l’identité de l’élu de 2017. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai. Il connaît sur le bout du doigt les milieux politiques. Il sait que les petites phrases sont un excellent moyen de renvoyer succinctement à une situation de référence à l’instar d’une image, une petite phrase vaut mille mots. Et ses spéculations présidentielles sont truffées de petites phrases, à commencer par le titre même de la série, « Eux présidents », dans lequel chacun reconnaît le « snowclone » d’une fameuse anaphore de François Hollande.

Au moins une autre forme de snowclone apparaît dans « Eux présidents ». Dominique de Villepin, usant d’un suffixe célèbre[1], écrit au nouveau président : « si le divin Arthur était toujours parmi nous, il écrirait que toute cela est époustouflantesque ! » Nommée premier ministre, Valérie Pécresse invoque une réplique culte d’un film de Michel Audiard : « on va leur faire comprendre qui c’est, Raoul ! ».

Car Philippulus ne fait pas toujours dans la dentelle. Dès son premier scénario, celui de l’élection de Marine Le Pen, il rappelle la « forte phrase » de Jacques Chirac à propos de Margaret Thatcher : « Qu’est-ce qu’elle veut encore, cette ménagère, mes couilles sur un plateau ? ». Une fois élu, son Bruno Le Maire invoque des formules gaullistes : « Le quarteron. Le ‘Hélas, Hélas, Hélas !’, puis le ‘J’ai besoin de vous’. » Bernard Cazeneuve festoyant à La Lanterne avec Valls à peine élu, cite Mitterrand : « Le centre n’est ni de gauche… ni de gauche ! »

Évidemment, Philippulus ne se contente pas de citations. Imaginant les déclarations à venir du personnel politique, il s’en donne à cœur joie. Quelques exemples :
  • Jean-Louis Borloo : « les bourgeois bohèmes sont au mieux des niais, au pire de sinistres cons ».
  • Montebourg : « mon ennemi a un visage et il porte des lunettes. Mon ennemi, c’est François Hollande ».
  • Valls : « Allons-y pour le grand charivari ! »
  • Bruno Le Maire : « Nicolas qui, dites-vous ? »
Et François Hollande ? Philippulus ne paraît pas le tenir pas en haute estime. À défaut de petite phrase, il lui attribue une « petite blague », ce qui n’est pas du tout la même chose, adressée à un Montebourg élu : « Toi qui n’aimes pas les Allemands, j’espère que tu ne vas pas bombarder Berlin ». Il le fait s’auto-caricaturer, aussi, dans un discours de non-candidature « en se lançant dans une interminable anaphore qui le vit répéter vingt-cinq fois ‘Moi plus président…’ ». Certes, quand le président battu doit laisser sa place à Marine Le Pen, il demande à son « amie de cœur » : « penses-tu que je doive préparer une phrase historique pour bien marquer l'énormité du moment ? ». Mais cette question ne vient qu’en second, après « À ton avis, comment dois-je m'habiller ? »



[1] Voir « Abracadabrantesque » in Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles 2015.

17 novembre 2015

« La France est en guerre » : François Hollande frappe plus fort que Manuel Valls

Entre les attentats du 13 novembre et le discours de François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès, près de soixante heures se sont écoulées : les assistants du président de la République ont eu le temps nécessaire pour calibrer son intervention. L’incipit de cette adresse, « La France est en guerre », a donc été soupesé et choisi avec soin. Étant donné la solennité de son contexte, la certitude qu’il serait abondamment repris par les médias et l’état d’émotion de l’opinion publique, il avait tout pour marquer les esprits. En d’autres termes, pour devenir une « petite phrase ».

Alors, pourquoi avoir choisi une formule aussi forte* que « La France est en guerre » ? Le président de la République avait déjà employé le mot « guerre » samedi 14, au sortir d’un conseil de défense : «  c'est un acte de guerre qui a été préparé, organisé, planifié de l’extérieur et avec des complicités intérieures que l’enquête permettra d'établir ». Mais il plaçait ainsi la France dans le rôle passif d’une victime, non dans celui d’un belligérant.

Déjà, cette formule n’était pas sans risque : les communicants du président de la République en étaient sûrement conscients, elle rappelait très fort celle de George W. Bush devant le Congrès américain le 20 septembre 2001 : « le 11 septembre, des ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays » ‑ un acte de guerre lui aussi planifié de l’extérieur. Être comparé à George W. Bush n’est probablement pas un impératif prioritaire pour un président socialiste.

G.W. Bush avait réagi à l’attaque du 11 septembre en déclarant la « guerre contre la terreur ». Dès le 16 novembre François Hollande a accentué le parallélisme en déclarant « La France est en guerre ». Outre le risque de comparaison, la formule ouvrait un risque de polémique politique intérieure. Déclarer la France en guerre, et devant le Parlement encore, revenait à piétiner symboliquement l’article 35 de la Constitution : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Pourquoi avoir choisi d’ouvrir un discours aussi solennel par une phrase aussi extrême que « La France est en guerre » ?

Selon certains commentateurs, la formule du 14 novembre («  c'est un acte de guerre qui a été préparé… », etc.) aurait été imposée par Manuel Valls. Le Premier ministre avait en tout cas saisi la balle au bond au 20H de TF1 le soir même : « Ce que je veux dire aux Français, c’est que nous sommes en guerre. Le président de la République l’a dit avec force ce matin. Oui, nous sommes en guerre. », etc. Une déclaration autrement plus martiale que celle de François Hollande le même jour.

Il est probable que les sondeurs de l’Élysée se sont penchés le 15 novembre sur l’impact respectif des deux déclarations du 14. Depuis des mois déjà, les communicants de François Hollande étaient conscients que l’état de guerre pouvait être pour lui une planche de salut électorale. Même l’opposition le reconnaissait. « Décrié et souvent indéchiffrable sur le front intérieur, François Hollande recueille l'approbation pour sa détermination lorsqu'il endosse l'uniforme du chef de guerre » écrivait ainsi Alain Barluet dans Le Figaro en octobre 2014. Il était impossible d’abandonner ce terrain au Premier ministre. À Versailles, François Hollande a montré que le chef de guerre, c’est lui.

Michel Le Séac'h
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* ...et chargée d'un sens plus large encore, comme il sied à une petite phrase. « "La France est en guerre." C'est par ces mots, dont la froide simplicité n'est pas proportionnelle à la lourde charge qu'ils portent, que Hollande, sàolennel, a débuté son allocution devant le Congrès », note ainsi Erik Emptaz à la Une du Canard enchaîné ce mercredi [note ajoutée le 18 novembre].

Photo François Hollande en 2012 : Toufik-de-planoiseWikimedia CommonsCC-BY-SA-3.0

19 septembre 2015

Les hommes politiques les plus souvent associés à une petite phrase

Qui sont les hommes politiques les plus souvent associés à l’expression « petite phrase » par les moteurs de recherche ? Pour s’en faire une idée, voici les résultats d’une recherche effectuée le 18 septembre. Le classement est établi sur la base des résultats de Google pour un échantillon de personnages politiques contemporains (« petite phrase » + prénom et nom du personnage concerné). On note une relative cohérence du classement relatif d’un moteur de recherche à l’autre. Seuls le score de François Hollande sur Bing et ceux d’Emmanuel Macron et de Ségolène Royal sur Exalead étonnent vraiment, sans qu’on puisse les expliquer.

Cette petite compilation n’a rien de scientifique bien sûr. Elle ne dit pas si les personnages répertoriés sont cités comme auteurs ou comme victimes de petites phrases, ou même si deux sujets sans rapport entre eux voisinaient sur une même page web. Elle ne distingue pas les citations originales et les reprises, et pas davantage la tonalité des commentaires. Etc. Elle répond juste à la question qui ouvre ce billet.

D’après ce classement, Marine Le Pen dépasse son père et Emmanuel Macron a fait un démarrage fracassant. Car l’ancienneté joue logiquement un rôle : ainsi, Jacques Chirac figure encore à un rang élevé alors qu’il est retiré de la vie publique depuis des années. Si François Mitterrand figurait dans ce classement, il se situerait entre Jean-Marie Le Pen et Laurent Fabius alors qu’il est mort en 1996, à une époque où l’internet commençait à peine à toucher le grand public. Le général de Gaulle lui-même, disparu en 1969, s’intercalerait entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.

Google
Bing
Exalead
Nicolas Sarkozy
86100
19500
12138
François Hollande
83700
33600
8179
Manuel Valls
51500
12500
3163
Marine Le Pen
44100
12700
2478
Ségolène Royal
39400
12900
3822
Jacques Chirac
31900
14000
1642
Jean-Marie Le Pen
26300
12100
1038
Laurent Fabius
24500
10400
1193
Alain Juppé
24300
12900
1206
François Fillon
24000
8800
2034
Martine Aubry
19200
9380
2228
Emmanuel Macron
19000
10800
344
Jean-Luc Mélenchon
17400
6560
1276
François Bayrou
14900
6470
1285
Cécile Duflot
12800
5000
814