Affichage des articles dont le libellé est Donald Trump. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Donald Trump. Afficher tous les articles

17 avril 2023

Emmanuel Macron et Taiwan : pas vraiment une petite phrase

L’interview donnée par Emmanuel Macron aux Échos dans l’avion qui le ramenait de Chine, le 9 avril, a suscité des réactions abondantes, en France et dans le monde. Une phrase en particulier, à propos des tensions entre Américains et Chinois autour de Taiwan, y a été ciblée :

« La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. »

Cependant, les médias qui la rangent dans la catégorie « petite phrase » ne sont pas nombreux. On peut citer :

  • La Croix : « de nouveau une petite phrase qui fait polémique »
  • Cnews : « cette petite phrase d’Emmanuel Macron qui provoque la colère de ses partenaires occidentaux »
  • 20 minutes : « après avoir secoué l’Occident, la petite phrase d’Emmanuel Macron sur Taïwan est applaudie en Chine »
  • Valeurs actuelles : « la polémique gonfle autour d’une petite phrase glissée par Emmanuel Macron dans une interview aux Échos, le 9 avril »

À l’étranger, la RTBF évoque aussi dans une revue de presse « Emmanuel Macron et la petite phrase qui fâche ».

Plusieurs médias rappellent l’étrange propension du président de la République à effectuer des déclarations controversées lors de ses voyages à l’étranger. Mais cette fois la controverse a lieu plus à l’étranger qu’en France même.

La question des retraites accapare toujours l’opinion. La déclaration elle-même manque des caractéristiques qui font les petites phrases notables. Elle est longue (27 mots), elle contient des mots complexes et allusifs (suiviste, surréaction), elle est au conditionnel, elle concerne des pays lointains et elle ne s’adresse pas aux Français mais aux Européens. Elle est peu reprise sur les médias sociaux, sauf au second degré, pour évoquer une parenté avec certaines déclarations du général de Gaulle ou pour souligner les réactions hostiles enregistrées à l’étranger.

Google Trends révèle que les recherches sur Macron + Taiwan ne sont pas à leur maximum le 10 avril, après la parution de l’article en France, mais le 11 et le 12, lorsque sont connues les réactions à l’étranger. Le 12 avril, les recherches sur Macron + Trump sont même plus nombreuses que celle sur Macron + Taiwan. Interrogé par Fox News à propos de la déclaration du président français, Donald Trump vient de lâcher : « he is licking China’s ass » (il lèche le cul de la Chine) ! Une petite phrase, pour le coup, ignorée par l’essentiel de la presse américaine mais largement citée en France, par Le Figaro, Le Point, Le Parisien, RTL, Sud Ouest, etc. La France montre en l’occurrence une certaine propension à s’adapter au « rythme américain »… Cependant, l’intérêt pour le sujet disparaît en quelques jours (cf. copie d’écran)

Cette déclaration, qu’on pourrait considérer comme la plus importante jamais prononcée par Emmanuel Macron en matière de politique internationale, aura sans doute moins marqué sa carrière présidentielle en France que les « Gaulois réfractaires » ou le « pognon dingue ». Elle dit quand même quelque chose du rapport entre le président et les Français : récupérer un leadership perdu n’est sûrement pas une mince affaire.

Michel Le Séac'h

25 janvier 2022

« Stupid son of a bitch » : Joe Biden se lâche… une fois de plus

On vantait la pondération de Joe Biden face à Donald Trump. Ce lundi, hélas, le président américain a publiquement insulté un journaliste de Fox News, Peter Doocy, qui lui posait une question dérangeante. Il l’a traité de « stupid son of a bitch », soit à peu près « stupide fils de pute ». Et face caméra, en plus, ce qui a permis à la vidéo de faire le tour du monde !

Joe Biden croyait son micro coupé, suggère la presse bienveillante, y compris en France. De toute évidence, il n’en était rien puisqu’il venait de répondre à la question posée ; il a ajouté l’injure comme une réflexion entre ses dents, mais audible ! Libération rapproche l’incident du « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » d’Emmanuel Macron et plaisante sur le syndrome Gilles de La Tourette.

La pondération de Joe Biden tranche avec le caractère émulsif de son prédécesseur. Mais ce pondéré est depuis longtemps qualifié, y compris par lui-même[i], de « machine à gaffes » (blunder machine). « Deux cents millions d'Américains sont morts du covid-19 », lâchait-il par exemple en septembre 2020, pendant sa campagne présidentielle. Avant d’affirmer, le mois suivant : « Nous avons mis en place, l’organisation de fraude électorale la plus grande et la plus complète dans l’histoire de la politique américaine. » (Comment s’étonner que tant d’Américains croient l’élection truquée, si même le président le dit ?)

Il avait fait encore mieux lors des primaires démocrates pour l’élection présidentielle de 2008. À propos de son adversaire Barack Obama, encore peu connu à l’époque, il avait déclaré : « Voilà le premier Afro-Américain ordinaire qui soit éloquent, brillant, propre et sympathique » (« you got the first mainstream African-American who is articulate and bright and clean and a nice-looking guy »)[ii]. Obama, magnanime, avait accepté ses excuses : entre eux, le match était plié avant d’avoir commencé. Et Biden était finalement devenu le vice-président d’Obama.

Bidenisms

Il n’avait pas molli quand leur ticket avait été candidat à sa réélection en 2012. Dans un discours de campagne, il s’était référé à une petite phrase célèbre du président Theodore Roosevelt : « Parle doucement et munis-toi d’un gros bâton » (« speak softly and carry a big stick »). Et il avait ajouté, parlant d’Obama : « Je vous promets que le président a un gros bâton » (« I promise you the President has a big stick »). La connotation sexuelle de la promesse avait provoqué l’hilarité des spectateurs[iii]. Et Obama avait été réélu.

Parmi les nombreux livres consacrés au 46ème président des États-Unis, une dizaine portent expressément sur ses bévues, les bidenisms. Ils en répertorient jusqu’à quatre cents.

Bref, business as usual ? L’incident est clos, dit Peter Doocy, qui a reçu un coup de fil du président un peu plus tard : « J’apprécie que le président ait pris deux ou trois minutes ce soir pour m’appeler et régler le problème. »

Enseignements induits

L’incident a toutefois illustré le rôle militant que la presse peut jouer dans la gestion de l’après-petite phrase. Le New York Times a brièvement rendu compte de l’incident et a aussitôt rebondi sur une liste de « méfaits » du camp républicain. Dont un commentaire négatif de George Bush à propos d’un journaliste de son époque, devant un micro resté ouvert, en 2020. Et bien entendu quelques épithètes de Donald Trump (« disgrace », « loser »…), pas trop difficiles à dénicher.

Peut-être aussi constatera-t-on avec le recul du temps qu’une petite phrase peut en cacher une autre. Voici l’échange exact entre Peter Doocy et Joe Biden :

‑ Do you think inflation is a political liability going into the midterms ? (« Considérez-vous l’inflation comme un handicap politique à l’approche des élections de mi-mandat ? »)
‑ No, it's a great asset. More inflation. You stupid son of a bitch. (« Non, c’est un gros atout. Davantage d’inflation. Stupide fils de pute. »)

L’insulte a détourné l’attention de l’inflation. Joe Biden venait de subir sans broncher les questions d’autres journalistes sur la situation en Ukraine. Mais ce qui l’a fait sortir de ses gonds est une question sur l’économie.

Michel Le Séac’h

Illustration : extrait d’une vidéo Fox News, https://www.youtube.com/watch?v=4fiQhGjC0cs


[i] Aahmer Madhani et Stephen Gruber-Miller, « Joe Biden is a self-described 'gaffe machine.' So far, Democratic voters don't seem to mind », USA Today, 6 septembre 2019, https://eu.usatoday.com/story/news/politics/elections/2019/09/06/2020-democrats-joe-biden-prone-gaffes-but-doesnt-seem-voters-care/2225251001/, consulté le 23 juillet 2021.

[ii] Xuan Thai et Ted Barrett, « Biden's description of Obama draws scrutiny », CNN, 9 février 2007, consulté le 23 juillet 2021.

[iii] « Biden assures voters Obama "has a big stick" », CBS, 27 avril 2012. Voir https://www.youtube.com/watch?v=rrmbsKW0d7c, consulté le 23 juillet 2021.

23 février 2020

Je twitte donc je suis – L’art de gouverner selon Donald Trump, par Guillaume Debré

Donald Trump est-il contagieux ? Peut-on parler d’un personnage caricatural sans le caricaturer ? Pour écrire Je twitte donc je suis, Guillaume Debré disposait d’une ressource documentaire objective : les 13 421 tweets envoyés par le président américain entre son arrivée à la Maison-Blanche et le début de l’année 2020.

Décrire Donald Trump à travers ses tweets était un programme alléchant et nullement anecdotique. « Pour le Président, @realDonaldTrump est beaucoup plus qu’un outil de communication », écrit Guillaume Debré. « Il est devenu l’essence de sa présidence, son identité propre. Ses tweets sont à la fois sa doctrine et son programme, sa philosophie, son logiciel et son projet politique. » Restait à puiser dans cette masse pour dresser un portrait selon différentes thématiques : Donald Trump et l’électorat américain, et la vie à la Maison-Blanche, et les relations diplomatiques, et les autres chefs d’État, etc.

Le travail était énorme, et l’auteur a peut-être manqué de temps pour effectuer un vrai « minage » dans la masse des 13 421 tweets. Passé le premier chapitre du livre, consacré à la « Twitter addiction » du Président, ils n’occupent qu’une place secondaire d’illustration (Donald Trump a désigné son épouse par le prénom Melanie alors qu’elle s’appelle Melania ? C’est presque une affaire d’État !). Le livre relate surtout des faits et anecdotes déjà largement couverts par la presse. Environ la moitié de ses notes renvoient à des articles du New York Times, du Washington Post ou du Boston Globe.

La vérité c’est le mensonge ?

Corrélativement, il reflète l’hostilité générale de la presse américaine envers Donald Trump. Guillaume Debré y ajoute même une touche personnelle. Ainsi, p. 146, quand il traduit comme suit le début d’un tweet de 2018 : « Quand tu donnes sa chance à une crapule foldingue et pleurnicheuse ». Le texte originel de @realDonaldTrump, non repris dans le livre, disait : « When you give a crazed, crying lowlife a break », ce qui se traduirait plus normalement par : « Quand tu donnes une chance à une pauvresse affolée et en pleurs »[i]. Une mention toujours désobligeante mais quand même moins insultante. De même p. 75, à propos d’une conférence de presse, Guillaume Debré cite un journaliste voussoyant respectueusement le Président, qui en réponse le tutoie grossièrement. Alors qu’en V.O. l’un et l’autre se disent « you », bien entendu.

L’auteur va cependant au-delà de la caricature et montre que les tweets de Donald Trump ne sont pas des éructations irréfléchies. Il décrit le « protocole d’action clairement établi » instauré à la Maison-Blanche pour les gérer et le rôle que Trump assigne à Twitter, « un média qui lui permet de diffuser des messages courts, des pensées simples et d’éviter les nuances. Un média parfait pour renforcer les idées reçues et diffuser les caricatures ou les images à fort potentiel de mobilisation. Twitter est un forum qui n’invite pas le débat, qui protège autant qu’il expose et qui renforce la verticalité du pouvoir. » Trump y multiplie les erreurs factuelles ? Peut-être, mais « ces erreurs sont, pour beaucoup d’Américains, une preuve d’authenticité politique ». Le @realDonaldTrump est réellement réel ! Twitter le montre tel qu’en lui-même, hors toute langue de bois. Et permet d’exprimer « la dose de violence politique dont a besoin la base électorale du Président ».

M.A.G.A. élu par l’Amérique blanche

Une base électorale qui, en dépit de tout, persiste à le soutenir. Ce qui s’explique par son homogénéité : Donald Trump est le « premier président blanc de l’histoire » ‑ cette formule de l’écrivain noir américain Ta-Nehisi Coates sert de titre à l’un des chapitres du livre. Trump incarnerait le concept de « blanchitude », qui ne s’oppose pas à la négritude mais « au multiculturalisme bien-pensant, au politiquement correct, à l’élitisme urbain, à la discrimination positive, à l’égalité des genres, au progressisme inclusif ». Alors que les deux mandats de Barack Obama et la montée de l’immigration auraient suscité chez les « petits blancs » la peur de devenir minoritaires, « la blanchitude rassemble un ensemble de symboles et de référents qui dépasse le champ du politique et qui active chez les électeurs un réflexe de protection identitaire ». L’Amérique périphérique blanche, qui votait républicain dans le Sud et l’Ouest des États-Unis, et démocrate dans le Midwest et le Nord-Est s’est rassemblée autour de Donald Trump, dont elle attend une protection. Le sujet est capital, et il est évidemment dommage que l’auteur cite si peu de tweets présidentiels à l’appui de sa thèse ; le plus significatif affirme au contraire : « Je n’ai pas un os de raciste dans mon corps » !

Malgré leur virulence, les tweets de Donald Trump ne paraissent pas souvent destinés à devenir des petites phrases marquant durablement les esprits. Avec au moins une exception remarquable, à laquelle Guillaume Debré consacre un chapitre entier : « Make America Great Again ». Ce tweet posté le 7 novembre 2012, juste après l’élection de Barack Obama, devient viral en quelques heures. « Cette phrase combine les éléments d’une promesse électorale, d’un cri de ralliement et d’une profession de foi », note l’auteur. Trump observe la puissance tout à la fois de Twitter et de ces quatre mots, en quelque sorte élus par le public. Il en fera son slogan de campagne trois ans plus tard et, y compris sous la forme de l’acronyme M.A.G.A., les twittera plus de 1 100 fois en huit ans !

Michel Le Séac’h



[i]  Le passage relate un conflit entre Donald Trump et l’une de ses anciennes assistantes, Omarosa Manigault Newman, qui avait participé à ses émissions de télévision et qu’il avait embauchée à la Maison-Blanche dès son arrivée. Guillaume Debré raconte : « Dix mois plus tard, elle claque la porte et accuse le Président de mysogynie et de racisme. En réponse, elle reçoit une bordée d’insulte dans un tweet du 14 août 2018 » -- le tweet cité ici. Dix mois plus tard ? Entre janvier 2017 et août 2018, dix-neuf mois se sont écoulés. En réalité, l’intéressée a quitté la présidence en janvier 2018 et a publié en août 2018 un livre très hostile à son ancien employeur. C’est ce livre, et non son départ, qui a suscité le tweet présidentiel.


Je twitte donc je suis -- L'art de gouverner selon Donald Trump 
par Guillaume Debré
Paris, Fayard, 2020. 240 p., 18 €

06 janvier 2018

« Ce que vous pouvez faire pour votre pays » : Emmanuel Macron dans les pas de Kennedy ?

La communication d’Emmanuel Macron serait-elle à la remorque de celle des présidents américains ? Il avait déjà recyclé une phrase célèbre de Donald Trump en lançant : « Make our planet great again ». En a-t-il fait autant avec une phrase de John Fitzgerald Kennedy dans ses vœux à la nation, au soir du 31 décembre ?

« Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays », a-t-il déclaré vers le milieu de ce discours de 18 minutes. Nombre de commentateurs y ont vu une référence au discours inaugural du président Kennedy en 1961 : « Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country' » (ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays). « C'est l'une des phrases présidentielles les plus connues », a noté Guillaume Tabard dans Le Figaro. « En reprenant les célèbres mots de Kennedy, Emmanuel Macron savait qu'on ne retiendrait que cette exigence de sa longue homélie de vœux ».

Le président de la République était-il aussi conscient de cette filiation que le pense Guillaume Tabard ? Probablement. Il a doublé son discours officiel de 18 minutes à la télévision par une allocution abrégée de 2 minutes diffusée via Twitter. Il a pris soin d'y reprendre la phrase : « Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour la France ». Et même, alors que le temps lui était chichement compté, il l’a répétée (« chaque matin, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour la France »), afin que nul n’en ignore.

D’ailleurs, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait déjà utilisé cette phrase dans un discours d’août 2015. Elle avait été totalement éclipsée par un autre passage du discours qui avait fait polémique. Il a clairement de la suite dans les idées.

Pas vraiment du Kennedy dans le texte

Cependant, la force de la formule de Kennedy venait pour une bonne part de sa construction en chiasme (ou en antimétabole, dirons les puristes ; n’entrons pas dans ce débat) : les mêmes mots y étaient répétés en ordre inversé : ce que votre pays peut faire pour vous/ce que vous pouvez faire pour votre pays. Pour des raisons encore mal connues, les répétitions de toutes sortes exercent un effet puissant sur le cerveau humain[1]. La poésie utilise cet effet depuis l’Antiquité et la politique sait aujourd’hui en jouer (« travailler plus pour gagner plus »…).

Emmanuel Macron y a renoncé. Coupant court à l’introduction rhétorique « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous », il a sauté directement à la partie opérationnelle de la phrase : « Demandez vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Il est vrai que ce que la concision de l’anglais fait tenir en moins de vingt syllabes (ce qui est déjà beaucoup pour une petite phrase) en réclame une trentaine en français. Ainsi abrégée, la phrase du président de la République n’aurait rien eu de remarquable si elle n’avait pas, justement, rappelé celle de Kennedy.

Mais pourquoi avoir introduit ce « chaque matin » qui n’était pas dans la phrase de Kennedy ? Cette clause n’ajoute aucune idée, aucun sens supplémentaire. Elle alourdit la formule sans rien lui apporter et l’éloigne de son modèle. Certains médias, comme L’Obs, ignorent purement et simplement ces deux mots en trop. Décidément, Emmanuel Macron a encore des progrès à faire en matière de petites phrases. Sur ce plan là au moins, l’imitation des présidents américains peut lui faire accomplir des progrès.

Et après tout, il y a de l’admiration dans l’imitation. Tenez, Kennedy lui-même… « Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country' » est généralement tenu pour la plus célèbre de ses petites phrases, qui sont nombreuses. On a soutenu qu’elle n’était pas de lui mais de son speechwriter Ted Sorensen, qui lui-même disait s’être inspiré d’Abraham Lincoln et de Winston Churchill. Or, dans un livre paru en 2011, Jack Kennedy: Elusive Hero, Chris Matthews, lui-même ancien speechwriter du président Jimmy Carter, assure que la formule est due en réalité à feu George St John, directeur de Choate School… où John Kennedy fut lycéen. De ses leçons, il avait au moins retenu cela.

John F. Kennedyt, photo White House Press Office, domaine public, via Wikipedia



[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 220-222.

12 août 2017

La « ligne rouge » d’Obama prolongée jusqu’à Trump

Donald Trump, le 8 août, promet à la Corée du Nord des représailles terribles au cas où elle continuerait à menacer les États-Unis. Aussitôt, le thème de la « ligne rouge » resurgit. « Trump vient de fixer sa propre ‘ligne rouge’ infranchissable – et la Corée du Nord l’a franchie instantanément », titre NBC News. Les guillemets à « ligne rouge » peuvent donner l’impression que l’expression est de Donald Trump. Elle renvoie en fait à son prédécesseur à la Maison Blanche[1].

Voici presque exactement cinq ans, le 20 août 2012, Barack Obama déclare à propos de la guerre civile en Syrie : « Une ligne rouge serait franchie si nous constations le déplacement ou l’utilisation d’une certaine quantité d’armes chimiques  ». Cette petite phrase – une formule brève, détachable, relativement anodine mais pleine de sous-entendus menaçants – s’adresse-t-elle vraiment aux belligérants ? En tout cas, elle frappe l’opinion américaine. Très souvent condensée dans son élément le plus significatif (« red line »), elle véhicule l’image d’un chef d’État énergique et déterminé.

Un an plus tard exactement, des armes chimiques sont effectivement utilisées en Syrie. Barack Obama accuse formellement le gouvernement de Bachar el Assad. La ligne rouge est donc franchie. So what? Barack Obama ne prend pas les décisions radicales que sa « ligne rouge » semblait annoncer. Son image en est aussitôt affectée. Il tente de recadrer ses propos de 2012, affirmant qu’il n’a fait que résumer la position de la communauté internationale à l’époque (« I didn’t set a red line. The world set a red line »).

Mais si la « red line » de 2012 était une erreur, celle de 2013 est une faute. On ne se débarrasse pas aussi facilement d’une petite phrase : une fois qu’elle a marqué l’opinion, il appartient à cette dernière de l’oublier ou pas. Or toute nouvelle mention tend à la rendre moins oubliable… La ligne rouge de Barack Obama a un côté sparadrap du capitaine Haddock : elle colle à son image. Et désormais, son sens s’est inversé : au lieu d’un président énergique, elle signale un président faible. De nombreux commentateurs, comme le professeur David Rothkopf, ont analysé la perte de crédibilité qu’Obama s’était ainsi auto-infligée.

Donald Trump n’a pas qualifié de « red line » son avertissement à la Corée. Certains commentateurs le font pour lui[2]. Pour le mettre en valeur par rapport à son prédécesseur ? Ou plutôt pour le pousser dans le même corner ? Cette petite phrase en deux mots, pourrait alors signifier quelque chose comme : « Barack Obama était peut-être un président inconséquent, mais Donald Trump ne vaut pas mieux ». Cette ligne n’est d’ailleurs pas réservée aux partisans de Barack Obama : on la retrouve aussi dans la bouche de Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du Sud et candidat malheureux à la candidature présidentielle face à Donald Trump.

Michel Le Séac'h


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles 2015, p. 142.
[2] Ce n’est pas la première fois. L’expression « red line » a déjà été appliquée à des déclarations ou des décisions de Donald Trump à propos de la Syrie. 

Photo [cc] Gage Skidmore via Wikipedia Commons

03 juin 2017

« Make our planet great again » : la petite phrase d’Emmanuel Macron, un snowclone qui tombe à pic

Emmanuel Macron ne s’était pas signalé au cours de sa campagne présidentielle par des petites phrases spécialement remarquables. Certaines sorties auraient même pu lui coûter cher en des circonstances moins favorables. Il vient de rattraper son retard d’un seul coup, le 1er juin 2017, avec une petite phrase… en anglais. En quelques heures « Make our planet great again » a fait le tour de la Terre et a battu le record de partages sur Twitter en France. Dans la foulée, le président de la République s’est même offert une deuxième petite phrase : « Il n'y a pas de plan B car il n'y a pas de planète B ».

Les petites phrases en langue étrangère ne sont pas inconnues en France[i]. Mais, de « Vae Victis » à « Yes we can » et de « No pasaran » à « Ich bin ein Berliner », en général, elles viennent d’ailleurs. Les rares petites phrases en langue étrangère d’hommes politiques français ne sont guère enviables : on songe au « What do you want… » de Jacques Chirac en Israël ou au « The yes needs the no to win » de Jean-Pierre Raffarin. Emmanuel Macron n’est décidément pas un homme politique ordinaire…

La force de « Make our planet great again » n’est cependant pas dans sa signification, ni dans l’identité de son auteur : elle est dans son origine et dans le choix du moment. Il s’agit d’un « snowclone », un détournement d’une formule très connue préexistante. Et quelle formule ! le slogan de Donald Trump au cours de sa campagne présidentielle victorieuse de l’an dernier, « Make American great again ». Jeudi dernier, alors que le président américain venait d’annoncer son intention de sortir de l’Accord de Paris sur le climat, le président français a repris la balle au bond en réutilisant ses propres paroles, le soir même, dans une déclaration solennelle.

Les trois bonnes fées de la communication s’étaient donc penchées sur le berceau de cette petite phrase :
  • Au niveau du contenu, elle prenait appui sur un texte déjà très connu.
  • Au niveau du contexte, elle portait sur un sujet d’intérêt brûlant pour la presse internationale, commenté par un responsable de premier plan
  • Au niveau de la culture, elle exploitait la défaveur de Donald Trump dans une grande partie de l’opinion française, américaine et mondiale.
La presse française a largement salué ce qu’elle a parfois appelé une « punchline » ou un « coup de com » « mais pas un coup improvisé », a souligné Christophe Barbier sur BFM TV, qui estime que la formule était mijotée depuis plusieurs jours. Et en effet, si la mise en scène était impeccable, le texte n’était pas très original. En réalité, le slogan de Donald Trump (qui a pris soin de le déposer, alors qu’il avait déjà été utilisé par Ronald Reagan sous la forme « Let’s make America great again ») a fait l’objet de nombreux détournements.

« Make Europe great again » a été largement utilisé au cours de la campagne électorale allemande par les partisans de Martin Schulz. Plaisantins et opportunistes ont imaginé, entre autres, « Make coal great again », « Make gin great again », « Make emoji great again », « Make the Internet great again » et même « Make periods great again », nom d’un site web créé par le fabricant de tampons hygiéniques Lola ! « Make Earth great again » est devenu le titre d’un web-sermon du pasteur James Hein et d’une affiche mettant en scène Donald Trump et Vladimir Poutine. Ainsi était-il amplement démontré que « Make America great again » était propice aux recyclages. Encore fallait-il saisir la bonne occasion, ce qu’Emmanuel Macron a remarquablement réussi.

Google Trends révèle un courant de recherches antérieur au 1er juin 2017 sur
des phrases comme "Make our planet great again" ou "Make the world great again"


_________________________
[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 113 et s.

01 janvier 2017

« On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes » : l’investissement-image de Vladimir Poutine

« I always knew [V. Putin] was very smart » (j’ai toujours su que V. Poutine était très intelligent) a déclaré avant-hier Donald Trump dans un tweet repris urbi et orbi. Cet hommage explicite du président-élu américain au président en exercice russe porte à son sommet la réputation de ce dernier. Mais la principale qualité qu’on lui reconnaît en général n'est pas tant l’intelligence que la détermination. Il le doit pour une part à une déclaration de 1999 : « On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Cette petite phrase est de très loin la plus connue de Vladimir Poutine, en France comme dans le monde entier.

 Elle remonte au 24 septembre 1999. Poutine, nouveau premier ministre du président russe Eltsine, tenait conférence de presse à Astana, au Kazakhstan. Des journalistes l’avaient interrogé sur les raids menés depuis trois semaines par l'aviation russe contre la Tchétchénie. Poutine avait réitéré la position déjà exprimée par le Kremlin : ils étaient destinées à lutter contre le terrorisme.

L'argot russe le plus grossier

La formule de Poutine citée par l’agence de presse russe Interfax (« Vy menja izvinite, v tualete pojmaem – my ix i v sortire zamochim ») avait été traduite ainsi à l’époque : « Nous poursuivrons les terroristes partout. (…) Si on les prend dans les toilettes, eh bien, excusez-moi, on les butera dans les chiottes. » Curieusement, tualete et sortire sont deux synonymes issus du français, l’un convenable, l’autre vulgaire. Mais « i v sortire zamochim », approximativement rendu par « nous les buterons dans les chiottes », appartient sans conteste à l’argot russe le plus grossier, en vigueur dans les cercles mafieux des années 1990 – ainsi qu’au goulag, selon l’ancien dissident Vladimir Boukovski.

La saillie de Vladimir Poutine avait provoqué un bond immédiat de sa popularité en Russie mais avait été peu remarquée ailleurs à l’époque (les Russes eux-mêmes sont surpris aujourd’hui quand on leur dit qu’elle date du siècle dernier). D’abord, son sens n’est pas totalement clair. Au terme d’une analyse savante et détaillée, un universitaire français, le professeur Rémi Camus, en a proposé trois interprétations différentes. Mais surtout, à 46 ans, Vladimir Poutine était alors un personnage peu connu qui avait fait l’essentiel de sa carrière dans l’ombre, comme agent du KGB puis comme adjoint au maire de Saint-Pétersbourg.

La formule est présente le 29 janvier 2000 dans un dossier de Libération sur l’ascension de Poutine grâce à la guerre en Tchetchénie. « ‘S'il le faut, nous irons buter les terroristes jusque dans les chiottes’, lâche-t-il un jour », écrit l’auteur de l’article, Véronique Soulé. Mais elle ne fait que de rares apparitions dans la presse française avant 2011.

Une réplique à la Michel Audiard

« On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes » semble dater de septembre 2011 ; cette version, apparemment de source AFP, paraît alors dans Le Point et Le Figaro. Elle s’éloigne nettement de la formule d’origine (« Nous poursuivrons les terroristes partout. (…) Si on les prend dans les toilettes, eh bien, excusez-moi, on les butera dans les chiottes. »). Mais elle est débarrassée de tout détail inutile et dynamisée par le pronom « on ». Bien qu’étranger à la langue russe, il accroît la sonorité de la phrase et en quelque sorte la francise : on la croirait sortie d’un film de Michel Audiard.

Sous cette forme « optimisée », la petite phrase connaît désormais un succès croissant. Surtout après les attentats du Stade de France et du Bataclan en novembre 2015. Elle devient alors « virale » sur les réseaux sociaux. Seize ans après avoir été prononcée (sous une autre forme…), la petite phrase apparaît comme un mot d’ordre pour l’opinion française ; la popularité du président russe fait un bond, comme le montre le fort pic de recherches sur son nom enregistré par Google Trends dans la semaine suivant les attentats (graphique ci-dessous). Aujourd’hui, Google en recense plus de 20 000 occurrences sur le web français, loin devant toute autre version.

Google Trends : recherches sur « Poutine » en France au cours de l'année 2015

Interrogé en 2011, Vladimir Poutine disait avoir d’abord regretté son langage grossier. Ce n’est pas ainsi qu’un premier ministre doit s’exprimer, lui avait-on fait savoir à l’époque. Pourtant, sa petite phrase s’est révélée à retardement un excellent investissement dans son image internationale. Conclusions : On ne sait jamais à l’avance quel sera le destin d’une petite phrase, elle échappe à son auteur et acquiert une vie propre. Et une grossièreté placée à bon escient, à l’instar du « Merde ! » du général Cambronne, peut avoir un effet puissant(1).

Michel Le Séac’h

Illustration : photo de Vladimir Poutine par Lhooqvsjoconda, CC 4.0 via Wikimedia Commons
__________________________________
(1) Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 206.

13 décembre 2016

Fake news et petites phrases

Punir les « allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur » qui viseraient à dissuader des femmes d'avorter : tel est l'objectif de la loi « relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse » adoptée voici quelques jours par l'Assemblée nationale. Spécialement visé, l’internet – car c’est là en pratique que s’exerce le militantisme anti-IVG.

Pourquoi borner cette exigence de vérité, sanctions pénales à la clé (deux ans de prison quand même) aux questions relatives à l’IVG ? Pourquoi ne pas punir tout simplement la diffusion d’allégation, indications ou présentations faussées, quelle qu'en soit l'intention ? Justement, le débat fait rage aux États-Unis. Les rumeurs et les bobards ont toujours joué un rôle en politique ; l’internet n’a fait qu’accélérer leur diffusion. On l’a bien vu pendant la campagne présidentielle américaine. Barack Obama s’est publiquement inquiété de la désinformation et des théories du complot circulant sur les réseaux sociaux. La presse écrite, très majoritairement favorable à Hillary Clinton, a critiqué certains sites web pour n’avoir pas fait le ménage dans les messages de leurs utilisateurs concernant la candidate démocrate. Depuis une quinzaine de jours, à la suite du Washington Post, certains journaux affirment même que le gouvernement russe a volontairement répandu des fausses nouvelles sur l’internet pour favoriser l’élection de Donald Trump (le complotisme serait-il en train de changer de bord ?).

L’Oxford English Dictionary vient de valider l’expression « post-truth » (post-vérité), qui désigne « les circonstances dans lesquelles les faits objectifs exercent moins d’influence sur la formation de l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux croyances individuelles ». Les grands de l’internet, Google et Facebook en tête ont annoncé leur intention de priver de publicité les sites qui contiennent des fausses nouvelles. Pendant la campagne électorale américaine, le compte Twitter de Donald Trump était intitulé @realDonaldTrump pour tenter de se distinguer de tous les faux Trump.

Les petites phrases fausses ont parfois l'air plus vraies que nature

Mais en quoi consistent les fake news ? Dans le New York Times, un professeur de philosophie, Michael P. Lynch, a tenté un distinguo entre « mensonge » et « tromperie ». « Mentir », selon lui, « c’est délibérément dire ce que vous pensez faux avec l’intention de tromper votre auditoire. Je peux vous tromper sans mentir (un silence à un moment clé, par exemple, peut être trompeur). Et je peux vous mentir sans tromperie. Cela peut être parce que vous êtes sceptique et ne me croyez pas, mais aussi parce que mon propos se trouve par hasard être vrai. » Cette manière de couper les cheveux en quatre annonce d’intéressants débats à venir !

L’observation des petites phrases pourrait apporter des éléments à ces débats. Une petite phrase qui réussit est largement répétée, mais pas toujours comme elle a été prononcée (d’ailleurs, comme le dit le professeur Lynch, un silence peut être trompeur, or la petite phrase n'en rend pas compte). Il est difficile aujourd’hui de vérifier que Marie-Antoinette a dit, ou pas : « s’ils n’ont plus de pain, qu’ils mangent de la brioche »[1]. Mais il n’est pas difficile de vérifier qu’Emmanuel Macron a dit « la vie d'un entrepreneur est bien plus dure que celle d'un salarié » : la petite phrase ne date que de janvier dernier. Et alors là, surprise : le voyant rouge « fake news » se met à clignoter. En réalité, Emmanuel Macron a dit : « la vie d'un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d'un salarié ». L’omission du mot « souvent » change beaucoup la tonalité de la phrase – s’agirait-il du silence trompeur dont parlait Michael P. Lynch ? Or la première formule (fausse) est dix fois plus fréquente sur l’internet que la seconde (vraie) !

La presse américaine n’est pas à l’abri de ce genre de fantaisies, volontaires ou pas. Washington Post et New York Times en tête, en dépit de leur hostilité aux « fake news », de nombreux journaux ont tronqué une déclaration de Donald Trump (« I will accept the results of the election – if I win »), lui donnant ainsi une tonalité putschiste. Le « sound bite » a fait un tabac sur l’internet. On voit plus aisément une paille dans l’œil du voisin que le fake qui est dans son œil à soi.

Michel Le Séac’h


[1] Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 95.

11 novembre 2016

Donald Trump : « I will accept the results of the election – if I win »

L’espérance de vie des petites phrases est variable. Certaines d’entre elles traversent les millénaires (« Rendez à César ce qui est à César »[1]...). D’autres disparaissent au bout de quelques jours, même si leur notoriété a pu être immense dans ce laps de temps.

Tel est le cas de cette phrase de Donald Trump, l’une des plus fameuses de sa campagne présidentielle : « I will accept the results of the election – if I win » (« j’accepterai les résultats de l’élection – si je gagne »). Prononcée le 20 octobre, elle est devenue obsolète le 8 novembre. Sa brève existence comporte néanmoins quelques leçons pour l’étude des petites phrases.

1. Une recherche de la formule la plus simple

Les petites phrases admises par le public sont souvent reformulées pour être réduites à leur plus simple expression. Les détails inutiles sont éliminés. En l’occurrence, la phrase réellement prononcée par Donald Trump le 20 octobre, lors d’une réunion électorale dans l’Ohio, était celle-ci : 

« I will totally accept the results of this great and historic presidential election, if I win. »

Une recherche Google sur Trump + cette phrase exacte retourne 19 100 résultats. Mais une recherche sur Trump +

« I will accept the results of this election, if I win »

retourne… 12 700 000 résultats ! Débarrassée de son adverbe et de ses trois adjectifs, la petite phrase s’est propagée bien plus aisément sur les réseaux sociaux.


2. Un message implicite parfaitement compris même s’il est faux

Pour la quasi-totalité de ceux qui l’ont reprise sur les réseaux sociaux, cette phrase NE signifie PAS que Donald Trump acceptera les résultats de l’élection s’il la remporte. Elle signifie qu’il ne les acceptera pas s’il perd ! Elle est comprise ainsi comme une évidence, sans qu’il soit besoin d’explications supplémentaires. Le message explicite (qui revient à enfoncer une porte ouverte) est supplanté par un message implicite qui en est pratiquement l’inverse. Cette petite phrase est une petite antiphrase.

La simplification évoquée plus haut contribue à cette interprétation. L’adverbe « totally » introduisait dans la phrase l’amorce d’une réserve qui devait mettre la puce à l’oreille. Avec cet adverbe, l’inversion du sens de la phrase conduisait plutôt à une interprétation du genre « je n’accepterai pas totalement les résultats de l’élection si je ne gagne pas ». Et en réalité, la déclaration complète de Donald Trump était bien plus pondérée encore :

« I will totally accept the results of this great and historic presidential election, if I win. Of course I would accept a clear election result, but I would also reserve my right to contest or file a legal challenge in the case of a questionable result. I will follow and abide by all the rules and traditions of all of the many candidates who came before me, always. »

La position de Donald Trump s’expliquait par son contexte : comme on lui demandait de s’engager à accepter d’avance, sans discussion, les résultats de l’élection, il avait refusé de se priver par anticipation de toute voie de recours, rappelant que l’élection présidentielle de 2000 avait donné lieu à contestation et recompte des voix. Si George W. Bush avait accepté le résultat d’avance, Al Gore aurait été élu. Extraite de son contexte, la petite phrase tronquée signifiait à peu près l’inverse de ce qu’avait dit le candidat républicain.

Mais, et c’est là l’important, elle était en cohérence cognitive avec l’opinion que le public qui la relayait avait de lui. Bien que fallacieuse, elle renforçait une opinion préexistante et n'en semblait que plus « vraie ».

3. Une presse probablement pas neutre

La presse américaine, connaissant la teneur réelle des propos de Donald Trump, en a néanmoins diffusé une version déformée, comme le montrent ces trois titres – trois exemples parmi beaucoup d’autres :

  • Donald Trump: 'I will totally accept' election results 'if I win'CNN
  • Donald Trump Says He Will Accept Election Outcome (‘if I Win’)New York Times
  • Donald Trump says he will accept results of election — ‘if I win’ Washington Post
Ces titres parus le 20 octobre, c’est-à-dire aussitôt après la déclaration de Donald Trump, dans des médias de première importance, ont en quelque sorte « officialisé » la version erronée de la petite phrase. De la part de journalistes professionnels, il est douteux que ce soit innocent. Quand les partisans de Donald Trump accusent la presse de partialité, ils ont des arguments à faire valoir. L’étonnante ressemblance des titres ci-dessus peut même évoquer une concertation.

4. Des échos internationaux – y compris en France

Il est exceptionnel qu’une petite phrase devienne internationale. La formule de Donald Trump n’aura pas eu le sort du « Yes we can »[2] de Barack Obama ou du « I have a dream »[3] de Martin Luther King. Cependant, elle a été largement reprise hors des États-Unis. Ce qui n’a rien d’étonnant : les trois médias cités ci-dessus sont considérés comme très influents auprès des correspondants de la presse étrangère.

Il s’est même trouvé un professeur au Collège de France pour publier dans le Figaro Vox une tribune[4] fondée en grande partie sur cette déclaration tronquée. Elle commençait ainsi :

« Pressé de dire s'il reconnaîtrait l'éventuelle victoire de sa concurrente Hillary Clinton, M. Donald Trump a répondu «J'accepterai sans réserve les résultats de cette élection présidentielle — si je gagne» («I will totally accept the results of this great and historic presidential election — if I win» New-York Times, 21 oct. 2016). Les Européens auraient tort de moquer cette déclaration d'apparence bouffonne, car elle témoigne d'un délitement de la démocratie dont nul pays n'est exempt. »

Il serait cruel d’insister.

Michel Le Séac’h
______________________________

[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, p. 64.
[2] Idem, p. 121.
[3] Ibid., p. 115.
[4] Alain Supiot, « «Aux Etats-Unis comme en Europe, le grand délitement de la démocratie» », Figaro Vox, 7 novembre 2016, http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/11/07/31001-20161107ARTFIG00145-alain-supiot-aux-etats-unis-comme-en-europe-le-grand-delitement-de-la-democratie.php

28 octobre 2016

Les petites phrases alimentent l’essor de YouTube

Alphabet devrait-il subventionner les petites phrases ? Le groupe, maison-mère de Google et de YouTube, vient d’annoncer pour le troisième trimestre 2016 des résultats financiers en hausse de 27 % d’une année sur l’autre. Une bonne partie de sa réussite est due au site de vidéos YouTube.

Après l’avoir racheté voici dix ans, Google s’est attaché à faire de YouTube un site beaucoup plus carré, pourchassant les copies de films pirates et les contenus injurieux, violents ou pornographiques (au risque de tomber dans le politiquement correct, mais c’est une autre histoire). YouTube est devenu un support publicitaire de première importance, notamment auprès des jeunes, et a très bien réussi son adaptation au smartphone.

L’élection présidentielle américaine aura été un triomphe pour le site : les recherches en rapport avec la campagne électorale qui s’achève ont été multipliées par six par rapport à celles de 2012. Pendant et après le premier débat entre Hillary Clinton et Donald Trump, les utilisateurs du site ont regardé 88 millions de vidéos. Les consultations ont bondi à 124 millions pour le second débat et plus de 140 millions pour le troisième. En moyenne, les utilisateurs ont visionné les débats pendant 22 minutes, c’est-à-dire qu’une grande partie d’entre eux n’en ont regardé que des extraits – parfois très brefs.

Les internautes recherchent notamment les vidéos des petites phrases ("sound bites") dont Donald Trump a émaillé la campagne. Et quand ils regardent les vidéos mises en ligne par le camp démocrate… ils y retrouvent souvent les petites phrases de Donald Trump ! L’équipe internet de Hillary Clinton, qui compte une centaine de personnes, s’est attachée à prélever les formules les plus contentieuses du candidat républicain pour les utiliser contre lui, comme dans cette publicité politique où Donald Trump est présenté comme un mauvais exemple pour les enfants.

Les vidéos satiriques et humoristiques autour des petites phrases de l’un ou l’autre candidat sont aussi très recherchées sur YouTube, comme cette parodie de La Guerre des étoiles garantie « fabriquée à 100 % avec des petites phrases authentiques de Donald Trump », vue près de 4,4 millions de fois en onze mois.

La conclusion est claire : pour soutenir leur croissance future, YouTube, Google et Alphabet ont tout intérêt à encourager l’utilisation des petites phrases chez le personnel politique !


Michel Le Séac’h 

08 février 2016

Présidentielle américaine : Marco Rubio s’est tiré une petite phrase dans le pied

Le succès d’une petite phrase tient à sa reprise par les médias, à sa répétition sur le web, à sa mémorisation par le public. L’homme politique qui a mijoté une formule puissante cherchera donc à orienter les citations vers elle. Au risque d’en faire trop.

C’est ce qui est arrivé samedi à Marco Rubio lors du dernier débat des candidats républicains à la présidence des États-Unis avant la primaire du New Hampshire. Malgré son air juvénile, Rubio n’est pas un perdreau de l’année. À 44 ans, il a siégé une dizaine d’années à la Chambre des représentants de Floride avant d’être élu sénateur de cet État en 2010. Jusqu’à ce week-end, il était considéré comme l’un des favoris parmi les prétendants à la Maison blanche.

La thématique des petites phrases ne lui est pas étrangère. « Il ne parle jamais des questions de fond et il est incapable de sortir davantage qu’une petite phrase de dix secondes sur les sujets clés », disait-il en septembre dernier de son rival Donald Trump. Mais en bon professionnel de la politique, lui-même n’arrive jamais sur un plateau de télévision sans quelques formules bien senties dans sa besace.

Samedi, comparé par son concurrent Chris Christie au Barack Obama inexpérimenté de 2008, Marco Rubio a répondu : « Dire que Barack Obama ne sait pas ce qu’il fait, c’est juste pas vrai, il sait exactement ce qu’il fait. » Christie a insisté, Rubio a répété sa phrase. Christie ne l’a pas manqué : « Nous y voilà, le discours de 25 secondes appris par cœur » ! Et Rubio, comme groggy, de répéter deux fois encore : « [Obama] sait exactement ce qu’il fait. »

Toute la presse en a fait des gorges chaudes. « La sortie de Rubio constitue une manière nouvelle de perdre un débat télévisé » a commenté Alan Schroeder, professeur de journalisme à Northwestern University, qui compare le sénateur de Floride à un robot humanoïde du film Les Femmes de Stepford (1975) : « il s’est trouvé bloqué en mode détraqué ». On a pu dire parfois qu’une petite phrase avait remporté une élection présidentielle[1] ; une petite phrase peut aussi faire perdre une élection.

Michel Le Séac’h



[1] On songe en particulier à « Vous n’avez pas le monopole du cœur », Voir La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, p. 109.

Photo de Marco Rubio par Michael Vadon via Flickr, licence CC BY-SA 2.0

08 décembre 2015

Les petites phrases de Donald Trump échappent aux lois de la pesanteur politique

Donald J. Trump multiplie, comme annoncé, les formules choc. Au début, beaucoup d’observateurs les ont prises comme des blagues outrancières. En juillet, le Huffington Post avait décidé de les traiter dans sa rubrique « Entertainment » (divertissement) et non dans sa rubrique « Politics ». 

Hier, Ariana Huffington a radicalement révisé sa position dans un article intitulé : « A Note on Trump: We Are No Longer Entertained ». Autrement dit : fini de rigoler ! C’est que le milliardaire caracole en tête des sondages parmi les candidats à la la primaire présidentielle côté Républicains. Ses sorties marquent l’électorat américain bien plus que les médias ne l’avaient prévu. Les grosses blagues étaient en fait des petites phrases !

La décision du Huffington Post paraît anecdotique. Elle témoigne pourtant d'une sorte de révolution copernicienne en cours dans les milieux médiatiques et politiques américains. Jay Rosen, professeur de journalisme à New York University, a décrit cette révision déchirante dans un article de son blog, Press Think :
Le rôle de la presse dans les campagnes présidentielles reposait, bien plus qu’on ne l’avait compris avant cette année, sur des postulats partagés par la classe politique et l’industrie électorale quant aux règles en vigueur et aux pénalités encourues par ceux qui les violeraient. D’où des rituels familiers du genre « la gaffe », reposant eux-mêmes sur des postulats quant à la manière dont une tierce partie, l’électorat, réagirait en s’apercevant de la violation. Ces postulats étaient rarement mis à l’épreuve parce que le risque paraissait trop élevé et que les campagnes étaient dirigées par des spécialistes peu enclins à prendre des risques – qu’on appelle des stratèges. (…) Ces croyances se sont effondrées car Trump les a « testées », a violé la plupart d’entre elles – et domine quand même les sondages.
 La cécité des médias américains est d’autant plus surprenante que l’hypothèse avait été posée dès le mois de juillet par Dan Balz, l’une des grandes plumes du Washington Post, quand Trump s’en était pris aux immigrants clandestins mexicains et avait mis en doute l’héroïsme de John McCain : « La question est maintenant de savoir si le candidat Trump échappe aux lois de la pesanteur politique ou s’il se trouvera bientôt isolé et considéré comme un objet de mépris ou d’étonnement, et non comme un prétendant sérieux à la présidence. » C’était bien vu, mais la presse et les milieux politiques sont massivement passés à côté, ils ont fait confiance à ces « lois de la pesanteur politique » dont Jay Rosen estime à présent qu’elles n’ont jamais existé.

Michel Le Séac'h

Photo de Donald Trump : Gage Skidmore, Wikimedia